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qu'il y eut quelques obstacles en route; les chemins sont mauvais. Hé bien, nous franchirons les torrents, nous escaladerons les montagnes, ou même nous les déplacerons comme feu Encelade et nous irons planter la Croix sur Sainte-Sophie et la purifier de quatre cents ans d'islamisme.

« Tout ce préambule est pour vous annoncer en vile prose que demain je vais au Danube rejoindre l'Empereur qui m'a appelé auprès de sa personne, pendant cette guerre ce jeune et brillant souverain s'entoure de ses vieux invalides qui rajeuniront près de lui. Tombez Brailow, Silistrie et Schoumla.

Paraissez Albanais, Bozniacs, musulman

Et tout ce que la Mecque a produit de plus grand.

<< Pachas, livrez-nous vos houris; Agas, rendez vos sabres; Effendis, apportez-nous le Coran. Faites chorus avec nous, vous autres Phillélènes de Paris et si vous ne pouvez vous battre, prenez un jambon comme Sosie et priez Dieu pour nous. >>

Il ne déplaît pas d'entendre ce général de soixantecinq ans, malgré ses quarante et quelques campagnes, courir de si bonne humeur au-devant de nouveaux combats. C'est bien mieux encore quand il est en action. Il écrit à Brifaut du camp de Schoumla, le 26 juillet 1828:

« Allah Mahomet Allah ! Dieu est grand et Mahomet est son prophète. Voilà, mon cher immortel, ce que nous chantent tous les matins les quarante mille barbares que nous avons devant nous. Le premier acte de notre tragédie a été joué vite et chaudement:

il a complètement réussi en six semaines, nous avons fait tomber sept forteresses et pris plus de huit cents canons. »

« Le second acte commence; je crains qu'il n'y ait quelques longueurs : nous sommes devant les deux Gibraltar de l'islamisme, Varna et Schoumla. Il faut les prendre, et alors nous dirons: Dieu est grand et Mahomet n'est plus son prophète. Nous avons eu, il y a six jours, une affaire sous les murs de la ville où nous avons refoulé la garnison. Les Turcs ont envoyé quelques lettres à mon adresse, mais je n'en ai reçn aucune. Elles ont sifflé à mes oreilles comme au jour heureux où l'on représentera mes tragédies.

«Je soutiens mes soixante-six ans et je fais encore le jeune homme la goutte ne m'attrapera pas et je le conçois, car je cours toujours. Je suis un souverain beau, jeune, brave, brillant

Trafnant tous les cœurs après soi,

et, qui pis est, impitoyable : nous galopons quelquefois pendant douze à quinze heures de suite par la fraîcheur de M. de Vendôme, c'est-à-dire de 40 à 45 degrés, ce qui est assez raisonnable. Jusqu'à présent je ne m'en trouve pas mal. Dieu est grand et Mahomet ne soit plus son prophète.

Et la lettre se continue pour les affaires de France, et se termine, au bruit de la fusillade, par ce cri, vraiment caractéristique, d'un auteur incorrigible:

« Lira-t-on enfin Marie-Stuart. »

Le second acte devant Varna traîna en effet quelque peu en longueur. En 1829, les Russes purent

s'avancer jusqu'à Andrinople et s'emparer d'Erzeroum, puis conclurent la paix. La dernière lettre de M. de Langeron à M. Brifaut est datée des Balkans, 6 avril 1829.

« Je quitte l'armée, dit-il, La nomination du comte Dibitsch chasse tout ce qui était plus ancien que lui c'est du romantique mis à la place du classique. J'ai terminé ma carrière militaire par quelques coups de foudre que j'ai lancés aux Turcs.

:

C'est ainsi qu'en partant je leur fais mes adieux.

Les Gazettes vous auront appris que j'ai escamoté aux bons Osmanlis deux forteresses et une flottille en trois semaines, par deux pieds de neige et quatorze degrés de froid. Cela vaut mieux qu'une tragédie en prose.

« J'ai bien envie d'aller vous voir, mon cher immortel, mais sera-ce possible? La monarchie dégringole et s'en va pièce à pièce. Je ne me soucie ni de devenir républicain, ni d'aller au prêche, ni de deviser chez le Président Lafayette, et vous allez là ne vous déplaise. Votre gouvernement est au niveau de votre littérature. »>

Ah! si l'on avait joué Marie-Stuart ou seulement Mazaniello! comme le vieux général se fût hâté d'accourir, et comme il se fut réconcilié avec les lettres françaises ! Il dut renoncer à ses rêves de gloire poétique, car la mort brisa son épée et sa lyre le 4 juillet 1831 à Saint-Pétersbourg. Il put voir cependant, en partie, ses prédictions réalisées. La monarchie des Bourbons s'était effondrée dans une révolution nou

velle, et le général Lafayette, sur le balcon des Tuileries, avait convié la France à acclamer ce qu'il appelait la meilleure des républiques » en attendant les autres.

Un homme d'infiniment d'esprit et de talent disait dernièrement à l'Académie française: « Il est des écrivains qui attirent l'attention publique par des qualités d'un très-vif éclat. Cette impression subite est quelquefois très-prompte à s'effacer. D'autres se livrent moins, et veulent être un peu forcés dans le sens intime de leurs œuvres; mais cette habitude familière de leurs écrits devient bientôt la source des jouissances les plus délicates et les plus durables. »

C'est mon excuse dans cette étude sur Charles Brifaut, s'il fallait une excuse auprès des esprits bienveillants auxquels elle est destinée.

LA

RECHERCHE DE L'ÉTRANGE

EN LITTÉRATURE

PAR M. J.-A. DELÉRU E.

Faciendi plures libros nullus est finis.

SALOMON.

Sous le prétexte de s'éloigner de ce qu'elle considère comme trop simple, trop naïf, et, par suite, insuffisamment intéressant, la littérature actuelle, même en haut lieu, cherche à faire prévaloir, dans ses conceptions, l'étrangeté du fond se combinant avec les singularités de la forme.

Nous dirions que c'est la poursuite constante de l'excentricité, si ce mot, aujourd'hui très à la mode, était depuis plus longtemps français.

Nos écrivains, même parfois ceux que la réputation couronne, mais surtout ceux qui n'en sont encore qu'à aspirer au succès, s'évertuent à rencontrer, pour leurs compositions, des sujets outrés, que les metteurs-en-œuvre des faits de la vie sociale ou familière eussent naguère absolument repoussés.

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