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ment (8). J'ai dû dire aussi qu'avant qu'il sorte de sa maison il en loue l'architecture, se récrie sur toutes choses, dit que les jardins sont bien plantés; et s'il aperçoit quelque part le portrait du maître, où il soit extrêmement flatté, il est touché de voir combien il lui ressemble, et il l'admire comme un chef-d'œuvre. En un mot, le flatteur ne dit rien et ne fait rien au hasard; mais il rapporte toutes ses paroles et toutes ses actions au dessein qu'il a de plaire à quelqu'un, et d'acquérir ses bonnes grâces.

NOTES.

(1) Edifice public qui servit depuis à Zénon et à ses disciples de rendez-vous pour leurs disputes : ils en furent appelés stoïciens; car stoa, mot grec, signifie portique. (La Bruyère.) Zénon est mort au plus tard au commencement de la cent trentième olympiade, après avoir enseigné pendant cinquante-huit ans. Théophraste, qui a vécu jusqu'à l'an 1 de la cent vingt-troisième olympiade, a donc vu naître l'école du Portique trente ans avant sa mort, et c'est vraisemblablement à dessein qu'il a placé ici le nom de cet édifice, On sait que Zénon a dit, au sujet des deux mille disciples de Théophraste, que le choeur de ce philosophe étoit composé d'un plus grand nombre de musiciens, mais qu'il y avoit plus d'accord

et d'harmonie dans le sien: comparaison qui marque la rivalité de ces deux écoles.

(2) « Allusion à la nuance que de petites pailles font « dans les cheveux. » Et un peu plus bas, « Il parle à un « jeune homme. » (La Bruyère.) Je croirois plutôt que le flatteur est censé s'adresser à un vieillard, et que la petite paille ne lui sert que d'occasion pour débiter un compliment outré, en faisant semblant de s'apercevoir pour la première fois des cheveux blancs de cet homme qui en a la tête couverte.

(3) La Bruyère s'écarte ici de l'interprétation de Casaubon. D'après ce grand critique, au lieu de « il les «< force, etc. » il faut traduire « il le loue en face. »> Cette version, et notamment la correction de Sylburgius, est confirmée par les manuscrits 1983, 2977 et 1916 de la Bibliothèque du Roi.

(4) «Jusqu'à ce que Monsieur soit passé. » (Traduction de M. Coray.)

(5) Le grec dit plus clairement, « Votre pied est mieux << fait que la chaussure. >>

(6) Il y a dans le grec, « Certes, il est même capable « de vous présenter, sans perdre haleine, ce qu'on vend << au marché des femmes. » Selon Ménandre, cité par Pollux (Liv. x, segm. 18), ce qu'on appeloit le marché des femmes étoit l'endroit où l'on vendoit la poterie : et comme ce trait est distingué de tous les autres par la

phrase, «Certes, il est même capable,» il me paroit que Théophraste reproche au flatteur, en termes couverts, ce qu'Épictète a dit plus clairement (Arrien, livre I, chap. II, tome 1°, page 13 de l'édition de mon père), Matulam præbet. Le verbe de la phrase grecque n'admet pas d'autre signification que celle de servir, présenter: l'adverbe que j'ai rendu littéralement, sans prendre haleine, désigne ou la hâte avec laquelle il rend ce service, ou l'effet d'une répugnance naturelle en pareil cas.

(7) D'après M. Coray, il faut traduire : « Il vous dit, « en vérité, vous mangez sans appétit; et il vous sert en<< suite un morceau choisi, en disant, cela vous fera du «< bien : » ce qui rappelle ces vers de Boileau dans la satire du repas : « Qu'avez-vous donc, que vous ne mangez point? » et «< mangez sur ma parole. »>

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(8) Ce n'étoit pas, comme La Bruyère paroît l'avoir cru, un valet attaché au théâtre qui distribuoit des coussins; mais les riches les у faisoient porter par leurs esclaves. Ovide conseille aux amants la complaisance que Théophraste semble reprocher aux flatteurs ; il dit dans son Art d'aimer : Fuit utile multis Pulvinum facili composuisse manu, etc.

Le savant auteur du Voyage du jeune Anacharsis, qui nous a rendus, pour ainsi dire, concitoyens de Théophraste, a emprunté, dans son chapitre xxvIII, plusieurs traits de ce caractère pour faire le portrait du parasite de Philandre.

CHAPITRE III.

DE L'IMPERTINENT, OU DU DISEUR DE RIENS

La sotte envie de discourir vient d'une habitude qu'on a contractée de parler beaucoup et sans réflexion (1). Un homme qui veut parler, se trouvant assis proche d'une personne qu'il n'a jamais vue et qu'il ne connoît point, entre d'abord en matière, l'entretient de sa femme, et lui fait son éloge, lui conte son songe, lui fait un long détail d'un repas où il s'est trouvé, sans oublier le moindre mets ni un seul service: il s'échauffe ensuite dans la conversation, déclame contre le temps présent, et soutient que les hommes qui vivent présentement ne valent point leurs pères de là il se jette sur ce qui se débite au marché, sur la cherté du blé ( 2), sur le grand nombre d'étrangers qui sont dans la ville: il dit qu'au printemps, où commencent les Bacchanales (3), la mer devient navigable; qu'un peu de pluie seroit utile aux biens de la terre, et feroit

espérer une bonne récolte; qu'il cultivera son champ l'année prochaine, et qu'il le mettra en valeur; que le siècle est dur, et qu'on a bien de la peine à vivre. Il apprend à cet inconnu que c'est Damippe qui a fait brûler la plus belle torche devant l'autel de Cérès à la fête des Mystères (4): il lui demande combien de colonnes soutiennent le théâtre de la musique (5), quel est le quantième du mois : il lui dit qu'il a eu la veille une indigestion; et si cet homme à qui il parle a la patience de l'écouter, il ne partira pas d'auprès de lui, il lui annoncera comme une chose nouvelle que les Mystères (6) se célèbrent dans le mois d'août, les Apaturies (7) au mois d'octobre; et à la campagne, dans le mois de décembre, les Bacchanales (8). Il n'y a, avec de si grands causeurs, qu'un parti à prendre, qui est de fuir (9), si l'on veut du moins éviter la fièvre car quel moyen de pouvoir tenir contre des gens qui ne savent pas discerner ni votre loisir ni le temps de vos affaires?

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