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supportable, qui menace tous les vices, empoisonne tous les coupables plaisirs, écrase toutes les passions de l'homme, et répand l'amertume sur toute sa vie (1)?

La raison a donc beau nier, sophistiquer, chicaner, mentir à elle-même; elle ne peut empêcher que le grand fait d'une religion, d'une loi, toujours et partout la même quant à ses principes et à ses dogmes fondamentaux, obscurcie, voilée, corrompue, il se peut, mais jamais entièrement détruite, jamais effacée de la conscience de l'homme, ne dépose hautement en faveur d'une révélation primitive donnée de Dieu lui-même aux premiers jours du monde; propagée par le langage et la tradition dans tout le monde; conservée, maintenue par la puissance du même Dieu qui en est l'auteur, en dépit des efforts de l'incrédulité, de l'idolâtrie, des passions de tout le monde.

Ainsi, la raison religieuse des anciens temps, des

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(1) On connaît le canon que la Philosophie de Lyon a établi pour prouver la vérité du dogme de l'existence de Dieu, et qui plus directement encore regarde la vérité du dogme de l'éternité des peines. « Toute opinion, dit-elle, qui contrarie les passions, « SI ÉLLE EST FAUSSE, ne peut être que difficilement adoptée « même par un petit nombre d'hommes ; il est très-difficile qu'elle « soit suivie par plusieurs; il est impossible qu'elle soit acceptée par tous les hommes; et il est encore plus absurde d'ad<< mettre qu'elle ait pu rester ferme, stable, constante chez « tous les peuples de l'univers. » Rien n'est plus évidemment certain et plus certainement évident.

premiers philosophes chez les Hébreux (1) et chez les premiers peuples de l'Orient, s'appuyant sur ce fait si certain, si éclatant, si magnifique; ne marchant qu'à la lumière de cette tradition primitive, de cette foi universelle de l'humanité; travaillant à la maintenir vierge, pure de toute souillure, intacte de toute attaque de la part de l'orgueil de l'esprit et de la corruption du cœur; la raison religieuse des anciens temps, dis-je, se fondait sur le vrai, et était aussi ferme et solide dans sa base que souverainement utile et précieuse dans son but.

Mais la raison philosophique, partant du principe que tout, dans les croyances de l'humanité, était superstition et erreur; regardant le paganisme comme entièrement faux, même dans ses principes, tandis qu'il ne l'était que dans leur application et leurs conséquences; enveloppant dans un même dédain les dogmes antiques et les opinions de fraîche date, les croyances de la conscience universelle et les écarts de la raison particulière dont elles se séparaient si ouvertement, les vérités de la vraie reli

(1) Les livres sacrés des Hébreux, le livre de Job en particulier, le livre des Psaumes et les livres Sapientiaux sont, en même temps, des monuments infaillibles de religion et des travaux de la plus haute philosophie; l'inspiration divine, qui en forme la garantie et la base, n'empêche pas qu'on ne les regarde aussi comme les plus anciennes, les plus savantes et les plus magnifiques productions de l'esprit humain. Les premiers philosophes de l'Orient, les Chaldéens en particulier, ne s'appuyaient que sur les traditions religieuses.

gion et les erreurs ou les obscénités de la superstition, l'œuvre de la sagesse et de la bonté de Dieu, et l'œuvre des passions de l'homme; dès lors prétendant marcher seule, se suffire à elle seule pour découvrir toute vérité et fonder la religion; la raison philosophique, dis-je, se fondait par cela même dans le faux son fondement était aussi vain que son but était audacieux et chimérique.

Vaine dans son fondement, la raison philosophique était, en troisième lieu, absurde dans sa méthode.

9. Les principes de la raison philosophique ancienne, parfaitement les mêmes que les principes de la raison philosophique moderne, étaient : « que la << raison est capable par elle-même, parce qu'elle est, << et parce qu'elle peut naturellement, sans aide ni << assistance d'une raison étrangère et supérieure, «< arriver par le raisonnement à la connaissance de << toutes les vérités essentielles, soit intellectuelles, « soit morales. Dans ce système, aucune vérité, << tenant à la nature des choses, n'est au-dessus de << la portée qui appartient nécessairement à une intelligence même créée. Elle n'a donc besoin <«< d'aucun enseignement, sur aucun point, pour << être capable de tout connaître, au moins avec du << temps et de l'application. » C'est cela qu'un illustre et savant prélat de nos jours appelle le rationalisme absolu (Monseigneur l'évêque de Mon

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tauban, Lettre à M. Bonnetty, Ann. de philos. chrétien., quatrième série, tom. III, pag. 117 ).

A côté de ce rationalisme absolu il y avait, même chez les anciens, comme on le rencontre chez les modernes, un rationalisme mitigé, ou justemilieu, reconnaissant qu'il y a des vérités qui surpassent la portée naturelle de la raison, et dont la connaissance ne peut lui venir que par une lumière supérieure. Platon, Cicéron et Zénon font souvent cette remarque, et avouent cette impuissance de la raison humaine. Ce rationalisme mitigé n'accordait donc à la raison qu'une extension bornée, la puissance de découvrir non pas toutes, mais seulement quelques vérités, comme l'existence de Dieu, la création du monde, une loi morale, et l'immortalité de l'âme.

Or saint Thomas a, de toute la puissance de son génie, écrasé ce double rationalisme, et à démontré, d'une manière triomphante, l'absurdité des principes, l'outre-cuidance des prétentions de la raison philosophique, même modérée, par l'impuissance où elle est de parvenir, par ses seuls moyens, à la première vérité, à la connaissance de Dieu. Et voici son invincible argumentation, dont tous les efforts et les chicanes du rationalisme, quels que soient son nom et sa couleur, ne peuvent affaiblir la lumière ni ébranler la solidité.

On ne connaît, dit-il, que deux moyens pour parvenir à la possession de la vérité les recher

ches humaines et la révélation divine. Mais le moyen des recherches humaines n'est pas pratiquable, n'est pas sûr, n'est pas conforme aux besoins et aux conditions du genre humain. Prenez, par exemple, la première vérité, DIEU, le fondement de toute vérité et de toute religion. Distinguez, par rapport à Dieu, les notions qui surpassent la raison et qu'on ne peut nullement obtenir par la raison, comme la notion de la Trinité des personnes dans l'Unité de la nature; des notions accessibles à la raison, comme les notions de l'Existence et de l'Unité de Dieu. Or rien n'était plus conforme à la sagesse et à la bonté de Dieu que l'ineffable économie de sa providence, par laquelle il a fait connaître à l'homme, par voie de révélation, ces deux ordres, ces deux espèces de notions par rapport à luimême (1).

Si Dieu avait laissé aux recherches et aux investigations de la raison de chaque homme la tâche de se former les notions divines, même les plus faciles et les plus vulgaires, trois inconvénients s'ensuivraient (2).

(1) << Duplici igitur veritate divinorum intelligibilium existente, «< una ad quam rationis inquisitio pertingere potest, altera quæ <«< omne ingenium humanæ rationis excedit: utraque conve<< nienter divinitus homini credenda proponitur (Sum. Cont. Gentil., lib. I, c. 4 ). »

(1) « Sequerentur tria inconvenientia, si hujusmodi veritas « solummodo rationi inquirenda relinqueretur (Ibid.). »

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