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livre de Platon sur l'âme, voilà Cicéron qui constate la vanité de ce même livre, et son impuissance à produire la croyance à l'immortalité de l'âme; car il met dans la bouche de son auditeur cette confession désespérante: « Tu me conseilles de lire Platon pour me persuader de l'immortalité de l'âme. Je te jure que je l'ai fait, et plusieurs fois; mais je ne saurais m'expliquer comment il se fait que, pendant cette lecture, je crois, ce me semble, à l'immortalité; mais aussitôt que j'ai fermé le livre, et que je me mets à réfléchir sur ce que je viens de lire, cette croyance m'abandonne, et il n'en reste pas la plus légère trace dans mon esprit (1). »

Et, loin de s'étonner de ce phénomène, loin de trouver étrange l'incrédulité à l'immortalité de l'âme après la lecture de Platon, en qui il venait d'exalter la richesse des arguments et la force de l'éloquence, Cicéron trouve très-simple et très-naturelle cette incrédulité même après cette lecture; car il dit : « Tu as raison; en vérité, il est bien difficile de prouver par le raisonnement la permanence de l'âme après la mort (2).

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Ainsi voilà Cicéron qui démolit d'un coup de pied son Platon à l'endroit même où il l'avait élevé si

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(1) « Auditor. Feci, me hercule, sæpius; sed nescio quo

modo, dum lego, assentior; cum posui librum, et mecum ipse « de immortalitate cœpi cogitare, assensio omnis illa dilabitur. » (2) « Arduum est exponere animos post mortem remanere (Ibid.) ».

haut. On dirait même que Cicéron n'a loué le livre de Platon, comme l'écrit le plus solide en faveur du dogme de l'immortalité, que pour mieux constater, par le peu d'impression que cette lecture fait sur l'esprit de son auditeur, la faiblesse des arguments purement philosophiques pour bien asseoir dans les esprits une croyance quelconque. Il faut même avouer que rien n'est plus artificieux, plus délicat, et en même temps plus frappant, que cet admirable morceau, pour démontrer la vanité, la misère, l'impuissance de la raison philosophique prétendant marcher seule à la conquête de la vérité.

16. Il en a été de même sur la grande question du SOUVERAIN BIEN, qui, d'après Cicéron même, est la règle de la vie et le fondement de tous les devoirs; In quo tota vitæ ratio continetur.

Pour Hérille, le souverain bien consiste dans la science; pour Théophraste, dans la richesse; pour Pyrrhon, dans l'apathie; pour Zénon, dans l'indifférence; pour Callisthène, dans l'absence de toutes les douleurs; pour Aristippe, dans la possession de tous les plaisirs; pour Aristote, dans les jouissances de l'esprit; pour Épicure, dans les jouissances du corps. Et quoique Platon et Cicéron aient placé le souverain bien dans la vertu et dans l'honnêteté de la vie, cependant, comme ces mots de vertu et d'honnêteté, sous la plume de ces grands écrivains, étaient d'une étonnante élasticité, ils n'ont pas

empêché ces grands hommes d'encourager tous les désordres et de sanctionner tous les vices.

L'on sait que pour Platon c'étaient des choses légitimes que les amours masculins et la communauté des femmes. Cicéron approuve la vengeance; Zénon, le suicide; Sénèque, la prostitution; et d'autres, l'infanticide, l'adultère, l'assassinat. Le vertueux Caton plaçait, par son exemple, le souverain bien, savez-vous où? Dans l'ivresse; puisque Horace, son panégyriste, nous a dit que le grand Caton, ce grand saint du paganisme, n'était au fond qu'un ivrogne ne puisant que dans le vin la force de son âme et de sa vertu; Narratur et prisci Catonis sæpe mero caluisse virtus (Horat. Od.)

Je veux bien vous épargner, M. F., le dégoût de connaître la morale qui devait nécessairement résulter de pareilles idées sur la question du Souverain Bien. Un mot vous dira tout: Comme chez les anciens philosophes et il en est de même chez les modernes-toute la métaphysique n'était qu'idéalisme ou matérialisme, de même leur morale n'était au fond qu'orgueil ou volupté.

Ainsi, après tant de siècles d'études, de recherches, de voyages, de disputes, de raisonnements, la raison philosophique de ces temps-là ne sut résoudre aucune question, ne sut établir aucune vérité, et a, au contraire, patronné toutes les erreurs et tous les vices.

En effet, par rapport à la question de l'existence et de la nature de Dieu, Cotta, personnage savant et grave, introduit comme interlocuteur dans les dialogues de Cicéron sur la Nature des Dieux, s'exprime en ces termes : « Voilà ce que j'avais à vous « dire sur la nature des dieux; non pour établir qu'il <«< ne faut pas y croire, mais afin que vous compre<< niez combien cette question est obscure, et com<«< bien il est difficile d'établir à ce sujet rien de <«< certain (1). » Et Cicéron lui-même a terminé ses trois livres sur ce même sujet par ces mots, qu'on ne peut lire sans se sentir le cœur navré à la vue de cette profonde misère de la raison humaine : Après cette discussion nous nous sommes sé

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parés, à peu près dans les dispositions dans les

quelles nous nous étions réunis. Car Velléius (épicurien) jugea plus vraie l'argumentation de « Cotta (soutenant qu'on ne pouvait rien décider sur <«<les dieux); et moi je trouvai plus vraisemblable «<le discours de Balbus (admettant un Dieu) (2). C'est-à-dire que le résultat d'une dispute si longue et si sérieuse entre les plus savants philosophes de Rome a été de constater que la raison à elle seule

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(1) « Hæc fere dicere habui de natura deorum; non ut eam tollerem, sed ut intelligatis quam esset obscura et quam difficiles explicatus haberet (Liv. III). »

(2) « Hæc cum essent dicta, ita discessimus ut Vellejo Cotta disputatio verior, mihi Balbi ad veritatis similitudinem vide« retur esse propinquior (Ibid.). »

ne peut rien décider de certain, qu'elle ne peut parvenir qu'à des probabilités plus ou moins grandes, à de vagues opinions sur Dieu. Était-ce la peine de bavarder tant pour conclure si mal et obtenir si peu?

Par rapport à la question, Si l'homme a ou non une âme, et si cette âme survit au corps; nous venons de voir aussi que la raison philosophique ancienne a déclaré qu'un Dieu seul peut décider cette question, l'homme ne le pouvant pas (1).

C'est une décision tout à fait identique que la même raison a prononcée sur la question du bien et du mal, ou de la fin de l'homme, qui est le fondement de la moralité de toutes les actions. C'est-àdire qu'il n'y a pas de question sur laquelle les opinions des philosophes soient plus discordantes que sur celle-ci ; et par cela même il n'y en a pas sur laquelle l'incertitude soit plus complète et l'ignorance plus profonde (2).

Enfin, à l'égard des moyens généraux de parvenir à la vérité par la raison seule, la dernière école philosophique de l'antiquité, celle de Cicéron, qui, sans être la plus riche de vérités, a été

(1) « Harum sententiarum quæ vera sit Deus aliquis viderit. (Loc. cit.). »

(2) « Quid habemus in rebus bonis et malis explorati? Nempe « fines constituendi sunt ad quos et bonorum et malorum « summa refertur. Qua de re est igitur, inter summos viros major dissentio (Acad. I)? »

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