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4-21-28-HW

PRÉFACE

Un certain nombre de lecteurs et surtout de lectrices du petit livre que j'ai donné sur l'Art d'écrire m'ont fait l'honneur de me consulter sur une difficulté qu'ils y trouvaient. C'était fort bien parler, me disaiton, et l'on comprenait mes conseils, mais on ne savait pas comment s'y prendre pour les appliquer. On voyait ce qu'il fallait faire, mais on ne voyait pas les moyens de le faire. Et l'on me demandait de trouver quelque chose qui levât la difficulté, et rendit la pratique de l'art d'écrire aisée. J'avoue que ceux qui me déclaraient ainsi leur embarras m'embarrassaient moimême extrêmement. J'avais fait un livre pour aider et diriger les jeunes gens qui s'exerçaient à écrire en français; j'avais donné les conseils que je croyais les

1. Principes de composition et de style, à l'usage des jeunes filles, 2e édition. Conseils sur l'Art d'écrire, à l'usage des lycées et collèges et de l'enseignement primaire supérieur; 1 vol. in-16, cartonnage toile (Hachette et Cie).

plus propres à faciliter leur travail, en leur donnant conscience du but à poursuivre et de la méthode à ́ employer. Et maintenant l'on me demandait d'expliquer mes explications, de donner des conseils sur la manière d'appliquer mes conseils, de fournir une méthode pour faciliter l'emploi de la méthode. Où s'arrêter? et quels commentaires, quels préceptes suffiraient?

La difficulté qu'on m'a signalée est, à vrai dire, celle qui se rencontre toujours en toute matière, quand il faut passer de la théorie à la pratique. Il y a toujours un point où les explications doivent cesser, où le rôle du maître est fini: quand celui qui s'exerce a bien compris les préceptes, il faut que ce soit lui qui fasse le reste, il n'y a que lui qui le puisse. Dans la gymnastique, dans la peinture, dans tous les arts et dans tous les métiers, comme dans l'exercice du style, l'apprenti doit plier les organes de son corps ou les facultés de son esprit aux mouvements et aux actes que le maître lui a indiqués comme nécessaires pour atteindre le but fixé : lui seul peut faire ces mouvements et ces actes, et rien que de nombreux essais, des tâtonnements répétés, une foule d'indécisions, d'erreurs et de méprises, ne lui donnera la pratique du métier. Le maître ne peut être que spectateur, rectifiant l'attitude ou réglant l'allure, et jugeant les effets: en l'absence du maître, la réflexion personnelle, le sens critique en doivent faire l'office. Et surtout les résultats éclairent sur le bon ou mauvais

emploi des forces. Comme le tireur rectifie son tir, insensiblement on remarque ce qui, dans les essais qu'on fait, écarte ou rapproche du but; on se corrige soi-même, et peu à peu l'exécution devient plus rapide et plus sûre. Il n'y a pas de précepte ici qui vaille le sentiment d'avoir manqué son coup par sa faute.

Je m'étais précisément, dans mon livre précédent, proposé d'amener les esprits à ce très délicat passage de la théorie à la pratique si on l'a bien compris, il ne reste qu'à essayer d'écrire. Pour le comprendre, c'est affaire à la réflexion personnelle; il est, je crois, assez clair dans l'ensemble, et l'on concevra qu'il soit impossible d'en donner un commentaire perpétuel, qui fasse ressortir le sens de chaque page. Ce travail est celui du lecteur, ou d'un maître, s'il en a, dont l'explication orale lui approprie chaque chose. Quand on écrit pour tout le monde, cette adaptation est impossible à faire à chacun de prendre son bien dans ce qui est offert à tous.

J'insiste là-dessus pour encourager lecteurs ou lectrices qui ont trouvé quelque difficulté à faire leur profit des enseignements offerts, pour les exhorter à ne pas se rebuter et à compter par-dessus tout sur leur intelligence personnelle. Et vraiment tout le sens du livre est là il tend uniquement à exciter l'activité, à provoquer l'effort. Pour bien écrire, il faut sans doute avoir étudié sa langue, et s'être fait une ample provision de mots et de tours: c'est la palette du

peintre. Mais cette préparation technique mise à part, pour bien écrire, il faut, disais-je, « penser ou sentir quelque chose qui vaille la peine d'être dit, et le dire précisément comme on le pense et comme on le sent ». Le grand point, c'est donc la sincérité absolue. On ne saurait trop le redire. Même les devoirs d'écolier doivent être absolument sincères. Ce qui fait qu'on a souvent douté de l'utilité de nos exercices scolaires, c'est qu'on a toujours estimé que l'élève n'y mettait rien de lui. Et trop souvent l'on a raison. Mais il faut au contraire s'habituer dès l'enfance, dès le lycée, à tirer le plus possible de soi et le plus utile, sinon le meilleur devoir, est celui où l'écolier s'est mis lui-même, avec ses goûts personnels et ses pensées intimes. Il y a pour beaucoup de sujets qu'on donne à traiter dans les établissements d'instruction, pour les sujets historiques ou littéraires, il y a une préparation particulière, qui ne peut se faire qu'à l'occasion du sujet donné; il y a des faits, des idées, qu'on doit acquérir en vue de le traiter. Mais soutenant et dominant ce détail particulier, il faut des idées et des sentiments où se révèle une personnalité, une originalité propre. Que ces mots appliqués à des devoirs d'écolier ne paraissent pas trop ambitieux. J'entends par là que vos façons de penser ou de sentir ne doivent pas vous être imposées par le développement à faire, qu'elles doivent au contraire le créer, le régler et par conséquent y préexister, qu'il ne faut point les emprunter, les revêtir pour la circonstance, sans y tenir, avec le

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