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Cage croit que ce n'étoit pas une porte particulière qu'on appeloit ainsi, mais que ce nom étoit donné quelquefois à la porte Dipylon, qu'il a placée en cet endroit sur son plan d'Athènes dans le Voyage du jeune Anacharsis; et les recherches aussi savantes qu'étendues qu'il a faites depuis sur ce plan n'ont fait que confirmer cette opinion. Peut-être aussi cette porte étoit-elle double, ainsi que son nom l'indique, et l'une des sorties étoitelle appelée Erie, et particulièrement destinée aux fu,

nérailles.

CHAPITRE XV.

DE LA BRUTALITÉ.

La brutalité est une certaine dureté, et j'ose dire une férocité qui se rencontre dans nos manières d'agir, et qui passe même jusques à nos paroles. Si vous demandez à un homme brutal, Qu'est devenu un tel? il vous répond durement, Ne me rompez point la tête. Si vous le saluez, il ne vous fait pas l'honneur de vous rendre le salut: si quelquefois il met en vente une chose qui lui appartient, il est inutile de lui en demander le prix, il ne vous écoute pas; mais il dit fièrement à celui qui la marchande, Qu1y trouvez-vous à dire (1)? Il se moque de la piété de ceux qui envoient leurs offrandes dans les temples aux jours d'une grande célébrité : Si leurs prières, dit-il, vont jusques aux dieux, et s'ils en obtiennent les biens qu'ils souhaitent, l'on peut dire qu'ils les ont bien payés, et qu'ils ne leur sont pas donnés pour rien (2). Il est inexo

rable à celui qui, sans dessein, l'aura poussé légèrement, ou lui aura marché sur le pied; c'est une faute qu'il ne pardonne pas. La première chose qu'il dit à un ami qui lui emprunte quelque argent (3), c'est qu'il ne lui en prêtera point: il va le trouver ensuite, et le lui donne de mauvaise grace, ajoutant qu'il le compte perdu. Il ne lui arrive jamais de se heurter à une pierre qu'il rencontre en son chemin, sans lui donner de grandes malédictions. Il ne daigne pas attendre personne; et si l'on diffère un moment à se rendre au lieu dont l'on est convenu avec lui, il se retire. Il se distingue toujours par une grande singularité (4); ne veut ni chanter à son tour ni réciter (5) dans un repas, ni même danser avec les autres. En un mot, on ne le voit guère dans les temples importuner les dieux, et leur faire des vœux ou des sacrifices (6).

NOTES.

(1) Plusieurs critiques ont prouvé qu'il faut traduire ee passage: << S'il met un objet en vente, il ne dira point << aux acheteurs ce qu'il en voudroit avoir, mais il leur «demandera ce qu'il en pourra trouver. »

(2) La Bruyère a paraphrasé ce passage obscur et mu

tilé d'après les idées de Casaubon selon d'autres critiques, il est question d'un présent ou d'une invitation qu'on fait au brutal, ou bien d'une portion de victime qu'on lui envoie (Voyez chap. XII, note 5; et chapitre XVII, note 2); et sa réponse est : « Je ne reçois pas de « présents, » ou « Je ne voudrois pas même goûter ce « qu'on me donne. »

(3) Qui fait une collecte. » (Voyez chap. 1, note 3.) (4) Ces mots ne sont point dans le texte.

(5) Les Grecs récitoient à table quelques beaux endroits de leurs poëtes, et dansoient ensemble après le repas. Voyez le chapitre du Contre-Temps. (La Bruyère.) (Chap. XII, note 7.)

(6) Le grec dit simplement : «< Il est capable aussi de «ne point prier les dieux. »

CHAPITRE XVI (1).

DE LA SUPERSTITION.

La superstition semble n'être autre chose qu'une crainte mal réglée de la divinité. Un homme superstitieux, après avoir lavé ses mains (2), s'être purifié avec de l'eau lustrale (3), sort du temple, et se promène une grande partie du jour avec une feuille de laurier dans sa bouche. S'il voit une belette, il s'arrête tout court; et il ne continue pas de marcher, que quelqu'un n'ait passé avant lui par le même endroit que cet animal a traversé, ou qu'il n'ait jeté lui-même trois petites pierres dans le chemin, comme pour éloigner de lui ce mauvais présage. En quelque endroit de sa maison qu'il ait aperçu un serpent, il ne diffère pas d'y élever un autel (4); et dès qu'il remarque dans les carrefours de ces pierres que la dévotion du peuple y a consacrées (5), il s'en approche, verse dessus toute l'huile de sa fiole, plie les genoux devant elles, et les adore.

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