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(9) Le grec dit : « Il crache par-dessus la table sur « celui qui lui donne à boire. » Les anciens n'occupoient qu'un côté de la table, ou des tables, qu'on plaçoit devant eux, et les esclaves qui les servoient se tenoient de l'autre côté.

Au reste, les quatre derniers traits de ce Caractère appartiennent peut-être au Caractère suivant. La transposition manifeste de plusieurs traits du Caractère xxx au Caractère și doit inspirer naturellement l'idée d'atribuer à une cause semblable toutes les incohérences de cet ouvrage, plutôt que de les mettre sur le compte de l'auteur.

CHAPITRE XX.

D'UN HOMME INCOMMODE.

Ce qu'on appelle un fâcheux est celui qui, sans faire à quelqu'un un fort grand tort, ne laisse pas de l'embarrasser beaucoup (1); qui, entrant dans la chambre de son ami qui commence à s'endormir, le réveille pour l'entretenir de vains discours (2); qui, se trouvant sur le bord de la mer, sur le point qu'un homme est près de partir et de monter dans son vaisseau, l'arrête sans nul besoin, et l'engage insensiblement à se promener avec lui sur le rivage (3); qui, arrachant un petit enfant du sein de sa nourrice pendant qu'il tette, lui fait avaler quelque chose qu'il a mâché (4), bat des mains devant lui, le caresse, et lui parle d'une voix contrefaite; qui choisit le temps du repas, et que le potage est sur la table, pour dire qu'ayant pris médecine depuis deux jours, il est allé par haut et par bas, et qu'une bile noire et recuite étoit mêlée dans ses déjec

tions (5); qui, devant toute une assemblée, s'avise de demander à sa mère quel jour elle a accouché de lui (6); qui, ne sachant que dire (7), apprend que l'eau de la citerne est fraîche, qu'il croît dans son jardin de bons légumes, ou que sa maison est ouverte à tout le monde comme une hôtellerie; qui s'empresse de faire connoître à ses hôtes un parasite (8) qu'il a chez lui; qui l'invite, à table, à se mettre en bonne humeur et à réjouir la compagnie.

NOTES.

(1) Littéralement : « La malice innocente est une con<< duite qui incommode sans nuire. »

(2) Le grec dit : « Ce mauvais plaisant est capable de << réveiller un homme qui vient de s'endormir, en entrant << chez lui pour causer. »

(3) Ou, d'après M. Coray : « Prêt à s'embarquer pour quelque voyage, il se promène sur le rivage, et empêche qu'on ne mette à la voile, en priant ceux qui << doivent partir avec lui d'attendre qu'il ait fini sa pro<< menade. >>

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(4) Casaubon a prouvé que c'étoit là la manière ordinaire de donner à manger aux enfants; mais par cette raison même, et d'après le sens littéral du grec, je crois

qu'il faut traduire : « Il mâche quelque chose comme pour <«<le lui donner, et l'avale lui-même. » Le manuscrit du Vatican ajoute, « et l'appelle plus malin que son grand«< père.

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(5) Théophraste lui fait dire «< que la bile qu'il a ren. << due étoit plus noire que la sauce qui est sur la table. » Ce trait et le suivant me paroissent appartenir au Caractère précédent, à la place de ceux que je crois avoir été distraits de celui-ci. (Voyez la note 9 du chapitre précédent.)

(6) Le manuscrit du Vatican ajoute ici une phrase très obscure, et vraisemblablement altérée par les copistes. Il me paroît que Théophraste fait dire à ce mauvais plaisant, au sujet des douleurs de sa mère : « Un moment << bien doux a dû précéder celui-là; et sans ces deux cho<< ses il est impossible de produire un homme. »>

(7) Cette transition est de La Bruyère : les traits qui suivent me paroissent appartenir au Caractère suivant ou au chapitre XXIII. D'après les additions du manuscrit du Vatican, il faut les traduire : « Il se vante d'avoir chez <«<lui d'excellente eau de citerne, et de posséder un jardin qui lui donne les légumes les plus tendres en grande abondance. Il dit aussi qu'il a un cuisinier d'un rare ta<«<lent, et que sa maison est comme une hôtellerie, par<< cequ'elle est toujours pleine d'étrangers, et que ses amis << ressemblent au tonneau percé de la fable, puisqu'il ne << peut les satisfaire en les comblant de bienfaits. » Les

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traits suivants sont encore d'un genre différent, et conviendroient mieux au chapitre X111 ou au chapitre X1 :

<< que,

Quand il donne un repas, il fait connoître son parasite << à ses convives; et les provoquant à boire, il dit que << celle qui doit amuser la compagnie est toute prête, et dès qu'on voudra, il la fera chercher chez l'entre<<preneur, pour faire de la musique et pour égayer tout le << monde. » (Voyez chap. IX, note 4, et chap. XI, note 5.) Ces nombreuses transpositions favorisent l'opinion de ceux qui croient que l'ouvrage de Théophraste d'où ces Caractères sont extraits avoit une forme toute différente de celle de ces fragments.

(8) Mot grec qui signifie celui qui ne mange que cher autrui. (La Bruyère.)

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