Page images
PDF
EPUB

Le silence, à ce mot, régna dans la nuit close; Et quand l'aube sortit de son bleu pavillon,

Au sein argenté de la Rose

Ne dormait plus le Papillon...

LE DRUIDE.

ÉTUDES DE MOEURS GALLO-ROMAINES EN SÉQUANIE,

Par M. le vicomte CHIFLET.

I.

L'an 800 de Rome, aux derniers jours des ides d'Auguste, les eaux refoulées du Dubis blanchissaient de leur écume les nombreuses proues qui, remontant son cours, arrivaient au port de Vesontio. Entre les élégants frontons des temples d'Apollon et de Mercure et les cintres magnifiques de l'amphithéâtre d'Auguste (1), cette brillante flottille, s'avançant sur la verte nappe du fleuve, offrait à la foule assemblée un coup d'œil à la fois superbe et charmant.

Toutes couvertes de voiles de pourpre et de couron

(1) Le temple d'Apollon était situé sur la rive gauche du Doubs, sur l'emplacement du couvent des Cordeliers: sur la rive droite, presqu'en face du précédent, s'élevait celui de Mercure Cissonius. (Documents inédits, t. 11 p. 229. Dissertation de Dom Berthod sur les diverses positions de Besançon.)

L'amphithéâtre construit par les soldats du Nil, sous Auguste, s'étendait en ellipse dans les fossés actuels entre la porte d'Arènes et l'extrémité de la rue de ce nom.

nes de fleurs, ces riches nefs portaient sur leurs rostres d'azur et d'or de petits autels de bronze, où des prêtres en longues robes blanches faisaient, au chant des hymnes, fumer l'encens en l'honneur d'un dieu nouveau.

Ce dieu, c'était Tibérius Claudius César, qui, né à Lugdunum et ami des Gaules, venait de leur obtenir une faveur longtemps espérée, l'entrée au sénat de Rome! Les Pères Conscrits n'avaient pu refuser ce décret important aux instances du maître du monde.

Comme tous les grands de la Chevelue, les riches patriciens de Séquanie s'étaient hâtés d'aller rendre gråces à l'autel d'Auguste (1). Des fêtes splendides avaient eu lieu; chacun avait déposé son offrande, et, gravés sur des tables de bronze, le discours et le décret, sources des récentes faveurs, avaient été solennellement suspendus dans le temple (2). Puis, toute cette pompe, remontant les fleuves de la Gaule, rentrait dans les cités.

C'était là cependant la joie d'un petit nombre; que l'opulent Decmanus, que le très-noble Julius Vivixtus fussent appelés à chausser le brodequin sénatorial et à se draper du laticlave; que Sextus Balbinus et Décimus Paternus eussent le droit de se faire saluer du titre de Pères Conscrits par leurs clients ou dans les vers de leur

(1) Autel élevé par Drusus, beau-frère d'Auguste au confluent du Rhône et de la Saône. Cet autel, sur lequel les empereurs étaient divinisés, était tellement honoré par la servilité et la flatterie gauloises, que l'on ne disait plus ara Augusti mais simplement ara l'autel, l'autel par excellence.

(2) Les tables Claudiennes conservées au musée de Lyon.

barde familier (1), cela n'importait point ou cela n'importait guère à la masse du peuple Séquanais, et, pour celui-ci, il fallait chercher ailleurs la raison d'aimer et de bénir César. Mais Claude, en donnant aux grands, n'avait point oublié les petits, et, si la gratitude patricienne avait célébré de somptueuses fêtes, l'humble foyer du pauvre reconnaissant comptait aussi dans son laraire un dieu de plus.

Béni soit le fils de Drusus! disaient de pauvres mariniers occupés à décharger de lourds sacs de sel de Lédo, (2) tandis que les barques de fête dont nous avons parlé faisaient leur entrée dans la cité. Béni soit le fils de Drusus! Si ce que dit Popillius est vrai, notre vie ne sera donc plus au caprice du maitre et le bien-être enfin pourra nous venir.

Popillius le foulon, qu'a-t-il dit (3) ?

- Voici les décrets de Claude affichés à Rome, affichés au forum vetus (4) et qui vont l'être dès aujourd'hui sur les murs de Vesontio : le maître tuant son es

(1) A la décadence du Druidisme, les Bardes, si longtemps vénérés du peuple et regardés par eux comme inspirés, descendirent jusqu'à se faire les parasites et les flatteurs des grands à la louange desquels ils composaient pour de l'or des vers qu'ils chantaient aux festins. (2) Lons-le-Saunier.

(3) L'on voit à la Guillotière une pierre antique attestant l'existence d'un Séquanais du nom de Popillius, citoyen de Lugdunum et fabricant d'étoffes velues (foulon).

(4) Forum vetus. Fourvières, place principale du Lyou antique.

clave abandonné à Esculape est déclaré homicide; l'esclave devient inviolable par l'attouchement de la statue de César; il ne sera plus jeté aux bêtes et le magistrat veillera à ce que la nourriture ne lui soit plus cruellement mesurée (1).

-Ah! s'il en est ainsi, l'avare Cantoricus va donc comparaître devant le préteur pour Acos et sa vieille mère morts de faim au fond de son ergastule (2).

- Et le pauvre Noson livré à la meute de Decmanus sera enfin vengé !

Cela devrait être sans doute si les lois étaient toujours respectées. Malheureusement nous savons trop comment les Licinius obtiennent grâce (3).

Mais! voyez donc ! Que se passe-t-il sur le pont d'Auguste (4)?

[ocr errors]

Eh! par Mercure! ce sont des gardes qui conduisent un homme enchaîné. Serait-ce déjà le meurtrier d'Acos ?

Vive César! Si cela était! Allons voir!

Et, quittant leur travail, ceux qui parlaient ainsi couMais, au lieu d'orgueilleux patriciens

rurent.

[ocr errors]

.

[ocr errors]

(1) Edit de Claude, an 47. Suétone 25 Dion IX Modest. in digest. IX tit VIII. 2. Sénèque de benef. III. 22. de clem. 1, 18. Loi petronia. Sénèque de benef. Juvenal XIV. 126.

(2) Lieu souterrain où l'on enfermait les esclaves pendant la nuit. (3) Licinius, fameux exacteur du temps d'Auguste, qui obtint grace en livrant à ce prince l'or qu'il avait volé à la Gaule.

(4) Nous avons cru pouvoir nommer ainsi le pont de Vesontio : tout tend à faire croire qu'il fut construit sous le règne d'Auguste. Voir le savant ouvrage de M. Clerc: la Franche-Comté représentée par ses ruines, p. 18.

« PreviousContinue »