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chent par la ville: Combien vaut, demandent-ils aux premiers qu'ils rencontrent, le poisson salé? Les fourrures se vendent-elles bien (7)? N'est-ce pas aujourd'hui que les jeux nous ramènent une nouvelle lune (8)? D'autres fois, ne sachant que dire, ils vous apprennent qu'ils vont se faire raser, et qu'ils ne sortent que pour cela ( 9 ). Ce sont ces mêmes personnes que l'on entend chanter dans le bain, qui mettent des clous à leurs souliers, et qui, se trouvant tout portés devant la boutique d'Archias (10), achètent eux-mêmes des viandes salées, et les rapportent à la main en pleine rue.

NOTES.

(1) Le texte grec nomme une certaine drogue qui rendoit l'haleine fort mauvaise le jour qu'on l'avoit prise. (La Bruyère.) La traduction est plus juste que la note. (Voy, la note de M. Coray sur ce passage.)

(2) Le grec dit : « Aux journaliers qui travaillent dans << leur champ.

grec,

(3) Il paroît qu'il y a ici une transposition dans le et qu'il faut traduire : «< Ni de paroître surpris des «< choses les plus extraordinaires; mais s'ils rencontrent « dans leur chemin un boeuf, ete. »

(4) Le grec dit seulement : « A laquelle ils aident à « moudre les provisions pour leurs gens et pour eux«< mêmes. » L'expression de La Bruyère, «Ils vont au << moulin », est un anachronisme. Du temps de Théophraste, on n'avoit pas encore des moulins communs ; mais on faisoit broyer ou moudre le blé que l'on consommoit dans chaque maison, par un esclave, au moyen d'un pilon ou d'une espèce de moulin à bras. (Voy. Pollux, liv. 1, segm. 78, et liv. vII, segm. 180.) Les moulins à eau n'ont été inventés que du temps d'Auguste, et l'usage du pilon étoit encore assez général du temps

de Pline.

(5) Des bœufs. (La Bruyère.) Le grec dit en général, des bêtes de trait.

(6) Au lieu de « Heurte-t-on, etc. » le grec dit simplement : << Si quelqu'un frappe à sa porte, il répond «< lui-même, appelle son chien, et lui prend la gueule, << en disant : Voilà, etc. »

(7) Le grec porte : « Lorsqu'il se rend en ville, il de<< mande au premier qu'il rencontre Combien vaut le poisson salé? et quel est le prix des habits de peaux ? »> Ces habits étoient le vêtement ordinaire des pâtres, et peut-être des pauvres campagnards en général.

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(8) Cela est dit rustiquement; un autre diroit que la nouvelle lune ramène les jeux ; et d'ailleurs c'est comme si, le jour de Pâques, quelqu'un disoit : N'est-ce pas aujourd'hui Paques ? (La Bruyère.) Quoique la version

adoptée par La Bruyère soit celle de Casaubon, j'observerai que le mot la néoménie, que ce savant critique traduit par la nouvelle lune, n'est que le simple nom du premier jour du mois, où il y avoit un grand marché à Athènes, et où l'on payoit les intérêts de l'argent. (Voyez Aristoph. Vesp. 171, et Schol. et Nub. acte IV, scène III.) Il ne s'agit pas non plus de jeux, puisqu'il n'y en avoit pas tous les premiers du mois. Selon plusieurs gloses anciennes rapportées par Henri Estienne, le même mot a aussi toutes les significations du mot latin forum. Cette phrase peut donc être traduite ainsi : « Le forum célébre« t-il aujourd'hui la néoménie ? » c'est-à-dire : « Est-ce au<< jourd'hui le premier du mois et le jour du marché ? » Le ridicule n'est pas dans l'expression, mais en partie dans ce que le campagnard demande à un homme qu'il rencontre une chose dont il doit être sûr avant de se mettre en route, et sur-tout dans ce qui suit.

(9) Au lieu de « D'autres fois, etc. » le texte porte, <«< Et il dit sur-le-champ qu'il va en ville pour se faire <«< raser. » Il ne fait donc cette toilette que le premier jour de chaque mois en se rendant au marché. Il y a un trait semblable dans les Acharnéens d'Aristophane, v. 998; et Suidas le cite et l'explique en parlant de la néoménie. Du temps de Théophraste, les Athéniens élégants paroissent avoir porté les cheveux et la barbe d'une longueur moyenne, qui devoit être toujours la même, et on les faisoit par conséquent couper très souvent. (Voyez chapitre xxvi, note 6; et le chap. v, ci-après.) C'étoit donc

une rusticité de laisser croître les cheveux et la barbe pendant un mois : et cette malpropreté suppose de plus le ridicule, reproché dans le chapitre x à l'avare, de se faire raser ensuite jusqu'à la peau, afin que les cheveux ne dépassent pas de sitôt la juste mesure.

(10) Fameux marchand de chairs salées, nourriture ordinaire du peuple. (La Bruyère.) Il falloit dire, de poisson salé.

CHAPITRE V.

DU COMPLAISANT, ou de l'envie de plaire.

Pour faire une définition un peu exacte de cette affectation que quelques-uns ont de plaire à tout le monde, il faut dire que c'est une manière de vivre où l'on cherche beaucoup moins ce qui est vertueux et honnête, que ce qui est agréable (1). Celui qui a cette passion, d'aussi loin qu'il aperçoit un homme dans la place, le salue en s'écriant, Voilà ce qu'on appelle un homme de bien; l'aborde, l'admire sur les moindres choses, le retient avec ses deux mains, de peur qu'il ne lui échappe; et après avoir fait quelques pas avec lui, il lui demande avec empressement quel jour on pourra le voir, et enfin ne s'en sépare qu'en lui donnant mille éloges. Si quelqu'un le choisit pour arbitre dans un procès, il ne doit pas attendre de lui qu'il lui soit plus favorable qu'à son adversaire (2): comme il veut plaire à tous deux, il les ménagera éga

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