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pour parvenir à la vérité, ne rencontre le plus souvent que l'erreur (1).

Qu'est-ce, en effet, que nous voyons arriver au milieu des raisonnements et des disputes qui ont lieu parmi les hommes? On voit ceux même qui se disent des savants se faire mutuellement une guerre acharnée, et enseigner, avec le même empressement, avec la même chaleur, des doctrines diamétralement opposées. On voit les plus grands esprits tomber dans de déplorables erreurs. Parce que, avec beaucoup de principes vrais, on en adopte bien d'autres qui sont faux, et que l'hallucination fait regarder comme vrais, on établit sur ces principes une démonstration qui paraît juste et légitime, tandis qu'elle est fausse ou absurde, n'ayant pour fondement que de vagues probabilités ou des sophismes manifestes. C'est pour cela que la raison n'a plus de confiance dans la raison; les démonstrations même ne démontrent pas une crainte secrète qu'elles ne soient fausses les accompagne toujours; et les vérités mêmes qu'on parvient à découvrir par le raisonnement sont regardées comme douteuses et incertaines, adoptées provisoirement non comme des dogmes, mais comme de simples opinions (2).

(1) « Tertium inconveniens est quod investigationi rationis hu. «manæ plerumque falsits admiscetur, propter debilitatem in<< tellectus nostrî in judicando, et phantasmatum admixtionem. » (2) « Et ideo in dubitatione remanerent ea quæ sunt veris

Afin donc que les hommes pussent connaître Dieu avec une certitude immuable et parfaite, il a été nécessaire que cette grande et importante vérité leur fût apprise par le moyen de la révélation et de la foi (1).

Voilà donc, conclut saint Thomas, comment s'éclaircit le miséricordieux dessein de la clémence de Dieu, révélant et proposant à notre foi, non-seulement les vérités qui surpassent la portée de la raison et que la raison ne peut jamais atteindre, mais les vérités même qui sont accessibles à la raison. Par ce moyen seulement tous les hommes n'ont qu'à vouloir; et en peu de temps, sans travail, sans peine, sans aucun danger de tomber en erreur, et avec une sécurité pleine et parfaite, ils peuvent participer à la connaissance de Dieu et de toutes les vérités qui en découlent, en un mot, de la vraie religion (2).

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<< sime demonstrata, dum vim demonstrationis ignorant, et præcipue cum videant a diversis diversa doceri. Inter multa << etiam vera quæ demonstrantur immiscetur aliquando falsum quod non demonstratur, sed aliqua probabili vel sophistica << ratione asseritur, quæ interdum demonstratio reputetur. »> (1) « Et ideo oportuit per viam fidei, fixa certitudine ipsam veritatem de rebus divinis hominibus exhiberi. »

(2)

<< Salubriter ergo divina providit clementia ut ea etiam « quæ ratio investigari potest, fide tenenda præciperet : ut sic

« omnes de facili, possent divinæ cognitionis participes fieri, et absque dubitatione et errore. >>

Saint Thomas, en discutant ailleurs cette proposition, Si c'est une idée cognoscible par elle-même que DIEU EST; Utrum

D'après cette imposante argumentation, il est évident, d'une évidence mathématique, que, même par rapport aux vérités les plus accessibles à la raison, et qui ne surpassent pas la raison, comme la vérité de l'existence de Dieu et de ses principaux attributs, la méthode du raisonnement et de l'observation privée est : 1° une méthode longue, laborieuse,

Deum esse sit per se notum? prouve que cette idée est cognoscible par elle-même, en elle-même, en tant que dans cette proposition, Dieu est, ce qu'on affirme de Dieu est Dieu lui-même, car Dieu est son propre être; Hæc propositio, DEUS EST; quantum in se est, per se nota est, quia prædicatum est idem cum subjecto: Deus enim est suum esse; mais, par rapport à nous, cette même proposition n'est pas cognoscible par elle-même, parce que nous ne savons pas ce que Dieu est; Sed quia nos nescimus, de Deo quid est, non est nobis per se nota, sed indiget demonstrari.

Il est vrai, ajoute saint Thomas, que nous avons naturellement insérée dans l'âme la connaissance que Dieu est; mais cette connaissance nous ne l'avons qu'en commun, et confondue avec le sentiment de notre béatitude, qui nous est naturel; parce que Dieu est la béatitude de l'homme, et que l'homme connaît naturellement ce que l'homme désire naturellement; Cognoscere Deum esse in aliquo communi, sub quadam confusione, est nobis naturaliter insertum, in quantum, scilicet, Deus est hominis beatitudo, homo enim naturaliter desiderat beatitudinem, et quod naturaliter desideratur ab homine, naturaliter cognoscitur ab eodem. Mais ce n'est pas connaître précisément et distinctement que Dieu est; de même que, en regardant de loin quelqu'un qui vient vers nous, nous voyons que c'est un homme, mais nous ne distinguons pas, nous ne savons pas que c'est Pierre qui s'avance vers nous, quoique ce soit vraiment lui; Sed hoc non est simpliciter cognoscere, Deum esse : sicut cognoscere venientem non est cognoscere Petrum, quamvis veniens sit Petrus (I., p. q. II. art.).

difficile; Vix post longum tempus pertingerent. 2o C'est une méthode fort restreinte, particulière, et ne pouvant être suivie que par un très-petit nombre d'hommes; Non nisi paucis. 3° C'est une méthode dangereuse, sujette à erreur; Veritati plerumque falsitas admiscetur. 4° Enfin, c'est une méthode variable, discordante, et par cela même incertaine et douteuse; A diversis diversa doceri. Verissime demonstrata in dubitatione manerent.

Mais la méthode de la raison philosophique n'est que la méthode du raisonnement et de l'observation privée. Donc la méthode de la raison philosophique est une méthode impraticable pour l'immense majorité des hommes; propre seulement au très-petit nombre, ne menant même ce très-petit nombre à la vérité qu'à travers des difficultés immenses; ne pouvant jamais atteindre cette vérité d'une manière certaine, et sans mélange d'erreur.

Or une pareille connaissance de la vérité n'en est pas une. Connaître la vérité d'une manière incertaine, et sans pouvoir la dégager, la distinguer de l'erreur, c'est ne pas la connaître du tout. La méthode donc de la raison philosophique est, d'un côté, en opposition flagrante avec la condition générale, avec les besoins impérieux de l'humanité, et, de l'autre côté, insuffisante, inepte, illusoire, trompeuse; elle ne mène, en réalité, qu'au doute, à la négation, à l'indifférence, au désespoir de toute vérité; et son der

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nier mot n'est que scepticisme. Il n'en faut donc pas davantage pour affirmer, sans craindre d'être démenti, que la raison philosophique est absurde dans sa méthode.

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10. L'un des prétendus philosophes du dernier siècle (Rousseau) a cependant prononcé une grande et importante vérité, lorsqu'il a dit : « Je crois que la parole était nécessaire pour inventer la parole. Et comment, en effet, les hommes auraient-ils pu s'entendre, s'accorder, convenir entre eux pour l'invention de la parole, sans avoir eu préalablement un moyen de communication mutuelle de leurs pensées et de leur volonté, c'est-à-dire sans avoir eu la parole?

Or je crois qu'on peut dire avec autant de raison : que la vérité était nécessaire pour inventer la vérité. Car l'homme ne peut découvrir aucune vérité de l'ordre intellectuel et moral, sans s'appuyer sur une autre vérité du même ordre qu'il n'a pas inventée, mais qu'il a reçue. Comme ses découvertes, dans l'ordre physique, ne sont que des déductions, des applications de faits précédemment connus; de même, les vérités qu'il parvient à formuler dans l'ordre intellectuel ne sont que des déductions, des applications de vérités précédemment révélées.

L'existence de Dieu est la première, la plus importante de toutes les vérités et cependant, si Dieu

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