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Son mur est de terrage et la paille est son toit.

Mais les nids sont-ils donc de marbre?

Je ne reprocherai pas à l'auteur des cheveux gris d'avoir lu Lafontaine : c'est une bonne lecture dont il a profité; qu'il consulte les souvenirs agréables qu'elle lui a laissés et nous dise si son conte n'est pas un peu parent de la fable de l'homme entre deuxâges et ses deux maitresses: Lucas persuade Jean qu'il va le dépouiller de ses cheveux blancs; il arrache les noirs et épouse Jacqueline. Quoiqu'il en soit, le récit est assez lestement mené, et si l'Académie n'a pas cru que la versification un peu négligée lui permit de passer sur une conception dénuée d'originalité, elle a constaté des efforts dont on doit tirer pour l'avenir un augure favorable.

Ces espérances, nous les formons aussi pour l'écrivain qui nous raconte la légende de la Côte des Deux Amants. Il est jeune, et comme un de ses rivaux, 'il pourrait bien employer les loisirs du rhétoricien à la fréquentation des muses: qu'il ne nous en veuille pas de notre indiscrétion; s'il n'avait été trahi aussi par le papier même qu'il a pris pour confident, n'eût-il pas été dénoncé par sa devise: « excelsior, plus haut» qui est un engagement pour nos concours futurs ? Le sujet qu'il a choisi a inspiré plus d'un poëte avant lui, et depuis le XIIe siècle où Marie de France célébrait

Une aventure mut oïe

De deus amanz qui s'entr'amèrent (1),

(1) Marie de France. - Lai des deus amanz.

leur infortune a été trop souvent chantée, pour qu'une donnée si connue n'exige une perfection presque absolue dans la forme. Sans avoir à noter des fautes graves dans des vers quelquefois heureux, constatons cependant l'absence de deux rimes féminines; elle n'est pas rachetée par la présence effrontée de l'adverbe ravissamment qui n'a pas encore obtenu sa naturalisation; indiquons aussi quelques antithèses plus laborieusement cherchées qu'exactement trouvées, et donnons un rendez-vous prochain à un auteur qui, dès aujourd'hui, mérite des encourage

ments.

La facture du conte intitulé un mariage en Afrique, sauf deux vers qui se sont égarés dans le désert à la recherche de leurs rimes perdues, indique, au contraire, une plume qui a déjà dépensé plus d'une goutte d'encre au service de la poësie. Le tour en est vif, le style aisé et le sujet piquant un capitaine de bureau arabe, čumulant toutes les fonctions civiles et militaires dans le poste avancé où la conquête l'a amené, procède à un mariage; mais l'harmonie ne règne pas longtemps dans le nouveau ménage, et dès le lendemain, déchirant l'acte qu'il a dressé la veille, l'officier de l'état civil écrit à son général :

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J'avais marié Madeleine,

Cabaretière, avec un maçon, Jean Lefort.

Le lendemain, tous deux ont, d'un commun accord,
Regr tté leur serment; j'ai cru qu'il était sage
De les en délivrer, et ci-jointe est la page
Où je l'avais inscrit. Tout est nul... et je crois
Avoir pour leur bonheur bien usé de mes droits.

Pourquoi devons-nous apporter encore ici, une restriction à l'éloge ? La faute en est au conteur, qui a prétendu avec une rare insistance faire entrer l'ivrognerie comme un élément comique dans son récit, et nous a donné du soldat brave et naïf qu'il avait d'abord représenté un type de buveur infatigable et accessible à toutes les séductions qui favorisent une passion ignoble. Citons :

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Le vin blanc ou l'absinthe à la couleur d'opale.

C'était juste vraiment
Que ses administrés lui remplissent son verre.

Il est des choses sur lesquelles il faut glisser et non appuyer; le tact n'est pas inséparable de la gaieté. Une plaisanterie doit être légère; celle-ci, beaucoup trop répétée, dépare une œuvre qui n'est pas sans mérite, elle froisse les sentiments que notre armée sait inspirer et elle ne pouvait trouver grâce auprès de l'Académie.

C'est aussi un manque de mesure qui a détourné

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notre suffrage du conte: Normand et Champenois. L'anecdote est plaisante et l'on s'intéresse à cet habitant de Châlons qui fait si bien mentir le proverbe dans lequel on l'assimile à ses moutons et qui trompe notre madré compatriote en le prenant dans son propre piége. La protestation bouffonne, que Grosley nous a transmise contre le dicton populaire dans ses amusants mémoires de l'académie de Troyes (1), pouvait avoir un pendant spirituel dans l'histoire de ce rusé compère, prétendant que son cidre est préférable aux vins de la Champagne, profitant de l'absence momentanée du marchand de laines pour introduire un jambon dans le ballot qu'il a acheté, refusant le pesage de la marchandise, et forcé de payer une somme supérieure au prix convenu dans la crainte que l'ouverture du paquet ne trahisse sa fraude. Mais pourquoi cette donnée, développée en des vers souvent bien tournés, se trouve-t-elle gâtée par des exagérations de mauvais goût qui en dénaturent le caractère? Pourquoi le mot injurieux se substitue-t-il à la malice? L'auteur le sentait et cherchait à invoquer des circonstances atténuantes dans un court avant-propos sa défense n'a pas triomphé, et nous avons regretté de ne pouvoir l'accueillir.

De nobles sentiments, exprimés dans un langage un peu vague, nous ont fait distinguer la triste fin d'un beau jour, ou le corps et l'ame. Cette dualité de la pensée et de la matière qui a dicté ses plus belles

(1) Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions, BellesLettres, Beaux-Arts, etc., nouvellement établie à Troyes en Champagne. 1756. Tome II. Réflexions historiques, critiques el mo

rales sur un proverbe.

pages à Platon, cette latte incessante de nos instincts les plus vils avec nos aspirations les plus élevées, cette querelle entre l'âme et l'autre, entendue par un voyageur célèbre (1), quoiqu'il n'ait parcouru que sa chambre, méritaient d'être chantées par la poësie et l'auteur n'a pas toujours été inférieur au beau sujet qu'il a choisi. Un souffle animé, des élans heureux, là verve, la couleur ne manquent pas à la description des plaisirs auxquels le corps se laisse entraîner et dont sa compagne n'ose le priver, bien qu'ils soient mortels.

Ecoutez, Messieurs, et vous penserez comme

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