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<< Pour le Crotoniate, le soleil, la lune, toutes les étoiles et toutes les âmes des hommes sont des dieux. Mais peut-on souffrir une pareille extravagance qui attribue à des choses mortelles la divinité et l'immortalité (1) ?

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Pythagore croit que Dieu est une grande âme, infuse et mêlée à la nature corporelle tout entière; et que de cette âme, comme des parties détachées d'un tout, naissent nos âmes; de sorte que ce pauvre Dieu est obligé à se voir à chaque instant déchirer et mettre en lambeaux. Et d'ailleurs Pythagore aurait à expliquer comment l'homme est si ignorant peut-il rien ignorer, l'être qui est une partie de Dieu et Dieu luimême (2)?

Xénophane affirme que Dieu est tout ce qui est infini, uni à une intelligence. Cette opinion, d'un côté, est aussi absurde que celle des autres puisqu'elle admet une intelligence sentant, quoiqu'elle n'ait pas de sens; et, de l'autre côté, cette opinion est plus absurde que celle des autres,

(1) « Crotoniates qui soli et lunæ, reliquisque sideribus ani<«< moque divinitatem dedit, non sensit sese mortalibus rebus << immortalitatem dare (Ibid.). »

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(2) Pythagoras, qui censuit animum esse per naturam rerum « omnem intentum et commeantem, ex quo animi nostri ca

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<< perentur, non vidit, distractione humanorum animorum discerpi et dilacerari Deum. Cur autem quidquam ignoraret animus hominis, si Deus esset (Ibid.)? »

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parce que l'infini ne peut pas être sensible ni composé (1).

« Parménide, en partant de la similitude de la couronne, a imaginé je ne sais quoi d'entièrement poétique et factice, qu'il appelle stéphanon (mot grec signifiant couronne). Ce stéphanon est l'orbite de l'univers, contenant la lumière et la chaleur, et environnant le ciel; et c'est cette orbite qui, pour Parménide, est Dieu. Pour moi tout cela est un jeu d'imagination; je n'y puis y voir d'aucune manière ni la figure ni le sens de Dieu (2).

«. Quant à Empedocle qui a fait quatre dieux des quatre éléments dont se composent les choses, tout en croyant avoir mieux raisonné que les autres, il s'est trompé plus honteusement que les autres. Car il est évident que ces quatre éléments naissent et meurent ; et par cela même il est évident qu'ils ne peuvent pas être Dieu (3).

« Je mets hors de question Protagore; car, ayant

(1) « Xenophanes, qui, mente adjuncta, omne præterea quod « esset infinitum Deum voluit, de ipsa mente reprehenditur ut « ceteri. De infinito autem vehementius, in quo nihil neque << sentiens neque conjunctum esse potest (Ibid.). »

(2) « Parmenides commentitium quiddam coronæ similitu<< dine efficit; stephanon appellat, continentem ardore lucis or<< bem, qui cingit cælum, quem appellat Deum. In quo neque figu « ram divinam neque sensum quisque suspicari potest (Ibid. ). (3) « Empedocles in deorum opinione turpissime labitur;

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« quatuor naturas, ex quibus omnia constare vult, divinas esse censet, quas el nasci et extingui perspicuum est (Ibid. ).

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dit qu'il ne sait rien de certain à l'égard des dieux, ni s'il y en a ou s'il n'y en a pas, ni ce qu'ils peuvent être, il donne assez à croire qu'il n'admet point de divinité (1).

« Nous en ferons de même à l'égard de Démocrite; car lui aussi, ayant soutenu qu'il n'y a rien d'éternel, tout étant variable et changeant, il a ôté Dieu du monde, de manière à n'en laisser aucune trace (2).

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14. Mais l'interlocuteur de Cicéron va encore plus loin; et il remarque que, dans cette importante question, les philosophes, en ne suivant tous que leur propre raison, sont en plein désaccord nonseulement chacun avec tous les autres, mais aussi chacun avec lui-même. De sorte que non-seulement ce qui est vrai pour un philosophe ne l'est pas pour un autre, mais ce qui pour un philosophe est vrai aujourd'hui ne l'est pas le lendemain, c'est-àdire que les opinions que se forme la raison toute seule sont aussi inconstantes qu'elles sont incertaines.

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«< Si, pour prouver, dit-il, l'inconstance des phi

(1) « Neque vero Protagoras, qui sese negat de diis habere

quod liqueat, sint, non sint, quodque sint, quidquam videtur << de natura deorum suspicari (Ibid.). ›

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(2) « Quid Democritus? Cum neget esse quidquam sempi

<< ternum, quia nihil semper suo statu manet; Deum ita tollit

«

omnino, ut nullam opinionem ejus reliquam faciat (Ibid.).

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losophes dans leurs propres opinions, je voulais faire l'histoire des variations de Platon, je n'en finirais jamais. Il suffit de remarquer que dans le même livre intitulé le Timée, et dans le même livre des Lois, tantôt il est évident pour Platon que Dieu, le père de ce monde, est l'être qu'on ne peut pas nommer, qu'on ne doit pas même essayer de connaître ce qu'il est; et tantôt il est aussi évident, pour le même Platon, que Dieu peut être nommé, et qu'on peut affirmer ce qu'il est. Car c'est Platon qui dit que l'univers entier, le ciel et la terre, les astres et les âmes des hommes, sont Dieu. Quant à moi, je ne vois rien d'évident dans tout ceci que la légèreté, la contradiction, et la niaiserie (1).

<< La raison de Xénophon, son disciple, n'est pas moins inconstante. Lui aussi tantôt fait dire à Socrate qu'on ne doit pas examiner de quelle forme est Dieu; et tantôt il dit que Dieu n'est que le soleil, dont la forme nous est connue. Tantôt Dieu n'est qu'un, pour Xénophon; et tantôt il y a pour lui aussi plusieurs dieux. Tout cela est de la même force que l'opinion de Platon, que je viens de rap

(1) « De Platonis inconstantia longum est dicere; qui, in « Timæo, patrem hujus mundi nominari negat posse; in « Legum autem libris, quid sit omnino Deus, inquiri oportere « non censet. Idem in Timæo et in Legibus dicit et mundum « Deum esse et cælum et astra et terram et animos. Quæ et per « se sunt falsa perspicue, et inter se vehementer repugnantia (Ibid.). ›

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peler, et mérite qu'on en fasse le même cas (1). Mais, en fait de changement d'avis sur ce même sujet, personne ne saurait surpasser Aristote, si nombreuses et si contradictoires sont ses opinions sur Dieu, que cependant il nous présente toutes et toujours comme également vraies et également certaines. Car, pour Aristote, tantôt la Divinité n'est qu'une intelligence, et tantôt elle n'est que le monde; tantôt, outre l'intelligence-Dieu et l'intelligence-monde, il y a un autre Dieu qui préside au monde et à l'intelligence; et tantôt Dieu n'est que le feu céleste. Mais Aristote, qui a tout vu par sa raison, n'a pas vu ce que je vois par la mienne, à savoir qu'il est en contradiction ouverte avec lui-même. Car le ciel n'est, au fond, qu'une partie de ce même monde dont Aristote a fait ailleurs un seul Dieu (2).

Xénocrate, condisciple d'Aristote, sans être plus ferme que lui dans ses évidences, est plus fou que lui dans ses extravagances. Il était certain pour

«

(1)« Xenophon eadem fere peccat; facit enim Socratem disputantem formam Dei quæri non oportere; eumdemque solem

« et animum Deum dicere; et modo unum dicere Deum, modo « plures, quæ sunt in eisdem erratis fere ac ea quæ de Platone diximus (Ibid.). »

(2) « Aristoteles quoque multa habet; modo enim menti « tribuit omnem divinitatem, modo mundum Deum dicit esse; « modo quemdam alium prælicit mundo. Tum cæli ardorem « Deum dicit esse; non intelligens cælum mundi esse partem quem alio loco ipse designavit Deum esse (Ibid.). »

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