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par cela même, la seule religion parfaite, la seule religion naturelle.

La mère qui apprend à son enfant à marcher et à parler, lui apprend des choses qu'il ne comprend pas, et surtout qu'il ne saurait apprendre tout seul, livré à lui-même; mais ce sont des choses très-naturelles, parce que ce sont des choses conformes à la condition de l'homme parfait, à laquelle il tend par sa nature. De même l'Église, tout en apprenant à l'homme de profonds mystères, des dogmes incompréhensibles, des lois sublimes et parfaites, qu'il n'aurait jamais su ni pu découvrir par lui-même, parce que tout cela est au-dessus de la portée de sa raison, de la faiblesse de son cœur, elle lui apprend des choses souverainement naturelles; car ces mystères, ces dogmes, ces lois, sont la manifestation fidèle de la nature de Dieu et de la nature de l'homme, et de leurs rapports. Et l'enseignement catholique, donnant la connaissance de ces mystères, de ces dogmes, de ces lois, et des moyens de les réaliser par l'action, est, par cela même, l'enseignement le plus naturel.

6. La grâce elle-même, l'action divine, immédiate de Dieu sur l'esprit et sur le cœur de l'homme, l'effusion, l'épanchement de l'amour de Dieu sur l'homme, est un phénomène surnaturel, car il dépasse le mérite, les forces, la dignité de la nature. Mais il n'est pas contre la nature, il n'est pas en de

hors de la nature, ou n'ayant aucun rapport secret, intime avec la nature de l'homme. L'état de grâce est un état auquel l'homme aspire, auquel l'homme tend, que l'homme cherche par l'instinct et le besoin de sa nature, quoiqu'il ne puisse pas l'atteindre par ses propres forces, puisque la grâce perfectionne l'homme, In virum perfectum (Eph., IV, 3), l'élève, le sanctifie et le fait heureux autant qu'il peut l'être sur cette terre. Dans ce sens, l'état de grâce lui est donc naturel; car rien n'est plus naturel à l'être et plus conforme à sa nature que tout ce en quoi il trouve son élévation, sa perfection et son bonheur.

C'est ce qui a fait dire à Tertullien que l'âme humaine est naturellement chrétienne: Testimonium animæ naturaliter christianæ. Eh oui, il y a dans l'esprit et dans le cœur de l'homme quelque chose d'analogue, de sympathique, de conforme à tout ce qui est chrétien. Et cela nous explique, en quelque manière, la facilité des triomphes de la gràce de la foi sur l'homme; la facilité avec laquelle les esprits humbles, dociles, parmi les infidèles, répondent à la parole de l'apôtre de Jésus-Christ, de l'envoyé de l'Église, d'un étranger, d'un inconnu, qui sait à peine bégayer leur langue, et est dépourvu de tous les prestiges sensibles, de toutes les ressources, de tous les moyens extérieurs par lesquels l'homme se recommande à l'homme, en impose à l'homme, et se rend maitre de l'homme.

Considérez l'aimant vous n'avez qu'à écarter tout ce qui s'interpose entre lui et le fer, et vous le voyez attirer à lui le fer, le saisir, s'y unir, se l'attacher. De même la grâce de la foi, annexée à la parole de l'apôtre chrétien, en éclairant l'homme docile à son action, en le sanctifiant, en l'élevant au-dessus de lui-même, écarte les empêchements des ténèbres, de l'orgueil, des passions qui s'interposent entre l'homme et la vérité; et l'homme, rendu par là à la liberté de ses instincts, de ses tendances, de ses inclinations, saisit à l'instant la vérité, s'y unit, se l'attache, s'y repose comme sur quelque chose qui contente, qui apaise, qui satisfait tous les besoins de son esprit et de son cœur; comme sur quelque chose qui est dans sa nature, qui est conforme à sa nature, qui est dans les exigences de sa nature, mais qui manque à sa nature; Testimonium animæ naturaliter christianæ.

Saint Thomas a défini la vérité : « L'équation << entre l'entendement et la chose, Equatio rei et «< intellectus. » Belle et magnifique définition. « On

dirait, s'écrie là-dessus un philosophe chrétien « (M. de Maistre), que la vérité s'est définie elle«< même. » Mais cette définition de la vérité en général, c'est aux vérités catholiques qu'elle convient d'une manière toute particulière. Ce sont ces vérités qui établissent une véritable équation entre l'esprit de l'homme et elles-mêmes. Ce sont ces vérités qui, reçues par l'homme, acceptées par

l'homme, contentent l'homme, le mettent en harmonie avec Dieu, avec les autre hommes, avec luimême, et obtiennent sans effort toutes ses sympathies et toutes ses affections; Equatio rei et intellectus.

7. Rappelez-vous cette sourde-muette dont naguère ont parlé vos papiers publics. Orpheline de sa mère depuis son enfance, et livrée à la merci d'un père voltairien et haïssant le christianisme, elle avait été élevée dans un éloignement absolu de l'Église, du prêtre, dans la plus complète ignorance de la religion. Heureusement on lui avait appris à lire. De sorte que le plus important des livres après l'Évangile, un catéchisme catholique étant tombé sous sa main, elle put le parcourir tout entier. Eh bien, rien que cette lecture lui suffit pour connaître la vérité de la religion catholique, pour la saisir, s'en pénétrer et l'aimer. La voilà à genoux aux pieds de son père, lui demandant, par des cris perçants, qu'on la menât à l'église, où elle n'avait jamais mis le pied. Cette grâce lui ayant enfin été accordée, aucune parole humaine ne saurait rendre les mouvements, les signes, les transports d'enthousiasme, de joie et de bonheur auxquels elle se livra en regardant pour la première fois l'image de Jésus-Christ crucifié. Tantôt elle se prosterne, le front sur la terre, et l'adore; tantôt par des regards affectueux elle paraît lui envoyer son cœur; tantôt

elle lui tend les bras, et, les croisant ensuite sur sa poitrine, l'embrasse de loin et de loin le presse sur son sein. Ses yeux tantôt témoignent l'allégresse, tantôt la douleur. Toute sa personne est hors d'ellemême, tous ses mouvements expriment le désordre. On aurait dit : «< Elle est folle, elle est ivre. » Eh oui, oui, c'était tout cela; mais c'était la sainte folie de la croix, l'ineffable ivresse de l'amour!

Elle demande et elle obtient d'emporter chez elle cette Image sacrée, et là elle renouvelle ses vifs transports pour l'Amour crucifié, et s'y livre tout entière. Rien ne peut lui faire oublier ni quitter pour un instant cet auguste symbole de la charité du Fils de Dieu mourant pour l'homme. Pendant le jour, le tenant toujours dans ses mains, tantôt elle tombe devant lui à genoux pour l'adorer, tantôt lui imprime des baisers d'amour, tantôt le presse étroitement sur son cœur; et pendant la nuit, le plaçant à son côté dans son lit, elle dort en l'aimant et l'aime en dormant. C'est l'histoire de l'épouse des Cantiques, où ces échanges de dévouement et d'amour entre le Christ et l'âme chrétienne ont été prédits et formulés dans un style mystérieux et divin.

Témoin de ces scènes si touchantes, le père de cette noble créature, en réfléchissant sérieusement là-dessus, se dit : « Il est impossible qu'une religion qui, à peine connue, saisit d'une telle manière l'esprit et le cœur de l'homme, et s'en

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