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Ecoutez le début du poëte :

« J'envahirai la plaine humide,

» Malgré les vents, l'onde et les Dieux :
> Loin de moi cette ancre timide!
<<< La rive importune mes yeux. »
Il dit; fier d'un nouvel empire,
Le nocher qu'Urauie inspire
Sur les flots s'est précipité.
Ainsi l'aiglon fuyant la terre,
Jouit du ciel héréditaire
Que son vol superbe a tenté.

Tombez, fabuleuse barrière,
Sommets impuissants de Calpé!
Hercule, fournis ta carrière !
Ton faible instinct l'avait trompé.
Silence, ô merveilles antiques!
Oublions ces nefs prophétiques
Dont la voix charmait lolcos;
Oublions ce timide Enée

Qu'une implacable destinée

Livrait aux Dieux jaloux d'Argos.

Plus loin, il décrit en quelques vers toutes les horreurs d'un combat naval :

Cieux implacables, mer perfide,
En est-ce assez pour les punir !
Non, non ; que la guerre homicide
Aux feux, aux vents vienne s'unir !
Elle vient, de torches armée,
Allume la foudre enfermée
Au fond de ces Etna mouvants,
Et l'orgueil, l'intérêt, la haine
Luttent sur la planche incertaine
Qu'assiégent les eaux et les vents.

On se joint; le fer étincelle,
Le bronze tonne à coups pressés,
Le sang confondu qui ruisselle
Abreuve les ponts fracassés :
Des flots de cendre et de fumée
Roulent sur la nef consumée

Que tourmente une onde en fureur;
Et les bords, qu'en vain on regrette,
N'offrent qu'un écueil pour retraite
Aux vaincus glacés de terreur.

L'ode se termine par un poétique tribut d'éloges et de regrets payés à l'infortuné Lapeyrouse :

Qu'avez-vous fait, ô mers avides!
D'un voyageur moins fortnné?
Hélas! sur des écueils perfides
Les Dieux jaloux l'ont enchaîné !
Ah! si l'Europe gémissante
Ne peut sur la poussière absente,
Lapeyrouse, semer des fleurs;
Reçois du moius, cendre égarée,
Ces vers qu'une Muse ignorée
Laisse couler avec ses pleurs.

Oh! combien j'aimerais, Messieurs, me livrer, pendant quelques instants encore, au charme que je trouve dans la lecture de cette prose élégante, de ces vers harmonieux! Qu'il me serait doux et facile de vous faire admirer, par de nouveaux extraits, toute l'étendue, toule l'originalité de la riche imagination du spirituel confrère que nous avons perdu!

Mais il est temps de céder la parole à d'autres lecteurs, dont la voix vous est connue et que vous aimez á entendre avec leur grâce habituelle, nos orateurs et

nos poètes sauront captiver votre attention, qui leur est assurée d'avance.

Je ne puis mieux terminer, Messieurs, ce long discours, qu'en rappelant à l'honorable assemblée qui nous écoute, la décision prise par vous, en 1854, décision en vertu de laquelle, à la suite d'une séance publique, vous avez nommé par acclamation M. Léon Dusillet VOTRE PRÉSIDENT PERPETUEL HONORAIRE.

Cette distinction tout exceptionnelle et sans précedent dans nos annales de l'Académie, est le plus beau témoignage d'estime rendu au mérite littéraire de M. Dusillet.

Tout autre éloge ne pourrait que l'affaiblir.

RAPPORT

SUR LE CONCOURS DE POÉSIE

PAR M. VIANCIN.

MESSIEURS,

Une autre voix que la nôtre devrait ici se faire entendre. Vous aurez doublement à regretter qu'un sentiment de deuil filial, trop respectable pour être combattu, n'ait pas permis à M. Dusillet de prendre aujourd'hui la parole dans cette enceinte. Il lui appartenait d'accomplir sur le concours de poésie la tâche qu'il a si bien commencée l'année dernière. Vous nous avez chargé de le suppléer ce n'est pas attendre de nous qu'il soit remplacé, et cette réflexion nous rassure.

Au nombre des sites pittoresques et grandioses dont s'embellit notre Franche-Comté, celui qu'on nomme le Saut-du-Doubs est depuis longtemps signalé comme un des plus remarquables. La fête dont chaque année ses rivages sont le théâtre ne se recommande pas moins à la curiosité de nos compatriotes et des voyageurs étran

gers. Sous un double aspect, la description de ces lieux d'une imposante majesté, le tableau de ces réjouissances populaires qu'y ramène périodiquement une saison propice aux excursions contemplatives, vous paraissaient à bien juste titre un sujet digne d'être proposé aux jeunes amis des lettres qui s'exercent dans l'art difficile du poëte. Un premier concours ne vous ayant amené que des compositions trop négligées, vous avez jugé à propos de maintenir votre programme pour une seconde épreuve, dans l'espoir d'un résultat plus heureux.

La nature devait être le premier guide des émules à qui s'adressait votre appel. Mais secondairement de précieuses données ne leur ont pas fait défaut. Nous ne reviendrons pas sur celles que leur a fournies M. le rapporteur du concours de l'année précédente : nous ne pourrions que les reproduire avec trop d'infériorité. Les concurrents avaient encore à consulter un modèle, que leur a laissé dans ses légendes franc-comtoises notre bien-aimé confrère Auguste Demesmay, dont le nom ne revient jamais sur nos lèvres sans renouveler dans nos cœurs une douloureuse émotion.

Malgré les bienveillantes leçons d'un esprit judicieux qui sait joindre l'exemple au précepte, malgré l'œuvre spéciale dont nous venons de rappeler le souvenir, œuvre si gracieusement colorée des rayons doux et lumineux d'une belle âme que nous avons trop tôt perdue, œuvre qui, sous la forme d'un simple épisode, renferme, à peu de chose près, tout ce qu'il y avait de mieux à dire sur le sujet proposé, votre attente, pour la deuxième fois, n'a pas été remplie.

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