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Quand on songe, d'ailleurs, Messieurs, que les manu. scrits de ces beaux livres qui ont produit cette merveilleuse métamorphose nous ont été transmis primitivement et avec le plus grand soin par les Pères de l'Eglise; quand on songe qu'ils n'ont échappé à la destruction que par une espèce de miracle dans les temps d'ignorance et de barbarie qui ont si longtemps pesé sur l'Occident; quand on songe qu'à ces époques d'anarchie et de guerres perpétuelles, ils n'ont pu trouver d'asile que dans les couvents des cénobites; que les abbés de ces couvents les achetaient à prix d'or, pour les faire copier par les moines eux-mêmes, afin de les conserver et de les multiplier, qui pourrait croire, en présence de ce fait providentiel, que ces livres n'étaient qu'une machine de guerre réservée par la religion elle-même pour battre plus tard en brêche la morale et la foi?

Et si après le grand siècle de Louis XIV, si éloquent, si poétique et en même temps si religieux, la foi et les mœurs ont eu à gémir sur les atteintes qui leur ont été portées par quelques écrivains, n'attribuons pas à l'étude des lettres un mal qui appartient à un ensemble d'autres causes qui lui sont étrangères : dans tous les cas, gardonsnous de faire retomber sur les lettres l'abus qu'on a pu en faire, et n'oublions pas qu'il en est souvent de certains esprits, comme de certains estomacs malades, qui convertissent en poisons les aliments les plus sains: Corruptio optimi pessima.

Maintenant, Messieurs, si des hauteurs où nous avons pris nos autorités et nos exemples, nous descendions dans une sphère plus modeste, si nous portions nos re

gards autour de nous, dans la société dans laquelle nous vivons, combien ne verrions-nous pas d'hommes distingués qui font des lettres ou leur occupation ou leur délassement, édifier, malgré l'anathème porté contre elles, leurs concitoyens par la pratique de toutes les vertus chrétiennes et par leur fidélité à remplir les devoirs imposés par la religion.

Nous ne songeons pas ici, Messieurs, à nous appuyer sur de nobles exemples qu'il nous serait si facile de rencontrer non loin de nous. Mais qu'il nous soit permis, du moins, de terminer ce long discours par une preuve frappante de la vérité de la thèse que nous soutenons, l'alliance du culte des lettres avec la foi religieuse. Cette preuve, je la puise dans la vie honorable d'un de vos membres, qu'une mort prématurée a enlevé d'une manière si prompte, si imprévue à l'Académie, dont il était un des membres les plus assidus, à la société qui l'estimait, à l'affection de son excellente famille, qui ne se consolera jamais d'une perte aussi douloureuse. Vous avez compris, Messieurs, que je veux vous parler du vertueux M. Gardaire, que tous vous avez aimé, parce que tous vous l'avez connu. Tous, vous avez su apprécier l'aménité de son caractère, les charmes de sa conversation, la sûreté de son commerce intime, la variété, l'étendue de ses connaissances, la portée profondément religieuse de son enseignement philosophique et sa piété aussi éclairée que sincère. Je me proposais, Messieurs, de vous lire aujourd'hui une notice biographique sur cet homme de bien; mais la thèse que j'ai essayé de traiter et que je n'ai cependant qu'effleurée dans ce discours, a

tellement dépassé par son étendue toutes mes prévisions que je me vois forcé d'ajourner cette notice à votre séance publique du mois d'août prochain.

La vie de M. Gardaire, cette vie toute littéraire et toute chétienne, proteste avec énergie contre la doctrine qui voudrait rendre l'étude des lettres responsable des désordres qui affligent trop souvent la société. Sa mort a été aussi sainte que sa vie avait été pure, et je me sens saisi d'une émotion inexprimable au moment de vous répéter les dernières paroles adressées par ce modèle des pères et des époux à sa famille en pleurs, alors qu'il venait d'accomplir les derniers devoirs du chrélien, devoirs qui firent constamment la règle, la force et la consolation de son existence tout entière: « Le bien, « a-t-il dit, a été l'unique but de ma vie. » Parole admirable, parce qu'elle est l'expression de la vérité et qu'elle vaut à elle seule l'oraison funèbre la plus éloquente qu'on pourrait prononcer sur une tombe!

DISCOURS DE RÉCEPTION

DE M. PAUL LAURENS.

MESSIEURS,

La distinction honorable que vous m'avez accordée m'impose des devoirs dont je comprends toute l'étendue.

J'arrive au milieu de vous sans aucun antécédent littéraire; je n'ai à invoquer aucun de ces titres, de ces succès incontestés qui justifient votre bienveillance et vos suffrages: j'ai tout à faire pour mériter cette bienveillance et ces suffrages, et en face d'une tâche aussi grande, je suis obligé de reconnaître et d'avouer mon impuissance.

Vous vous êtes rappelé sans doute, Messieurs, que mon père fut le fondateur de l'Annuaire statistique du département; vous vous êtes rappelé le cachet particulier qu'il donnait à ses travaux ; l'intérêt historique qu'il savait y attacher, et qui lui valut, dès 1822, l'honneur du fauteuil académique. La mort a interrompu en 1840, la série de ses publications parvenues alors au 28° volume. Appréciant tout ce qu'il y avait d'utile pour le pays dans un semblable ouvrage, je n'ai pas craint de me mettre à l'œuvre, et malgré les difficultés que m'op

posaient tout à la fois mon inexpérience, l'assujétissement résultant des devoirs de mon emploi, aussi bien que l'épuisement des matières susceptibles d'être traitées, j'ai pu conduire à sa 45° année l'Annuaire de notre département; mais c'est à peine si, dans cette période déjà longue de 17 années, j'ai fait preuve de bon vouloir; c'est à peine si j'ai réuni quelques documents d'une certaine valeur au point de vue plus spécial que vous considérez dans vos recherches et vos études; je ne fais pas de fausse modestie, quand je viens accuser devant vous mon insuffisance littéraire. Plus qu'aucun autre, Messieurs, j'ai besoin de toute votre indulgence; à côté des sentiments de la gratitude la plus vive, je n'ai à vous offrir que des habitudes laborieuses; un amour sincère de tout ce qui est beau, de tout ce qui est bon: je mets entièrement à votre service ce faible contingent de ressources, attendant de vos lumières des avis, des conseils, des leçons que je serai trop heureux de recevoir et que je m'efforcerai de mettre à profit.

La statistique, à laquelle je consacre de trop rares loisirs, est généralement accueillie en France, il faut le dire, avec peu de faveur. Elle inspire à peu près partout de la répugnance, du dégoût. Des esprits superficiels ne voient dans ses investigations que l'assemblage de chiffres obtenus à grand'peine; que des données incomplètes, variables du reste à l'infini, et ne méritant pas, par le fait, la moindre confiance. Si la statistique n'aboutissait qu'à de pareils résultats, nous nous expliquerions l'espèce de réprobation qui l'a atteinte.

Cependant s'il ne s'agissait jamais que de recen

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