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colonnes de marbre grec, amenées à grands frais par ordre de l'impérial séducteur, avaient remplacé les murailles de briques et les solives de chêne des naïfs souverains de Bisonte.

C'est au fond de cette salle, au pied du groupe des deux cités qu'est placé le tribunal romain. Des sièges sont disposés autour du prétoire et occupés par d'opulents Séquanais vêtus à la romaine, modelant avec soin leur maintien et jusqu'aux plis de leur toge sur ceux de quelques sénateurs de Rome, de passage en Séquanie, qui se sont assis parmi eux.

Le propréteur de haute Germanie, Sergius Sulpicius Galba, vainqueur des Cattes, venu du Rhin pour juger cette cause importante, occupe, en habit militaire, la chaise curule prétoriale (1).

Debout à ses cotés se tiennent divers officiers de justice, et derrière, des gardes armés. Devant lui sont dressés la haste et le glaive, symboles de son redoutable pouvoir. En face, le Druide; puis, le peuple contenu par des soldats.

Au signal du consulaire (2), l'accensus donne lec

(1) Sergius Sulpicius Galba, qui depuis succéda à Néron, fut, de l'an 40 à l'an 50, gouverneur de haute Germanie, province dont la Séquanie faisait partie. Le propréteur venait du Rhin, sur les bords duquel il faisait sa résidence. Les gouverneurs des provinces Césarien nes jugeaient en babit militaire et au lieu de licteurs ils avaient autour d'eux des légionnaires.

(2) Le propréteur était aussi appelé consulaire l'accensus était l'huissier.

ture des décrets qui, sous les consuls Cneius Cornelius Lentulus et Publius Licinius Crassus, avaient proscrit le druidisme, puis, de l'acte d'accusation dirigé contre le pontife séquanais.

Alduovorix, prêtre de l'ordre druidique, vous avez à répondre devant l'illustre propréteur Sergius Sulpicius Galba à une triple accusation. Vous êtes poursuivi pour avoir enfreint les défenses portées par le divin Claude, Empereur éternel, Auguste, très-clément et très-sage, en persistant dans l'exercice d'un culte proscrit et y attirant clandestinement un certain nombre de sujets de l'empire; secondement, pour avoir commis un meurtre dans l'une de ces cérémonies défendues; enfin, pour avoir, devant le peupie, insulté à la majesté des divins empereurs. »

Le propréteur dit : « Tu entends, Alduovorix, ce dont tu es accusé; plusieurs témoins ont attesté sous serment la parfaite exactitude des faits qui te sont imputés; qu'as-tu à dire pour ta défense? >>

Le prêtre était debout; la dignité de ses traits et de son maintien était telle qu'il sembla dominer l'assemblée. Un silence absolu s'établit.

« Homme de César, dit-il, et vous Romains de Séquanie, ce n'est point pour me défendre, mais pour vous confondre que ma bouche va s'ouvrir. Me défendre! sembler chercher un pardon quand l'aigle ici remplace le bison de nos pères (1); quand, dans le palais et sur le

trône de nos rois, est assis l'étranger; quand, au pied de l'image de Rome enlaçant de ses bras de bronze celle de la cité comme des replis du serpent, je ne vois pas une saie nationale, pas une chevelure gauloise; mais, partout, des têtes honteusement rasées, partout la longue robe de la servitude. Homme de César, Romains de Séquanie, ce n'est point pour me défendre mais, pour vous confondre que ma bouche va s'ouvrir.

» L'on me reproche la fidélité à mon culte et à son saint enseignement. Ah! je comprends que cette Rome où l'on croit à tout et où bientôt l'on ne croira plus à rien, je comprends qu'elle soit irritée et jalouse de la vieille foi de la Gaule. Vous avez accueilli toutes les religions de la terre, les divinités les plus honteuses sont entrées le front haut dans votre panthéon. Les croyances simples et pures de nos pères devaient attirer vos proscriptions; tout vice ne déteste-t-il pas toute vertu, tout mensonge n'a-t-il pas en haine toute vérité?

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O Dieu des Gaules et du monde, Baath Esus, Diana Crom, Belen Enéol, Tarann, Camul Ségomon, le terrible, l'inconnu, le grand bûcheron, le cercle infini, ô dieu suprême! Pardonne si ton gore, ton bélek, ton prêtre ose dévoiler aux profanes les runes sacrées.

» Gwyon Teut, révélateur et père des hommes, Hu le

(1) Le bison apparaît sur les monnaies de Vesontio comme hiéroglyphe ou emblème de la cité. Voir le Vesontio de J. J. Chiflet et l'Essai sur les monnaies de Franche-Comté de MM. Plantet et Jeannet. Nous sommes d'autant plus portés à croire que le bison fut l'emblème de notre ville, que de toutes les étymologies de son nom de Bisuntium et de Visontio celle-là nous semble la moins invraisemblable.

puissant, restaurateur de la vérité, aidez-moi! Il faut ici montrer toute la majesté de nos autels (1).

» Enfants de l'antique Japhet (2), les Gaëls à la rouge chevelure et les Kemris kurs frères apportérent du fond du vieil Orient, berceau du monde, les rites purs de ces premiers humains qui, à l'origine des temps, conversaient avec Dieu. Semblables à ces bethels (3) que les hommes des premiers jours élevaient sur les hauts lieux, leurs autels de pierre fumèrent sur les montagnes. Jamais les voûtes étroites, jamais la pierre, le bois, l'airain façonnés de main d'homme n'emprisonnèrent chez

(1) Cette invocation au dieu des Gaules renferme tous les noms qui lui étaient donnés. Ce dieu suprème fut primitivement adoré sous le noin de Baath le divin, puis dans celui d'Esus le terrible, qui resta comme le plus vénéré; on lui donnait aussi celui de Diana l'inconnu, de Crom le cercle (l'éternité). Belen était son nom comme dieu de la lumière, Eneol un surnom de Belen qui veut dire âme de tous; Tarunn le désignait comme maître du tonnerre, Camul comme dieu des combats; Ségomon ou Ségonien était son surnom spécial domme dieu des Sékones ou Sékanes (Séquanais) voir Henri Martin, La Tour d'Auvergne, Orig. celt. de Boissieu, inscr. ant. de Lyon. Les runes élaient les mystères. Gwyon ou Teulatès était une divinité secondaire, une sorte de Prométhée, un révélateur de la science et des choses sacrées aux hommes. Hu Gadarn ou le puissant, chef de l'invasion Kimrique (second flot gaulois qui passa le Rhin 600 ans avant notre ère) fat l'instituteur du Druidisme et le restaurateur des anciens dogmes déjà altérés chez les Gaels de la première invasion.

(2) Audax Japeti genus avait dit Horace en parlant des Gaulois, ce nom était donc connu des anciens.

(3) Bethel, maison de Dieu, nom donné par Jacob à la pierre qu'il érigea après son songe mystérieux. Il est à remarquer que la langue bretonne, dernier reste de la langue celtique, nomme certaines pier res druidiques des bétyles.

eux la divinité (1). Les hauts rochers, les aiguilles immenses, les grands chênes et les pins de nos chastes fòrels, leurs voûtes sombres aux profonds murmures, voilà les temples batis des mains mêmes de Dieu, où, sans rougir, peut s'agenouiller le fils des Gaules.

» C'est là qu'il apprend la vérité : c'est là que la voix lui parle et lui dit :

Toute vie descend de Dieu.

L'âme de l'homme ne meurt point; écrivez aux morts, les morts vivent, ils vous entendront.

Prêtez sans crainte à votre frère et l'autre vie yous le rendra (2).

Comme la robe du serpent se renouvelle, ainsi renaissent la vie et le monde (3).

La poussière des morts se ranime, ils reviennent pour sauver la patrie.

corps

des

La vertu retrouve une seconde vie dans le héros ou dans le lis des vallées, mais la forme de la brute et les cailloux du chemin serviront de prison à l'âme du méchant (4).

Le bien et le mal s'offrent à l'homme, l'homme peut s'attacher à l'un ou à l'autre.

Le pommier est l'arbre de la science (5).

(1) Parietibus includendos deos quibus omnia deberent esse patentia negabant. Ciceron de nat. deor.

(2) Lucain. Diodore. Eutrope. Greg. de Tours. Ammien 1. XV, Marcel, orig. de la mon. fr. Diodore 1. 5,

(3) Le serpent était l'un des emblèmes mystiques des druides, qui nourrissaient des serpents sacrés. Chant d'Uther-pen-dragon.

(4) Voir les tryades dans le mystère des Bardes de Bretagne. Pictet. (5) Ibid.

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