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certain degré d'art sont accessibles à tous. Eh bien! nos novateurs se sont rabattus sur la forme; séulement ils l'ont outrée, torturée à ce point que la pauvre muse, au peplum académique et au cothurne élégant, est devenue si mal vêtue avec le caraco des réalistes, qu'elle ne se reconnait plus elle-même et qu'elle rougit quand on la regarde.

Ce qui était simple, dans les mains de ces artistes à tant la ligne est devenu composé; ce qui était clair : mystérieux et obscur. Le beau, dans sa plus commune et gracieuse expression a pris intentionnellement une physionomie grimaçante et désagréable, que dis-je ? le laid a été vanté et s'est trouvé magnifique ! La prose, le vers ont cherché de nouveaux tropes, des combinaisons surprenantes en fait de hardiesse ou de naïveté, et l'écrivain tout-le-monde, parodiant même, à son insu, M. Jourdain dans sa comique niaiserie, s'est cru en possession d'un instrument tout à la fois nouveau et profitable au développement des beauxarts.

Et comment ne l'aurait-il pas cru? Cette aberration littéraire a ses triomphateurs. Tous les jours, romanciers, journalistes, auteurs dramatiques, dont les titres font iilusion à distance, se battent les flancs pour accoucher d'une facétie; le lendemain beaucoup d'autres la reproduisent; l'applaudissement se généralise et la galerie n'a véritablement qu'une chose à faire: s'incliner.

Si, d'ailleurs, on a pu dire avec une apparence de raison, que, individuellement, le style caractérise l'homme, on sent mieux encore qu'il est, dans une acception générale, la résultante des penchants et des

mœurs d'une société arrivée au point de civilisation où peuvent se manifester le plus grand nombre de ses organes intellectuels.

Et, de même que nos jeunes gens sceptiques et blasés font injure à la jeunesse en s'enveloppant de gateuses, de même certains écrivains réalistes, les Ponson et les Gaboriau de la forme moderne, se moquent de leur mère, la littérature, en s'efforçant d'élever des piédestaux à l'espion, au filou, à la femme de feu et aux héros de l'Assommoir.

Il en a, du reste, toujours été ainsi; les époques de décadence morale ont été des époques de mauvais goût et d'affaiblissement artistique (1); tandis que les grands siècles, tels que ceux de Périclès, d'Auguste, de Léon X, pour ne parler que de ceux-là, ont été des siècles de grand style en tous genres, c'est à dire où la forme artistique de tous les produits de l'intelligence humaine s'est mise à l'unisson des nobles actions et des beaux caractères.

Ces mutations profondes qui, en certains temps, apparaissent plus radicales dans l'organisme d'un peuple, sont sans doute destinées à révéler le travail qu'est obligée d'accomplir la perfectibilité humaine ; les temps d'arrêt qui s'y manifestent parfois sous des influences apparentes ou occultes marquent peut-être, dans un but providentiel d'équilibre, le mystère de mouvements constants, quoique divers dans leur nature, vers une destinée inconnue.

C'est une des singularités, comme il se peut que

(1) Voir Tableaux de la Lillér. franç., par Villemain, Gerusez, de Barante et Saint-Marc-Girardin.

ce soit une des forces de la nature humaine. Ne voiton pas que les êtres secondaires, qui nous sont subordonnés sur la terre, ont, au contraire, toujours poussé le même cri, employé le même langage, modulé le même chant?

Et il serait dommage, en vérité, que cette loi de la variété ontologique s'étendit sur les oiseaux de nos bois et de nos campagnes, qui, depuis la sortie du Conservatoire noachique n'ont jamais changé de litté-. rature, et ont perpétué sur la terre, avec des formes et des chants toujours les mêmes, le charme harmonieux de la divine création.

LA RÉPUBLIQUE DES OISEAUX

APOLOGUE,

PAR M. J.-A. DE LÉRUE.

Un grand nombre d'oiseaux légers
Légers de jugement non moins que de plumage -
Se querellaient dans les vergers;

Et leur assourdissant ramage,

Allant au-delà de raison,

Par les clameurs de son diapason

Jetait l'alarme au voisinage.

Quel danger mettait à ce point,
Parmi la nation aîlée,

Le trouble dans notre vallée

Où, d'ordinaire, on n'entend point

Tant de tapage?

Avait-on vu, sous le nuage,

Le Vautour au bec acéré

Plânant et guettant au passage

Quelque vagabond égaré

Par les ardeurs de son jeune âge?

Non. Le Ciel était pur; un zéphir bienfaisant
Rafraichissait l'onde et la terre;

Les fleurs, en s'épanouissant,
Parfumaient l'atmosphère;

Et les nids, à l'abri du vent,
N'avaient à craindre, en ce moment,
Ni le Vautour ni le tonnerre.
Il s'agissait le croira-t-on ?
D'une question politique.

Chez nous l'épée ou le canon,
Selon les us anciens et l'humaine pratique,

Auraient aisément eu raison

Des fauteurs de la République.

Mais autre chose est l'homme, autre chose l'oison :
Parmi la bruyante pécore

Qui nous préoccupe en ce jour,

D'aucuns voulaient un Roi.... qu'ils attendaient encore; Les uns le voulaient blanc, sans phrase ni détour, D'autres le voulaient tricolore.

Quant aux pillards, aux mange-tout,

Que tout frein contrarie et qu'en vain l'Ordre implore, Ils n'en admettaient pas du tout.

Le désaccord grandit, le bruit devînt tempête;
Injures, coups de bec, cris à rompre la tête
Otèrent bientôt à nos gens

Ce qui dans tous les temps fût l'esprit de la bête:
Le Bon sens.

Cependant un Chasseur survînt dans la mêlée;
Et, sans souci des bleus, des rouges et des blancs,
Il en fit une fricassée.

L'exemple de ces fous s'adresse au genre humain :
Un Peuple divisé n'a pas de lendemain.

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