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cables. Vouloir rendre raison de Dieu, de ses perfections, et, si j'ose ainsi parler, de ses actions, c'est aller plus loin que les anciens philosophes, que les apôtres, que les premiers docteurs; mais ce n'est pas rencontrer si juste, c'est creuser longtemps et profondément sans trouver les sources de la vérité. Dès qu'on a abandonné les termes de bonté, de miséricorde, de justice et de toutepuissance, qui donnent de Dieu de si hautes et de si aimables idées, quelque grand effort d'imagination qu'on puisse faire, il faut recevoir les expressions sèches, stériles, vides de sens; admettre les pensées creuses, écartées des notions communes, ou tout au plus les subtiles et les ingénieuses; et, à mesure que l'on acquiert d'ouverture dans une nouvelle métaphysique, perdre un peu de sa religion.

Jusques où les hommes ne se portent-ils point par l'intérêt de la religion, dont ils sont si peu persuadés, et qu'ils pratiquent si mal!

Cette même religion que les hommes défendent avec chaleur et avec zèle contre ceux qui en ont une toute contraire, ils l'altèrent euxmêmes dans leur esprit par des sentiments particuliers, ils y ajoutent et ils en retranchent mille

choses souvent essentielles, selon ce qui leur convient, et ils demeurent fermes et inébranlables dans cette forme qu'ils lui ont donnée. Ainsi, à parler populairement, on peut dire d'une seule nation qu'elle vit sous un même culte, et qu'elle n'a qu'une seule religion; mais, à parler exactement, il est vrai qu'elle en a plusieurs, et que chacun presque y a la sienne.

Deux sortes de gens fleurissent dans les cours, et y dominent dans divers temps, les libertins et les hypocrites: ceux-là gaiement, ouvertement, sans art et sans dissimulation; ceux-ci finement, par des artifices, par la cabale: cent fois plus épris de la fortune que les premiers, ils en sont jaloux jusqu'à l'excès; ils veulent la gouverner, la posséder seuls, la partager entre eux, et en exclure tout autre: dignites, charges, postes, bénéfices, pensions, honneurs, tout leur convient et ne convient qu'à eux, le reste des hommes en est indigne; ils ne comprennent point que sans leur attache on ait l'impudence de les espérer une troupe de masques entre dans un bal; ont-ils la main, ils dansent, ils se font danser les uns les autres, ils dansent encore, ils dansent toujours, ils ne rendent la main à personne

de l'assemblée, quelque digne qu'elle soit de leur attention: on languit, on sèche de les voir danser et de ne danser point; quelques uns murmurent, les plus sages prennent leur parti, et s'en vont.

Il y a deux espèces de libertins : les libertins, ceux du moins qui croient l'être; et les hypocrites ou faux dévots, c'est-à-dire ceux qui ne veulent pas être crus libertins : les derniers, dans ce genre-là, sont les meilleurs.

Le faux dévot, ou ne croit pas en Dieu, ou se moque de Dieu parlons de lui obligeamment, il ne croit pas en Dieu.

:

Si toute religion est une crainte respectueuse de la Divinité, que penser de ceux qui osent la blesser dans sa plus vive image, qui est le prince?

I

Si l'on nous assuroit que le motif secret de l'ambassade des Siamois a été d'exciter le roi trèschrétien à renoncer au christianisme, à permettre l'entrée de son royaume aux talapoins, qui eussent pénétré dans nos maisons pour persuader leur religion à nos femmes, à nos enfants

I L'ambassade des Siamois envoyée au roi en 1680.

et à nous-mêmes, par leurs livres et par leurs entretiens; qui eussent élevé des pagodes au milieu des villes, où ils eussent placé des figures de métal pour être adorées, avec quelles risées et quel étrange mépris n'entendrions-nous pas des choses si extravagantes! Nous faisons cependant six mille lieues de mer pour la conversion des Indes, des royaumes de Siam, de la Chine et du Japon, c'est-à-dire pour faire très sérieusement à tous ces peuples des propositions qui doivent leur paroître très folles et très ridicules. Ils supportent néanmoins nos religieux et nos prêtres; ils les écoutent quelquefois, leur laissent bâtir leurs églises et faire leurs missions: qui fait cela en eux et en nous? ne seroit-ce point la force de la

vérité ?

Il ne convient pas à toutes sortes de personnes de lever l'étendard d'aumônier, et d'avoir tous les pauvres d'une ville assemblés à sa porte, qui y reçoivent leurs portions: qui ne sait pas, au contraire, des misères plus secrètes, qu'il peut entreprendre de soulager, ou immédiatement et par ses secours, ou du moins par sa médiation? De même il n'est pas donné à tous de monter en chaire, et d'y distribuer en missionnaire ou

en catéchiste la parole sainte : mais qui n'a pas quelquefois sous sa main un libertin à réduire, et à ramener par de douces et insinuantes conversations à la docilité? Quand on ne seroit pendant sa vie que l'apôtre d'un seul homme, ce ne seroit pas être en vain sur la terre, ni lui être un fardeau inutile.

Il y a deux mondes: l'un où l'on séjourne peu, et dont l'on doit sortir pour n'y plus rentrer; l'autre où l'on doit bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité, les amis, la haute réputation, les grands biens, servent pour le premier monde; le mépris de toutes ces choses sert pour le second. Il s'agit de choisir.

Qui a vécu un seul jour a vécu un siècle : même soleil, même terre, même monde, mêmes sensations; rien ne ressemble mieux à aujourd'hui que demain: il y auroit quelque curiosité à mourir, c'est-à-dire à n'être plus un corps, mais à être seulement esprit. L'homme cependant, impatient de la nouveauté, n'est point curieux sur ce seul article : né inquiet et qui s'ennuie de tout, il ne s'ennuie point de vivre; il consentiroit peut-être à vivre toujours. Ce qu'il voit de la mort le frappe plus violemment que ce qu'il

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