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au langage du peuple; mais que quant à l'homme de discussion et au philosophe, c'était bien autre chose (1). Sous ce rapport, il se réservait la liberté de ne regarder tout au plus que comme plus ou moins probables ou improbables les choses que les autres tenaient pour certaines ou pour incertaines; Nos autem, ut cæteri qui alia certa, alia incerta esse dicunt, sic aliis dissentientes alia probabilia, alia contra improbabilia esse dicimus (Academ. lib. II).

Ainsi, la raison philosophique n'avait fait de ce beau caractère qu'un athée, un matérialiste et un hypocrite. Or, si la raison philosophique a fait cela de Cicéron, vous pouvez croire, sans scrupule, M. F., qu'elle en a fait de même de tous les autres philosophes, qui, Platon excepté, ne valaient pas Cicéron.

18. Voulez-vous voir, maintenant, quels ont été les fruits de la raison philosophique pour la société? La raison philosophique dans ces temps-là, ainsi que de nos jours, s'était posée comme l'institutrice du genre humain, sans que le genre humain en fût devenu plus instruit ni plus heureux. Le zèle de la

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(1) « Alia est subtilitas cum veritas ipsa limatur in disputatione, alia cum ad opinionem communem omnis accom«modatur oratio. Quamobrem, ut vulgus, ita nos hoc loco loquimur; popularibus enim verbis est agendum et usitatis « CUM LOQUAMUR DE OPINIONE POPULARI ( Ostic. I). »

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vérité toujours à la bouche et jamais dans le cœur, les philosophes, tout en faisant semblant de répandre la vérité, avaient passé toute leur vie à la combattre.

D'abord les philosophes, même les plus graves, sans excepter Platon, ont, nous l'avons vu, attribué à Dieu un corps; ont considéré la nature divine comme mêlée au monde entier et à toutes ses parties; ont regardé le soleil, les planètes, les étoiles, le ciel, la terre, comme des dieux; et par là, ainsi que Cicéron lui-même leur en a fait le reproche avant saint Paul, non-seulement ils ont été impuissants à détruire le polythéisme, mais ils ont puissamment contribué à confirmer les peuples dans les absurdités et les horreurs de l'idolâtrie; Vestri autem (Stoici) non modo hæc non tollunt, verumetiam confirmant (De Nat. Deor. I). D'un autre côté, ils ont entamé même ce qu'il y avait de bon et de vrai dans les croyances communes; ce qui, comme Bossuet l'a remarqué, faisait subsister une ombre, une apparence d'ordre et de justice dans les sociétés païennes.

Sous ces rapports, ce que l'idolâtrie avait commencé, c'est la philosophie qui l'a achevé. L'idolâtrie n'avait fait qu'obscurcir les vérités traditionnelles, n'avait fait que diminuer les vérités primitives, selon l'expression de l'Écriture-Sainte : Quoniam diminutæ sunt veritates a filiis hominis (Ps. XI, 2); la philosophie faillit les détruire. Sous prétexte de

répandre la lumière, elle n'a répandu que l'indifférence et l'incrédulité; et c'est un fait, M. C. F., c'est un fait d'une grande portée comme d'une incontestable vérité, que ce n'est pas des temples des idoles, mais bien des écoles des philosophes, que sont sortis l'idéalisme, le matérialisme, le scepticisme, le panthéisme, l'athéisme, qui ont détruit avec toutes les vertus toutes les vérités, les croyances et les mœurs. Les femmes d'Athènes et de Rome, portant sur leur poitrine l'image d'Épicure, et faisant voir par là qu'elles professaient la morale de ce philosophe, sont une preuve que c'est par l'influence des doctrines philosophiques que la corruption s'était incarnée dans le sexe, et avait gagné toutes les classes de la société.

C'est, du reste, Cicéron lui-même qui, comme on vient de le voir, a prononcé contre la raison philosophique le terrible arrêt qui la déclare coupable d'avoir, avec ses systèmes absurdes, ses affreux délires, ses disputes scandaleuses, fait plus de mal aux croyances et aux mœurs publiques que les poëtes eux-mêmes avec la douceur meurtrière de leurs fables licencieuses: Exposui non philosophorum judicia, sed delirantium somnia; nec enim multo absurdiora sunt ea quæ poetarum vocibus ipsa sua suavitate nocuerunt.

Gibbon, auteur qui n'est pas suspect, attribue lui aussi, à l'esprit d'incrédulité et d'athéisme que le philosophisme avait glissé dans le peuple, la déca

dence des mœurs à Rome, qui amena la décadence de l'empire.

Les peuples s'étaient étrangement corrompus, et dès lors la domination de stupides tyrans fut possible; car c'est la force qui domine naturellement la matière. Un peuple devenu matière, un peuple déchu de la dignité des mœurs n'échappera jamais au gouvernement du glaive. C'est ce qui a fait que ces peuples, jadis si fameux par leur civilisation, par la perfection de leurs arts, mais qui n'étaient plus que gangrène et pourriture, après avoir agonisé quelque temps entre le despotisme et l'anarchie, ont enfin été balayés par les barbares du Nord, moins polis par les arts, mais plus forts par les croyances et par les mœurs, et que Dieu avait chargés de la terrible mission d'effacer de la face de la terre le scandale de ces peuples corrompus de la plus incurable de toutes les corruptions, de la corruption de la civilisation, de la corruption des doctrines, et de la corruption de la philosophie.

Il est donc démontré, j'espère, que la raison philosophique des temps anciens a été abjecte dans son origine, vaine dans son fondement, absurde dans sa méthode, malheureuse dans ses résultats, funeste dans ses conséquences.

19. Mais à quoi bon, dira-t-on peut-être, toute cette longue discussion sur les écarts de la raison

philosophique des temps anciens? Qu'a-t-elle de commun avec la raison philosophique des temps modernes; et de quel poids peut-elle peser dans la grande question qui s'agite aujourd'hui entre le rationalisme et le catholicisme? D'un poids plus grand qu'on ne pense, M. F.; car écoutez :

D'abord Cicéron, si profondément instruit et si enthousiaste de la philosophie grecque, et écrivant sous les yeux des plus savants Romains, aussi instruits et aussi enthousiastes que lui de cette même philosophie, n'a pas voulu, n'a pas pu mentir dans tout ce qu'il a rapporté comme ayant été vraiment pensé et soutenu par les philosophes grecs. Leurs opinions philosophiques ont donc été vraiment celles que Cicéron leur attribue; et rien n'est plus certain que l'histoire hideuse qu'il nous a tracée de ces opinions.

En second lieu, les anciens philosophes ont certainement été coupables, ainsi que Cicéron et saint Paul leur en font le reproche, de s'être appuyés uniquement sur eux-mêmes, et d'avoir dédaigné toute autre lumière que la lumière de leur propre raison dans la recherche de la vérité. Mais il n'en est pas moins vrai que, dans cette voie fausse où ils se sont volontairement engagés, ils n'ont pas été tous de mauvaise foi; que, ainsi que Cicéron l'affirme avec serment par rapport à lui-même, ils ont été généralement sincères dans leurs affirmations; et que la connaissance de la vérité

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