et il nous concèdera certainement que furieux et présomptueux, insuccès et sujets sont des rimes qui ne l'ont pas plus satisfait que nous.

La correction semble au contraire, à défaut de l'invention, avoir préoccupé celui qui nous a envoyé l'apologue intitulé les Aveugles, dans lequel il peint l'humanité perdant le bonheur pour avoir oublié la reconnaissance due à son créateur. Malheureusement il s'en est tenu à ces intentions dont le proverbe prétend que l'enfer est pavé, et bien qu'il annonce dans une note n'avoir « consacré à la confection de son « œuvre que des rimes riches à l'exclusion de toutes autres,» (sic) nous sommes forcés de lui faire remarquer qu'indépendamment d'un vers qui contient un hiatus, cette opulence, trop vantée, se trouve fort appauvrie par des rimes telles que dangers correspondant à projets.

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé (1)?

L'auteur pourra l'apprendre, s'il se souvient qu'il ne faut jamais faire trop sonner son argent.

Ne soyons d'ailleurs pas trop sévères à son égard. «Le temps est un capital, times is money,» disent nos voisins, et voici que le poëte, qui se targuait imprudemment de sa richesse, essaie, dans le même. instant et par une singulière contradiction, de nous apitoyer sur son indigence en affirmant n'avoir reçu que tardivement le programme du concours;

nous ne pouvons que lui répondre avec un critique

connu :

Monsieur, le temps ne fait rien à l'affaire (1).

et espérer que l'avenir lui offrira des loisirs suffisants pour nous donner bientôt un travail irréprochable.

L'auteur à qui nous devons une Haine au Village, un titre bien dramatique, n'a point pris la précaution de nous avertir que son œuvre était bien rimée : il ne faut tromper personne. En effet, parer et léger, briser et admirer, cotés et fascinés, enjouée et journée, entraîner et nocher, enveloppe et despote sont des négligences que la critique la plus indulgente ne saurait tolérer. Sontelles effacées, en admettant le système des compensations, par des recherches d'expressions voisines de l'afféterie, et ne devons-nous pas accueillir

Le rossignol des bois, ce ténor sans pareil,
Avec joie égrénant son chapelet sonore.

Autrement qu'en répétant:

Ce style figuré dont on fait vanité
Sort du bon caractère et de la vérité (2) ?

Il a dù coûter d'ailleurs peu d'efforts à l'imagination qui l'a conçu, ce lugubre récit d'un assassinat commis par un rival sur l'époux qui lui a été préféré et dont le trépas mystérieux se révèle à peine par

un tertre de gazon,

Etroit comme une tombe et comme un homme long.

Ajoutons que cette « triste aventure » (le mot est du conteur) n'est pas égayée par la plaisanterie sinistre qui la termine, et qui consiste à nous montrer un savant découvrant vingt ans plus tard sur le théâtre du crime, suivant l'expression des journaux judiciaires, des ossements... romains. Les incursions, du roman moderne dans les épisodes soumis habituellement à l'appréciation des cours d'assises n'ont pas été assez heureuses pour que l'Académie encourage la poésie à commettre de semblables tentatives. Elle y serait d'autant moins disposée que l'écrivain, animé d'excellentes intentions, s'inquiétant des moyens qui permettront à l'homme des champs de

Rejeter loin de lui tout sentiment horrible

Pour ne plus s'adonner qu'aux élans généreux,

apporte sa solution à ce que certains théoriciens appellent le problème social; je l'ai trouvée, s'écriet-il, comme Archimède, du haut de la chaire ou de la tribune qu'il s'est improvisée :

Sur tous les paysans répandez la lumière,
Faites-en des penseurs, rendez leur âme fière,
Et vous ne les verrez plus, au fond du vallon
Caresser une haine en creusant un sillon!

A cette leçon qui nous promet bientôt, si le poëte est devin, toute une génération de penseurs ruraux, nous préférons, ne lui en déplaise, celles que nous donnent les incidents journaliers et prosaïques de la vie, les enseignements de l'école, de l'église, du foyer domestique, et s'il visitait nos populations campagnardes, nous pourrions partout lui montrer que l'amour de Dieu, le respect de la famille, le travail régulier, la prévoyance et la charité suffisent à moraliser des hommes qui, sans devenir des philosophes, restent d'honnêtes gens. Massillon me semble d'ailleurs avoir clos la querelle, dans laquelle je prends peut-être trop vivement parti, par un mot que rapporte Chamfort: je suis trop reconnaissant à l'écrivain anonyme, que je voudrais persuader, de m'avoir fourni le prétexte de relire cette anecdote pour ne pas lui offrir le même plaisir en la lui citant textuellement :

« Madame du Deffand, étant petite fille, et au « couvent, y prêchait l'irréligion à ses petites cama«rades. L'abbesse fit venir Massillon, à qui la petite « exposa ses raisons. Massillon se retira en disant : « Elle est charmante. » L'abbesse, qui mettait de l'importance à tout cela, demanda à l'évèque quel « livre il fallait faire lire à cette enfant. Il réfléchit <«< une minute et il répondit : « Un Catéchisme de « cinq sous. » On ne pût en tirer autre chose (1). »

Dût-on me trouver bien morose, j'adresserais des observations analogues à l'auteur de Sous les toits, si

(1) Chamfort.-Caractères el portrails. Page 56. — Lecou, 1852.

son âge n'était une excuse pour le présent, une promesse pour l'avenir. Son élégie (la jeunesse devrait-elle courtiser la mélancolie?) est l'histoire d'un enfant que la mort prive de sa mère et laisse abandonné avec un chien, son seul ami. Les feuillets sur lesquels on lit ce récit, composé avec méthode et développé avec une émotion communicative, semblent arrachés à un cahier destiné à recevoir des inspirations plus sévères ; mais l'Université n'a pas à rougir de son élève. Lorsqu'il aura perfectionné la facture de ses vers, qu'il évitera des hiatus comme de temps à autre et s'abstiendra de faire rimer infini ave nid, môt avec berceau, froid avec loi, il aura encore à acquérir l'expérience que l'existence a apprise à ses aînés. Il comprendra alors que son œuvre, qui se distingue par la simplicité, le naturel et une vraie sensibilité, n'eût perdu aucune de ces qualités au mariage de son héroïne. En vieillissant (et l'on devine qu'il peut vieillir sans grisonner), il verra plus d'une veuve isolée, travaillant pour faire vivre un petit être auquel la maladie et la mort viennent la ravir et il sera moins tenté de relever avec une molle complaisance celle qui

.. avait dû céder aux discours d'un infâme.

Non, Monsieur, l'on ne doit pas céder et votre généreux instinct vous a laissé oublier que la faute, dont vous parlez d'ailleurs avec la discrétion qui convient, si elle fait une victime, implique le plus souvent deux coupables. Relisez ces vers d'un poëte qui a chanté la Jeunesse (1) :

(1) E. Augier.

Théâtre; La Jeunesse ; L'Aventurière.