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péen, à l'homme civilisé, à cause de la simplicité de ses goûts et la grossièreté de ses mœurs.

En troisième lieu, la raison catholique, par cela même qu'elle s'est inspirée de la parole de Dieu, de la foi, de l'Église, est aussi sûre dans sa méthode qu'elle est naturelle dans son principe et solide dans son fondement.

11. Dans toutes les grandes questions de l'ordre scientifique les savants se divisent toujours en deux opinions extrêmes, contraires et opposées entre elles, et combattent pour elles.

Ces deux opinions ne peuvent être toutes les deux entièrement vraies, parce que toute la vérité ne peut pas se retrouver dans deux opinions contraires. Elles ne sont non plus toutes les deux entièrement fausses, car elles se font la guerre, et par conséquent elles sont fortes; et l'on ne se bat pas sans avoir de la force. Mais si elles ont de la force, elles ont aussi de la vérité, ou des rapports ou de l'affinité avec la vérité la force des opinions relevant de ce qu'elles ont de vérité. Hors de l'Église, point de vérité sans quelque mélange d'erreur; et l'on peut dire aussi qu'il n'y a presque pas d'erreur sans quelque parenté, quelque affinité éloignée, cachée avec la vérité.

Dans ce combat, si l'on se range d'un côté ou de l'autre, on ne fait que le rendre plus acharné. Le moyen d'y mettre un terme est de se placer au

milieu, de concilier les deux opinions opposées, en réunissant dans un tout ce qui se trouve de vrai dans les deux systèmes opposés. Ç'a été la méthode de la philosophie chrétienne. Ayant appris par saint Paul à ne pas repousser à priori, sans examen, tout système qui paraît erroné, mais à examiner tout esprit, et à en choisir et à en retenir ce qu'il présente de juste, de raisonnable et de vrai; Omnia autem probate; quod rectum est tenele (I Thess., V, 21); la philosophie chrétienne, dans toute espèce de questions, s'est placée au milieu des opinions extrêmes; elle a choisi ce qu'il y avait de vrai dans l'une et dans l'autre, a réuni ensemble ces deux portions de vérité, et, de cette manière, a résolu les plus difficiles problèmes de l'intelligence humaine.

La méthode donc de la philosophie chrétienne, de la raison catholique inspirée par le christianisme, a été un véritable éclectisme; mais un éclectisme bien différent de l'éclectisme qu'on nous offre aujourd'hui comme le véritable moyen d'atteindre la vérité, comme la seule philosophie possible à constituer sur les débris des systèmes du dix-huitième siècle.

Car remarquez bien que, comme on ne peut pas choisir ce qui est bon sans avoir la connaissance préalable du bon; de même on ne peut pas choisir ce qui est vrai sans avoir la connaissance préalable du vrai. Or la raison philosophique moderne n'admettant aucune vérité qui ne soit sa

conquête, et partant du doute ou du néant, n'a et ne peut avoir aucune vérité pour en faire la règle de son choix; puisque, pour elle, c'est du choix que doit ressortir toute vérité. L'éclectisme moderne donc, se plaçant en dehors de toute vérité traditionnelle, universelle, religieuse, c'est l'effort insensé de vouloir lire sans lumière, marcher dans un désert sans guide, voler sans ailes, bâtir sans fondement, parler sans parole et raisonner sans raison. C'est un éclectisme bâtard, un éclectisme absurde, un éclectisme imposteur, qui, dépouillé du masque dont il s'affuble, n'est au fond que l'indifférentisme pour toute erreur résultant de l'impuissance et du désespoir de toute vérité, et qui peut se résumer dans ces mots : Croyez tout ce que vous voulez, et vivez comme vous croyez (1).

(1) Voici comment Diderot a défini l'éclectisme moderne: « Nous ne sommes tous que des éclectiques. Depuis le seizième siècle, que faisons-nous tous tant que nous sommes? Depuis Jordan Bruno, depuis Cardan, que sommes-nous? Avons-nous une bannière, une école ? Je ne vois que libres penseurs, jaloux de la prérogative la plus belle de l'humanité, la liberté de penser par soi-même. Le sectaire est un homme qui a embrassé la doctrine d'un philosophe; l'éclectique, au contraire, est un homme qui, foulant aux pieds le préjugé, la tradition, l'ancienneté, le consentement universel, l'autorité, en un mot tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser de soi-même, remonter aux principes généraux les plus clairs, les examiner, les discuter, n'admettre rien que sur le témoignage de son expérience, de sa raison, et de toutes les philosophies qu'il a analysées, sans égard et sans partialité, et s'en faire une et parti.

Tel n'a pas été l'éclectisme de la philosophie chrétienne. Dans la parole de Dieu, qu'elle avait docilement entendue et fidèlement gardée, elle avait toute prête la pierre de touche, la lumière nécessaire avec laquelle elle pouvait juger de la vérité de tous les systèmes et de toutes les opinions; elle avait toute prête la règle sûre de son choix; elle a pu choisir tout ce qu'il y a de vrai et de bon dans les écrits de tous les philosophes anciens (1); elle a

culière qui lui appartient (Encyclopédie, art. ÉCLECTISME). » On dirait que l'auteur de cet article ait assisté aux cours des philosophes éclectiques de nos jours; leur éclectisme n'est que cela. On les a entendus déclarer qu'ils voulaient « travailler à réaliser, « par l'éclectisme, l'avenir inconnu où le genre humain tout en<< tier ne se composera que de libres penseurs. » On les entend encore prêcher que l'éclectisme n'est que le système de ne penser que de soi-même, de ne croire qu'à soi-même, ou bien de ne croire rien du tout; c'est-à-dire un système de destruction et non d'édification; un système par lequel on démolit en soi-même toute croyance venue du dehors, pour faire une table rase de son âme; un système par lequel on n'apprend qu'à renoncer à tout ce qu'on a appris, qu'à s'asseoir dans le vide et dans les ténèbres de son propre esprit, et se suicider comme être intelligent. C'est cependant ce qu'aujourd'hui on appelle de la philosophie!

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(1) « Ce que j'appelle philosophie, disait Clément d'Alexandrie, n'est pas celle des Stoïciens, de Platon, d'Épicure, d'Aristote; mais le choix formé de ce que chacune de ces sectes a pu dire de vrai, de favorable aux mœurs, de conforme à la religion (Strom. I). D'après saint Jérôme, il fallait étudier les auteurs païens, s'approprier et faire servir à la gloire de la religion tout ce qu'on y trouve de bon et de vrai; comme les Hébreux s'emparèrent des vases d'argent des Égyptiens, et les firent servir à la gloire du

été sûre dans sa méthode, ce qui lui a enfin procuré l'avantage d'être, en quatrième lieu, riche et heureuse dans ses résultats. Vous allez le voir dans la troisième partie.

12.

I

TROISIÈME PARTIE.

que la

L est vrai de dire, M. F., que, tandis raison philosophique des temps anciens, comme nous l'avons vu et comme nous le verrons dimanche prochain pour la raison philosophique des temps modernes, n'a jamais pu résoudre aucune question, n'a jamais pu faire cesser aucune difficulté ni établir aucune vérité; la raison catholique, inspirée par la lumière de la parole de Dieu, était parvenue à résoudre toutes les difficultés de l'ordre

tabernacle. C'est donc les yeux fixés sur la religion que les philosophes chrétiens choisissaient, dans les doctrines philosophiques, ce qui pouvait être apte à sa défense et à son développement. Dès lors on conçoit cette espèce d'éclectisme. Mais on ne peut pas concevoir un éclectisme qui fait tout dépendre du choix, même la règle avec laquelle il doit choisir; qui prétend choisir le vrai avant même d'avoir connu ce qui est vrai, et même avant d'avoir connu si le vrai existe et si l'homme a un moyen de l'atteindre. Un pareil éclectisme n'est et ne peut être que le produit aveugle du hasard et du caprice, l'informe mélange des débris de différents systèmes, des rêves, des délires de la raison humaine; n'est et ne peut être que le chaos; Rudis indigestaque moles.

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