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relever les autels abattus, de rappeler les pasteurs mis en fuite et de rendre à Dieu le culte que lui déniait, dans son égarement, une orgueilleuse raison, sortie de ses limites comme un fleuve débordé, et qui, sous les traits de quelques femmes impures, se décernait les honneurs de l'apothéose. Et maintenant, Messieurs, en face de ces deux grandes autorités sur lesquelles, à tort, selon nous, s'appuie l'accusation, ne pourrions-nous pas faire surgir des autorités, non moins grandes et non moins imposantes? Ne pourrions nous pas évoquer tous les grands hommes de notre grand siècle littéraire, de ce siècle de Louis XIV, dans lequel la religion s'alliait si bien avec le culte des lettres? Si nous voulions passer en revue les plus illustres prélats, et les écrivains les plus renommés de cette magnifique époque, nous les verrions s'abreuver aux sources pures de l'antiquité et renouveler les merveilles des siècles de Periclès, d'Auguste et des Médicis. Nous verrions Bossuet, l'aigle de Meaux, ce dernier Père de l'Eglise, aussi grand que saint Augustin dont il rappelait le génie; Bossuet, ce Demosthène français, selon la belle expression du cardinal Maury, Bossuet, l'auteur de tant de chefs-d'œuvre et surtout de ce sermon sur l'Unité de l'Eglise, prononcé à l'ouverture de l'assemblée du clergé de France en 1681, et qui, selon le même cardinal Maury, est incomparablement le plus magnifique ouvrage de ce genre qui ait jamais été composé dans aucune langue; Bossuet, que, dans un concile récent, l'un des plus vertueux et des plus savants prélats de notre époque, a, dans un élan de courageuse justice et d'orgueil légitime pour la France, si noblement vengé en le justifiant par

celle expression toute nationale: Bossuetius noster; eh bien, ce Bossuet, ce grand Bossuet, qui est le nôtre, nous le verrions, sous les frais ombrages de sa campagne de Germigny, se délasser de ses immenses travaux par la lecture assidue d'Homère, dont il ne prononçait jamais le nom sans dire le divin Homère; de Virgile, dont il vantait avec charme la douce mélodie, et quelquefois aussi d'Horace, dont il savait par cœur la plupart des odes!

Puis nous quitterions l'aigle de Meaux, pour aller rendre visite au cygne de Cambrai. Dans son honorable retraite, nous verrions Fénelon dérober à l'antiquité ses plus riches trésors, pour en composer son Télémaque, que, sans l'esprit chrétien qui en vivifie la morale, l'on serait tenté de prendre pour la poétique traduction d'un poëme antique, dont l'original serait perdu. Il nous lirait cette admirable lettre sur l'éloquence qu'il adresse à l'Académie française! Oh! que nous aimerions à le suivre dans ses appréciations si délicates des beautés de Virgile, d'Horace et d'Homère ! Combien nous serions émus de cette exquise sensibilité qui, après la lecture de ce passage d'une églogue:

Fortunate senex, sic inter flumina nota Et fontes sacros, frigus captabis opacum, le fait s'écrier Malheur à celui qui ne sentirait point le charme de ces vers!

Nous aimerions à reconnaître avec lui que rien n'est au-dessus de cette peinture de la vie champêtre :

O fortunatos nimium sua si bona norint !

tout m'y plaft, ajouterait-il, et même cet endroit si éloigné des idées romanesques :

.

...

et frigide Tempe

Mugitusque boum, mollesque sub arbore somnos !

puis il continuerait, avec la même sûreté de bon goût, l'examen des vers de ces grands poëtes qu'il aimait tant et qu'il connaissait si bien !

Ah, Messieurs, quel éloge pour les lettres anciennes que ce vif enthousiasme qu'elles excitaient dans cette âme si pure et si sainte !

Une cause n'est-elle pas gagnée quand elle est plaidée par de tels avocats?

A ces témoignages si décisifs, nous pourrions ajouter les appréciations de beaucoup d'autres hommes illustres du même siècle, dont la piété bien reconnue ne permettrait pas de suspecter leur admiration. Nous pourrions vous citer Boileau, qui ne se lassait pas d'admirer l'oraison de Démosthène pro corona, qu'il appelait le chef-d'œuvre de l'esprit humain; toutes les fois que je la lis, ajoutait-il, je voudrais n'avoir jamais écrit. A un de ses amis qui lui disait un jour : Démosthène est mon homme, il répondait si c'est votre homme, il n'est pas le mien. Comment l'entendez-vous donc, lui répliqua son ami? C'est qu'il me fait tomber la plume des mains!

En dehors des grands auteurs classiques de l'antiquité et de quelques écrivains du siècle de Louis XIV, il nous serait difficile de trouver, Messieurs, un auteur auquel on pourrait appliquer le mot si profond de Boileau.

Puis, arrivant à des temps plus rapprochés, je vous citerais M. de Bonald, déclarant que l'Iliade est le premier et le plus beau titre du génie de l'homme ; je vous citerais encore le cardinal Maury, dont l'Essai sur l'élo

quence de la chaire est, en quelque sorte, un hymne en l'honneur de l'antiquité, dont il recommande, pour ainsi dire à chaque page, l'étude approfondie, à tous ceux qui veulent courir la carrière de l'éloquence, sans en excepter ceux qui aspirent à la prédication évangélique.

Si, au contraire, Messieurs, nous remontions dans les siècles qui ont précédé le siècle de Louis XIV, c'està-dire, dans les siècles où les lettres antiques n'étaient point cultivées, dans quel état trouverions-nous l'éloquence de la chaire? Ecoutez ce que nous en dit Massillon, dans son discours de réception à l'Académie française: Les prédicateurs d'alors disputaient, ou de bouffonnerie avec le théâtre, ou de sécheresse avec l'école, et mélaient à la parole sacrée des termes barbares qu'ils n'entendaient pas, ou des plaisanteries qu'on n'aurait pas dû entendre. J'ajouterai que, quant aux écoliers de ces époques où l'enseignement des humanités n'était pas connu dans les écoles entièrement livrées aux disputes de la scolastique, je crois qu'ils valaient beaucoup moins que la plupart des écoliers de nos jours. Ecoutez la courte peinture qu'en a faite, dans son Traité des études, l'abbé Fleury, qui certes ne peut être, en ce point, soupçonné d'exagération. Après avoir dit que la tristesse des études, avant le renouvellement des humanités, servait à en détourner les nobles, il ajoute Cette tristesse des écoles y » apporte la corruption des mœurs, malgré toutes les précautions de ceux qui les avaient établies.

» Il y a toujours eu plus de jeunes gens que d'autres

» dans les universités, et la jeunesse ne peut vivre sans

plaisirs, car on avait beau les nommer clercs, ils » n'avaient pas tous vocation pour l'Eglise, et on ne le » demandait pas; il était donc impossible de les retenir » sous une discipline si sévère, et n'ayant rien d'agréa»ble dans les études mêmes, ils cherchaient à se diver>> tir ailleurs.

>> On voit encore des railleries de leurs festins et de » leurs débauches. On lit dans les histoires plusieurs » séditions causées par les insultes que les écoliers fai>> saient aux bourgeois, courant la nuit et portant des » armes. Le plus grand mal fut que, dans la suite, les >> maîtres eux-mêmes s'en mêlèrent par politique, et que » pour soutenir la domination du Recteur, toutes les » insolences des écoliers étaient autorisées. Souvent >> même de grands crimes demeuraient impunis, sous >> prétexte de maintenir leurs priviléges, Ce fut princi>> palement depuis la fin du xive siècle jusqu'au milieu » du xv que les universités eurent le plus de crédit. »

Il me semble, si je ne me trompe, que les écoliers et les maîtres des siècles suivants ont été un peu moins turbulents et moins criminels que ceux de l'époque dont parle l'abbé Fleury; de cette époque si vantée et vers laquelle quelques esprits trop sévèrement religieux sembleraient vouloir nous faire reculer.

C'est donc à l'heureuse influence du retour à l'étude des lettres anciennes et à l'enseignement des humanités l'on a dû l'adoucissement de ces mœurs sauvages que et que l'on voit s'épanouir aux rayons du soleil de l'antiquité et de l'admirable siècle de Louis XIV, la gloire et l'orgueil de la France.

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