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La possibilité de l'erreur commence pour l'homme dès qu'il commence à déduire (1), dès qu'il com

« Gustus saporis, Olfactus odoris, Tactus qualitatum tangi« bilium nempe calidi et frigidi, gravis et leris, etc. Visus << autem non decipitur circa colorem, nec auditus circa sonum; «<et idem de ceteris ( D. Thom., De anima lib. II, lect. 23). » Les sens donc ne nous trompent que lorsque nous jugeons des objets sensibles par le témoignage d'un sens dont ils ne sont pas le sensible propre; comme il arrive lorsque nous prononçons, sur le témoignage de la vue, de la distance ou de la grandeur qui ne sont pas le sensible propre de la vue, mais du toucher. Et en effet, si, par exemple, nous soumettons la distance au jugement du toucher, et la mesurons par coudées ou par pieds, nous la connaissons telle qu'elle est. Il y a aussi le sensible commun, et c'est celui qu'on peut saisir par le témoignage de tous les sens ou de plusieurs. C'est le mouvement, le repos, le nombre, la figure et la grandeur. Par rapport au sensible commun, nous nous trompons lorsque nous le jugeons d'après le témoignage d'un sens seulement, devant le juger par le témoignage de plusieurs sens. C'est ainsi que souvent nous croyons que ce qui se meut est immobile, et que ce qui est immobile se meut; parce que nous en jugeons seulement par la vue, qui n'est juge compétent que des couleurs. Mais si nous y ajoutons le témoignage du toucher, nous en connaissons la vérité. Les sens nous trompent lorsqu'ils sont malades. Mais leur maladie nous la connaissons par notre propre expérience, ou par celle des autres comparée à la nôtre; et c'est alors que nous nous en défions. C'est le résumé de la doctrine de la philosophie chrétienne sur le témoignage des sens.

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(1)«< Falsitas non est in simplici perceptione, sed in judicio. Cujus rei ratio est : quia intellectus formans quidditates ( vel simpliciter percipiens) non habet nisi similitudinem rei exi<< stentis extra animam. Sed, quando incipit judicare de re « apprehensa, tum ipsum judicium intellectus est quoddam proprium ejus, et quod non invenitur in re (D. Thom., I, « q. 96, a. 2, et De Veritat., q. I, a. 3 ). »

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mence à développer les premiers principes, et à en tirer des conséquences; Error est in intellectu componente vel dividente (1). C'est par rapport à ces déductions qu'il faut se soumettre au jugement de l'Église, au jugement des savants, au jugement général, au consentement de ceux qui sont à même de prononcer un arrêt sur la matière dont il s'agit, et juger si nous avons fait bon ou mauvais usage de la raison.

Voilà comment la philosophie chrétienne conciliait les droits de la raison avec les droits du sens commun (2). Et tandis que les Dogmatistes avaient voulu faire des nombres en restant toujours dans

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(1) « Investigationi rationis humanæ plerumque falsitas admi« scetur, propter debilitatem intellectus nostri in judicando, et phantasmatum permixtionem ; et ideo apud multos in dubita« tione manerent ea quæ sunt verissima, etiam demonstrata : << dum vim demonstrationis ignorant, et præcipue cum videant << a diversis diverse doceri. Inter multa etiam vera quæ demons<< trantur immiscetur aliquando falsum quod non demonstratur, sed aliqua probabili vel sophistica ratione asseritur, quod in<< terdum demonstratio reputatur (D. Thom., contr. Gentil., « lib. IV, c. 4 ). »

(2) « Quod ab omnibus communiter dicitur impossibile est « totaliter esse falsum; falsa enim opinio infirmitas quædam in« tellectus est, sicut et falsum judicium de sensibili proprio ex «< infirmitate sensus accidit. Defectus autem per accidens sunt, « et præter naturæ intentionem. Quod autem est per accidens, non potest esse semper et in omnibus. Sicut judicium « de saporibus, quod ab omni gustu datur, non potest esse fal« SUM; ITA JUDICIUM QUOD AB OMNIBUS DE VERITATE DATUR, << NON POTEST esse erroneuM ( Id., Ibid., lib. II, c. 34 ).

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l'unité, et que les Académiciens avaient voulu faire des nombres sans unités ; c'est la philosophie chrétienne qui a fait de véritables nombres, parce qu'en partant de l'unité elle redoublait cette même unité. C'est-à-dire qu'en reconnaissant que par ses propres moyens on peut être certain de la vérité des premiers principes et de l'existence des objets extérieurs, elle donnait une base solide au témoignage universel, qui n'est que le résultat et l'ensemble de ces évidences et de ces certitudes individuelles (1).

(1) Le savant P. Rosellius, dominicain, dans sa Summa philosophiæ, rédigée sur les principes, les doctrines, et presque avec les mêmes mots de saint Thomas, explique dans ces termes cette espèce de nombre du consentement commun résultant des unités de la certitude particulière : « Cum omnes vel fere omnes <«< in aliqua re conveniunt, aliqua certe efficax ratio debet esse qua illi permoveantur. Nam, ut recte Cicero: «< Neminem « omnes et nemo unquam omnes fallit. » Quapropter non una « tantum auctoritate sed etiam ratione, dum illis sequimur, in<«< nitimur. Hine, si qua sententia communis est inter philosophos, etsi nobis non satis constet ratio qua probatur, ha« beri debet ut certa (Logic., qu. XXV). »

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Ainsi, la certitude résultant du témoignage commun repose principalement sur les certitudes particulières, comme le nombre est formé des unités qui le composent. On conçoit que plusieurs hommes, n'ayant que de faibles ressources, en réunissant leurs fonds, puissent former un grand capital. Mais on ne conçoit pas comment un grand capital puisse se former par plusieurs hommes ne possédant absolument rien. Fonder donc la certitude sur le témoignage universel des hommes, tandis qu'on leur refuse tout moyen de certitude particulière, c'est absurde et même ridicule. C'est cependant la méprise où est tombé l'auteur de l'Essai,

C'est de la même manière que, marchant toujours au milieu de deux opinions opposées, et essayant de les concilier ensemble, elle a résolu la question politique entre le droit divin et les franchises des peuples; la question morale, entre la liberté et la grâce; la question physique, entre la nature intime des corps et leurs propriétés; en un mot, toutes les questions de l'ordre scientifique; et qu'elle a eu le bonheur de s'assurer, de se rendre compte de toutes les vérités, de les démontrer, de les développer, et les appliquer au bonheur de l'homme et de la société (1).

14. C'est, du reste, l'accomplissement de cet oracle de l'Évangile : « Cherchez d'abord le royaume des

ayant prétendu que l'homme seul ne peut être certain de rien, pas même de sa propre existence; et que des hommes qui séparément ne sont certains de rien, en s'accordant à affirmer une chose puissent produire un témoignage d'infaillible certitude.

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(1) « Les questions fondamentales de la science morale, que << la philosophie de nos jours a si audacieusement portées à son tribunal, étaient alors décidées par la religion, ou traitées dans l'esprit de son enseignement. Il y avait dans toute l'Europe uniformité de doctrines sur les points importants, et unité « de sentiments (à la bonne heure!). Les docteurs des différentes universités, ou même des diverses nations, faisaient assaut d'arguments, plutôt qu'ils ne luttaient d'opinions; et la philosophie avait aussi ses tournois, qui ressemblaient à des com«< bats et qui n'étaient qu'un exercice pour l'esprit. C'était un « temps de paix (De Bonald, Recherches, etc., tom. I). » Tant mieux pour l'esprit humain et pour la société !

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cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît Quærite ergo primum regnum Dei, et justitiam ejus; et hæc omnia adjicientur vobis (Matth., VI, 33). >> Car les philosophes chrétiens ont commencé par chercher la vérité catholique, la vérité de la religion, sans se soucier du reste. Ils ne se sont pas occupés de la beauté des formes; ils ont laissé tout cela aux enfants de la science, qui veulent s'amuser à ces jeux. Ils ont visé d'abord à ce qui est essentiel à l'homme, c'est-à-dire à la vérité, à la parole de Dieu; ils ont cherché le royaume de Dieu Quærite primum regnum Dei. Eh bien ! la bonté, la miséricorde de Dieu leur a accordé par surcroît ce qu'ils ne désiraient pas, ce qu'ils ne cherchaient pas : Et hæc omnia adjicientur vobis. Ils n'ont voulu que l'honnête, ils ont aussi connu l'utile. Ils n'ont voulu que le vrai, ils ont aussi connu le beau. Ils n'ont voulu que le ciel, et ils sont aussi devenus les maîtres de la terre. Eh oui! l'Europe chrétienne, fermant les yeux sur les avantages temporels et purement humains, n'a cherché avant tout que le royaume de Dieu, n'a été jalouse que de conserver la parole de Dieu et la révélation de l'Évangile; et Dieu lui a accordé par surcroît tous les avantages temporels. Elle est devenue le centre des lumières, de la science, de la littérature, des arts, de la richesse, de la force, de la civilisation, de la liberté; elle est devenue la reine du monde, la maîtresse du monde, l'ar

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