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Or cela seulement, qui concilie à l'homme le respect, la vénération de Dieu - c'est le mot de l'Écriture Sainte peut aussi lui concilier le respect des hommes. Un portrait, quand on ignore le grand personnage qu'il représente, le grand artiste qui l'a tracé, n'a aucun prix. C'est ce qui arrive à l'homme lorsqu'on oublie qu'il est l'image de Dieu, tracée par Dieu lui-même. Il devient méprisable, il devient matière à être exploitée par la force brutale. Et, en effet, parcourez avec votre imagination la terre partout où on ignore que l'homme est l'image de la Trinité de Dieu, il y a ignorance de l'homme, mépris de l'homme, oppression de l'homme.

Si parmi nous nous voyons des hommes qui respectent l'homme, qui aiment l'homme, qui se dévouent pour l'homme; si nous trouvons parmi nous la véritable civilisation, qui n'est autre chose que L'AMOUR ET LE RESPECT DE L'HOMME POUR L'HOMME, c'est que nous sommes chrétiens, c'est que nous savons, c'est que nous croyons que l'homme est l'image précieuse de Dieu même; et c'est ce Dieu, daignant se faire représenter dans l'homme, qui fait notre honneur, notre dignité comme notre bonheur.

Qu'elle soit donc remerciée, qu'elle soit bénie cette Trinité aimable, cette indivisible Unité qui a usé envers nous de sa miséricorde, de sa bonté, au point d'avoir voulu se refléchir, se peindre, se

reproduire en nous comme dans un miroir, comme dans un portrait, dans toute sa magnificence, dans toute sa beauté; Benedicta sit sancta Trinitas atque indivisa Unitas, quia fecit nobiscum misericordiam suam (Offic. S. Trin.)

Nous venons de voir combien l'auguste mystère de la Trinité est admirable dans son image; voyons maintenant combien il est croyable même par ses incompréhensibilités. C'est le sujet de ma seconde

partie.

SECONDE PARTIE.

14. TL faut distinguer, dans l'économie de la trinité humaine, le fait et le comment. Quant au fait, il n'y a pas moyen de le mettre en doute : quelques instants de réflexion sur les opérations de notre propre esprit suffisent pour nous convaincre que le tout s'y passe comme je viens de l'exposer. Mais quant au comment, c'est bien différent. On ne sait, on ne saura jamais s'expliquer à soi-même comment l'intelligence engendre la pensée, et comment l'amour se produit de la pensée et de l'intelligence.

On ne sait, on ne saura jamais s'expliquer comment une seule et même âme est, en même temps, tout entière dans l'intelligence, dans la

pensée, dans l'amour. De sorte que la trinité humaine, tout en étant un fait incontestable, est et sera toujours un profond et impénétrable mystère. Ils sont donc bien simples, bien inconséquents ceux qui s'étonnent de ne pas comprendre la Trinité divine, lorsqu'ils sont obligés d'avouer ne rien comprendre à la trinité humaine; et de ne pas comprendre Dieu, lorsqu'ils sont obligés de reconnaître qu'ils ne se comprennent pas euxmêmes. Ne craignons donc pas de reconnaître et de proclamer tout haut que le mystère de l'auguste Trinité est incompréhensible.

Et comment comprendre, en effet, une nature, une, simple, indivisée et indivisible, ayant trois personnes, sans que l'unité de cette nature confonde les personnes, sans que la trinité de ces personnes divise la nature? Comment comprendre cette grande énigme d'un seul Fils épuisant une fécondité infinie, d'un seul Saint-Esprit terminant un infini amour? Comment comprendre, dans cette Trinité divine, le Père engendrant son Fils sans lui être antérieur dans le temps, le Fils engendré par le Père sans rapport de dépendance, le Saint-Esprit procédant du Père et du Fils sans infériorité de condition? Comment comprendre la même génération du Verbe toujours parfaite, et se répétant toujours; la même procession du Saint-Esprit, accomplie toujours et incessamment renouvelée?

Comment comprendre que dans cette Trinité se

trouvent des missions, mais sans sortie; des relations, mais sans sujétion; des oppositions, mais sans contrariété? Comment comprendre enfin que chacune des personnes divines a ses propriétés personnelles, et que cependant aucune d'elles n'est ni plus ni moins parfaite que les autres; que chacune de ces personnes est éternelle, toute-puissante, immense, est Dieu; et que cependant ce ne sont pas trois éternels, trois tout-puissants, trois immenses, trois Dieux, mais un seul et même Dieu éternel, tout-puissant et immense?

Ah! ici le théologien le plus instruit ne comprend rien de plus que le chrétien le plus ignorant; l'ecclésiastique, rien de plus que le laïque; l'homme fait, rien de plus que l'enfant ; le génie le plus élevé, rien de plus que la femmelette la plus idiote.

Ah! par rapport à ce mystère, tout entendement est obtus, toute raison est faible, toute capacité est restreinte, toute lumière est obscure, toute science est insuffisante, tout effort est impuissant, toute tentative est vaine, toute hardiesse est infructueuse. Les prophètes, auxquels Dieu avait révélé ce mystère, l'ont toujours représenté comme une lumière inaccessible, comme une énigme impénétrable, comme un abîme sans fond, un océan sans rivage, une extension sans limites, un chemin sans fin, comme un mystère où Dieu est le Dieu profondément caché en lui-même : l'ere tu es Deus absconditus (Isai., XLV, 15).

15. Mais, tout cela admis, avoué, je dis que, loin que l'incompréhensibilité de ce mystère en puisse affaiblir la vérité, il se présente à tout esprit raisonnable comme d'autant plus vrai, d'autant plus croyable qu'il est plus incompréhensible. Son incompréhensibilité même est la plus grande preuve qu'il n'est pas de la terre, mais du ciel; qu'il n'a pas été inventé par l'homme, mais révélé par Dieu.

Les philosophes anciens, selon la remarque de saint Thomas, ont connu certains attributs essentiels de Dieu que la foi catholique approprie aux personnes divines, comme la puissance, la sagesse et la bonté : Philosophi non cognoverunt nisi quædam essentialia quæ appropriantur personis, scilicet potentia, sapientia, bonitas; mais ils ne se sont jamais doutés de l'existence du mystère des personnes divines, ni de ce qui le constitue, c'est-àdire qu'ils n'ont jamais rien connu de ce qui est le propre de ce mystère, la Paternité, la Filiation, la Spiration: Sed non cognoverunt mysterium Divinarum Personarum per propria, quæ sunt Paternitas, Filiatio et Spiratio. Le Logos de Platon n'était pas une personne engendrée, mais la raison idéale par laquelle Dieu a tout fait.

C'est que la raison n'invente pas ce que la raison ne comprend pas.

La raison repousse tout ce qui l'abaisse, comme le cœur éloigne de lui tout ce qui le mortifie. C'est pour cela que toutes les religions de fabrique hu

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