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Dieu suprême, il faut aussi honorer avec un culte religieux (1), toujours en son nom et à cause de lui, les esprits subalternes, les ministres dont il lui plaît de se servir dans le gouvernement du monde ; comme aussi les grands hommes qui, par la perfection de leur vie ou les services qu'ils ont rendus aux autres hommes, ont visiblement représenté ici-bas les plus beaux attributs et exercé la providence du Dieu invisible.

Ils ont, à peu près, cru tous et toujours : que l'humanité est déchue de sa perfection et de son bonheur primitif; qu'elle ne peut être réhabilitée que par le sacrifice du sang; que les mérites d'un être innocent, saint et parfait peuvent se reverser sur l'être imparfait, méchant et coupable; que celui-ci peut être racheté par le dévouement ou le sacrifice volontaire de celui-là; et que les dons des dieux et les grâces purement spirituelles se confèrent, se répandent sur les hommes par des moyens, des rites, des cérémonies corporelles et sensibles.

Ils ont cru tous et toujours: que la virginité est une vertu sublime qui rend l'homme agréable à Dieu; que le prêtre doit être plus ou moins chaste, selon les fonctions qu'il est appelé à accomplir dans l'exercice du culte ; qu'il y a un mérite réversible d'expiation dans la pratique volontaire de la

(1) Voyez le témoignage de Bossuet sur ce sujet, dans le morceau indiqué par la note précédente.

chasteté; que toute action coupable déplait à Dieu, et ne peut échapper à la punition de même que toute action vertueuse lui est agréable, et doit attendre sa récompense dans ce monde ou dans l'autre; qu'en l'autre monde il y a un paradis et un enfer, où les récompenses de la vertu et les châtiments du crime sont éternels.

Ils ont enfin tous et toujours cru que, outre le lieu des supplices éternels, il y a un lieu où les âmes des morts expient leurs fautes légères, sont purifiées par des privations et des souffrances temporaires; que dans cet état d'expiation et de souffrances elles peuvent être soulagées, et même délivrées entièrement par les sacrifices et les prières des vivants; que le corps de l'homme n'est pas moins que son âme destiné à l'immortalité, ati partage du bonheur ou du malheur éternel. La preuve en est dans les soins et le respect qui ont toujours et partout environné le cadavre de l'homme, dans les rites qui ont toujours et partout accompagné son enterrement, dans la profonde et universelle religion des tombeaux.

Certainement ces vérités n'ont pas été cruès toujours et partout, ni ces lois toujours et partout entendues, de la même manière. Selon la diversité des temps et des lieux, l'erreur s'est plus ou moins mêlée à la vérité, le vice aux lois. C'est, ainsi que l'Écriture-Sainte le laisse entendre l'œuvre du despotisme religieux de certains gou

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vernements, de la licence de la raison et des passions humaines. De là chez les anciens peuples cette différence prodigieuse de théogonies, de cultes, de mœurs, de religions. Mais il n'en est pas moins vrai que le symbole que je viens de tracer était, quant au fond, le symbole du genre humain, quoique plus ou moins défiguré, par des superstitions absurdes, dans ses conséquences et dans son application. Les dieux des Indous n'étaient pas les dieux des Mèdes et des Perses, pas plus que les dieux des Égyptiens n'étaient les dieux des Grecs et des Romains. Mais le Dieu suprême, incréé, éternel, tout-puissant, était partout le même, sous des noms différents et même sous des formes grossières ou absurdes; et Jéhova, que les Juifs seulement connaissaient dans toute sa vérité (Notus in Judæa Deus), avait part au culte de tous les humains.

Chaque peuple avait, comme sa propre langue, sa propre religioni; mais ces différentes religions, quant aux principes généraux et communs, n'étaient que la même religion différemment entendue et différemment appliquée. On ne trouvera presque aucune erreur dans les croyances qui, comme l'a remarqué Bossuet (1), n'ait eu sa racine cachée dans une vérité. On ne trouvera presque aucun vice dans les lois et dans les mœurs, qui, comme l'a expliqué saint

(1) Voyez au morceau indiqué ci-dessus.

Thomas (1), n'ait été la fausse et absurde application d'un des principes immuables de la loi naturelle. On ne trouvera pas un seul peuple qui n'ait con

«

« (1) La loi naturelle, dit l'Ange de l'école, quant aux premiers principes communs, est la même chez tous les hommes; mais « quant à certaines obligations propres et précises, qui sont «< comme les conclusions des principes communs (c'est-à-dire « l'application de ces mêmes principes aux cas particuliers), elle « peut être en défaut, et cela à cause de la dépravation de la « raison, du désordre des passions, et des mauvaises habitudes « de la nature. C'est pour cela que la loi naturelle, quant aux « principes communs, ne peut être, en général, effacée d'au«< cune manière du cœur des hommes; mais elle peut s'effacer « par rapport aux préceptes secondaires; et c'est ainsi que «< chez quelques peuples le brigandage et les vices contre nature << n'étaient pas réputés des péchés (1o, IIo. Quest. 94, art. 4 et 6). » D'après cette doctrine de saint Thomas, il n'y a pas de doute que, par rapport à la morale, tout ce qu'il y a de principes communs chez les peuples païens est vrai et immuable, et que le faux, l'abominable, l'absurde se trouve seulement dans les déductions, dans les applications de ces mêmes principes que le saint docteur appelle conclusions. Qu'on se rappelle ces tribus sauvages des Indes, chez lesquelles le père de famille devenant vieux, ses enfants l'étranglaient, et faisaient un affreux repas de son cadavre; et qui, interrogées par nos missionnaires sur les motifs de cet acte de révoltante férocité, répondaient : « Nous abrégeons la vie de nos pères devenus vieux, pour les délivrer des maux et des souffrances de la vieillesse. Nous les étranglons nous-mêmes et nous les mangeons ensuite, parce qu'un père ne doit finir que par les mains de ses enfants, et qu'il ne peut pas trouver de tombeau plus digne de lui que l'estomac de ceux auxquels il a donné la vie. » Ainsi ces malheureux, tout en se livrant à de pareils excès contre nature, ne rendaient pas moins hommage à la loi de la nature touchant les devoirs des enfants envers leurs pères; et ces actes d'horrible barbarie n'étaient que l'application absurde et abominable du principe de la piété filiale.

servé plus ou moins altérées les croyances traditionnelles et primitives du monde. On voit ces croyances surnager, toujours et partout, au-dessus de cet océan d'erreurs, de fables, de superstitions, d'obscénités qui souillaient la surface de la terre. On les voit toujours et partout, debout, comme le phare inextinguible que la main de Dieu avait allumé dans le monde dès l'origine du monde, pour éclairer l'humanité; Erat lux vera, illuminans omnem hominem venientem in hunc mundum. Lux in tenebris lucet, et tenebræ eam non comprehenderunt.

7. Parmi ces vérités il en est quelques-unes qui n'ont pu être incontestablement maintenues dans la conscience de l'homme que par la puissance de Dieu. C'est d'abord la foi à un Dieu suprême, unique, éternel, présent à tous, sachant tout et disposant de tout, qui forme la base de toutes les religions. C'est, en second lieu, la croyance à la culpabilité de l'homme et à la nécessité de l'expiation du péché par le sacrifice; car l'expiation par le sacrifice a toujours et partout été la partie essentielle de la religion; les hécatombes de victimes humaines, dont le récit nous fait frémir, n'étaient que l'affreuse interprétation de ce dogme, et ne faisaient que le constater de la manière la plus authentique et la plus solennelle. C'est, en troisième lieu, la persuasion que les bonnes œuvres de l'homme juste, la surabondance de ses vertus

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