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milieu d'une assemblée, pour reprendre un fait dès ses commencements, et en instruire à fond ceux qui en ont les oreilles rebattues, et qui le savent mieux que lui; souvent empressé pour engager dans une affaire des personnes qui, ne l'affectionnant point, n'osent pourtant refuser d'y entrer (4). S'il arrive que quelqu'un dans la ville doive faire un festin après avoir sacrifié (5), il va lui demander une portion des viandes qu'il a préparées : une autre fois, s'il voit qu'un maître châtie devant lui son esclave, « J'ai perdu, dit-il, << un des miens dans une pareille occasion; je le

fis fouetter, il se désespéra, et s'alla pendre. » Enfin, il n'est propre qu'à commettre de nouveau deux personnes qui veulent s'accommoder, s'ils l'ont fait arbitre de leur différend (6). C'est encore une action qui lui convient fort que d'aller prendre au milieu du repas pour danser (7) un homme qui est de sang-froid, et qui n'a bu que modéré

ment.

NOTES.

(1) Le mot grec signifie proprement porter une sérénade bruyante. Voyez les notes de Duport et de Coray.

(2) Théophraste suppose moins de complaisance à ces voyageurs, et ne les fait qu'inviter à la promenade.

(3) Le grec dit « plus qu'on n'en a donné. »

en tra

(4) On rendroit mieux le sens de cette phrase duisant : « Il s'empresse de prendre des soins dont on ne << se soucie point, mais qu'on est honteux de refuser. »

(5) Les Grecs, le jour même qu'ils avoient sacrifié, ou soupoient avec leurs amis, ou leur envoyoient à chacun une portion de la victime. C'étoit donc un contre-temps de demander sa part prématurément et lorsque le festin étoit résolu, auquel même on pouvoit être invité. (La Bruyère.) Le texte grec porte: « Il vient chez ceux qui «sacrifient, et qui consument la victime, pour leur de<<mander un morceau; » et le contre-temps consiste à demander ce présent à des gens qui, au lieu d'envoyer des morceaux, donnent un repas. Le mot employé par Théophraste pour désigner cette portion de la victime paroît être consacré particulièrement à cet usage, et avoir même passé dans le latin, divina tomacula porca, dit Juvénal, Sat. x, v. 355.

(6) Littéralement : «S'il assiste à un arbitrage, il brouille « des parties qui veulent s'arranger. »>

(7) Cela ne se faisoit chez les Grecs qu'après le repas, et lorsque les tables étoient enlevées. ( La Bruyère.) Le grec dit seulement : « Il est capable de provoquer à la << danse un ami qui n'a encore bu que modérément; » et c'est dans cette circonstance que se trouve l'inconvenance. Cicéron dit (pro Murœna, eap. vi): Nemo ferè saltat

sobrius, nisi fortè insanit; neque in solitudine, neque in convivio moderato atque honesto : tempestivi convivii, amœni loci, multarum deliciarum comes est extrema saltatio. Mais en Grèce l'usage de la danse étoit plus général; et le poëte Alexis, cité par Athénée, Liv. IV, chap. IV, dit que les Athéniens dansoient au milieu de leurs dès qu'ils commençoient à sentir le vin. Nous verrons au chap. xv qu'il étoit peu convenable de se refuser à ce divertisse

ment.

repas,

CHAPITRE XIII.

DE L'AIR EMPRESSÉ (1).

Il semble que le trop grand empressement est une recherche importune, ou une vaine affectation de marquer aux autres de la bienveillance par ses paroles et par toute sa conduite. Les manières d'un homme empressé sont de prendre sur soi l'événement d'une affaire qui est au-dessus de ses forces, et dont il ne sauroit sortir avec honneur (2), et, dans une chose que toute une assemblée juge raisonnable, et où il ne se trouve pas la moindre difficulté, d'insister long - temps sur une légère circonstance, pour être ensuite de l'avis des autres (3); de faire beaucoup plus apporter de vin dans un repas qu'on n'en peut boire (4); d'entrer dans une querelle où il se trouve présent, d'une manière à l'échauffer davantage (5). Rien n'est aussi plus ordinaire que de le voir s'offrir à servir de guide dans un chemin détourné qu'il ne connoît pas, et dont il ne

peut ensuite trouver l'issue: venir vers son général, et lui demander quand il doit ranger son armée en bataille, quel jour il faudra combattre, et s'il n'a point d'ordres à lui donner pour le lendemain (6): une autre fois s'approcher de son père: Ma mère, lui dit-il mystérieusement, vient de se coucher, et ne commence qu'à s'endormir : s'il entre enfin dans la chambre d'un malade à qui son médecin a défendu le vin, dire qu'on peut essayer s'il ne lui fera point de mal, et le soutenir doucement pour lui en faire prendre (7). S'il apprend qu'une femme soit morte dans la ville, s'ingère de faire son épitaphe; il y fait graver son nom, celui de son mari, de son père, de sa mère, son pays, son origine, avec cet éloge : « Ils avoient « tous de la vertu (8). » S'il est quelquefois obligé de jurer devant des juges qui exigent son serment: « Ce n'est pas, dit-il en perçant la foule pour pa<< roître à l'audience, la première fois que cela " m'est arrivé. »

NOTES.

(1) «De l'Empressement outré et affecté. »

il

(2) Littéralement : « Il se lève pour promettre une chose

« qu'il ne pourra pas tenir, »

"

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