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est conduit avec un art admirable par toute cette pléiade de vignettistes et toujours de telle façon que l'ensemble de l'épreuve se tient parfaitement. Depuis la première épreuve d'essai jusqu'à la dernière épreuve tirée avec la lettre, on voit se développer toute une gamme de tons partant depuis le simple trait de mise en place jusqu'au coup de burin qui donne aux ombres toute leur valeur. Pendant la gravure de la planche et à quelque moment que ce fut, l'amateur, qui serait entré dans l'atelier de l'artiste et aurait immédiatement demandé une épreuve, aurait vu sortir de la presse une composition d'un travail plus ou moins avancé mais formant toujours un ensemble harmonieux. C'est bien ce qui explique la vogue dont jouissent en ce moment tous ces livres. du siècle dernier, dont le texte vaut si rarement les vignettes dont il est accompagné.

Le Veau préparait toutes ces petites planches avec un soin et un talent tout-à-fait remarquables. Comme Le Mire et tous les bons graveurs du temps, il indiquait d'abord sa composition dans les ombres par un trait intelligent et dans les lumières par un pointillé spirituel, le tout mordu à l'eau forte simplement. Ce premier travail terminé, il poussait sa planche aussi loin qu'il le pouvait, toujours au moyen de l'eau forte, et il ne travaillait son cuivre avec le burin et la pointe que lorsque ce procédé avait donné tout ce qu'il devait produire.

Avant de terminer notre appréciation sur notre compatriote, nous devons signaler une lacune dans son œuvre, lacune qui lui donnera toujours une

place inférieure à côté de ses rivaux. Malgré toutes nos recherches, nous n'avons jamais trouvé un portrait grand ou petit gravé par lui, tandis que De Launay, Le Mire, De Longueil en ont signé qui sont de véritables petites merveilles. Cela indique évidemment que Le Veau ne se sentait pas assez fort pour tenter l'aventure et qu'il préféra s'abstenir plutôt que d'éprouver un échec. La cause doit en être cherchée à coup sûr dans son éducation première, si troublée par l'état de sa santé comme plus tard par le besoin de faire face aux nécessités de la vie. Cette absence d'éducation première se trouve encore dans l'orthographe de Le Veau et en explique toutes les fantaisies; mais nous ne le chicanerons point à ce sujet. Il est graveur, et c'est à ce seul titre qu'il appartient à la critique. Nous ne sortirons donc point des limites de cette biographie.

En résumé, Le Veau est une des figures intéressantes et trop peu connues de l'histoire de l'art de la gravure au XVIIIe siècle, et nous ne comprenons guère que M. le baron Portalis, dans ses deux volumes consacrés aux dessinateurs d'illustrations du siècle dernier, n'ait pas même mentionné notre compatriote parmi les graveurs qui ont si bien interprété Eisen, Gravelot et Moreau. En gardant le silence sur cet artiste, il n'a pas fait œuvre de justice. Si le succès répond à nos efforts, le catalogue que nous préparons de l'œuvre de J.-J.-A. Le Veau rendra à ce dernier, parmi les bons graveurs du siècle dernier, la place qui lui est due. Il prouvera également que, si on ne connaît pas ou si on connaît peu, même dans leur ville natale, les artistes remarquables ori

ginaires de la vieille capitale normande, l'Académie de Rouen se préoccupe de donner à ses anciens membres l'auréole qu'ils ont méritée par une vie de travail et de vertus et par des talents véritablement supérieurs.

DIVERS ÉLOGES

DONNÉS

A LA VILLE DE ROUEN

Depuis le quatrième siècle jusques et y compris le
dix-neuvième,

PAR M. DE DURANVILLE.

Beaucoup de gens acceptent très volontiers, sans le moindre examen et sans la moindre vergogne, ce qu'on dit, soit à leur avantage, soit à celui de leur famille : ce travers de vanité leur est quelquefois funeste, et le ridicule est chargé de les punir. Il peut en être des villes ainsi que des hommes; elles peuvent accepter trop aisément ce qui leur semble honorable. Homère n'eut qu'une seule patrie; sept villes se disputèrent sa naissance; plusieurs de ces villes ne devaient alléguer que des preuves de bien mince valeur; et toutefois il est probable qu'elles n'auraient, pour quoi que ce fût, renoncé à leurs prétentions; dès lors elles avaient tort et méritaient le blâme. Les habitants de Rouen peuvent certainement accueillir avec un

noble orgueil, et mettre en relief les justes éloges donnés à leur ville; mais ils ne doivent pas plus estimer les éloges exagérés que reconnaître le roi Magus pour fondateur de Rouen; le discernement leur est nécessaire. Cependant il y a quelque chose d'intéressant à réunir plusieurs éloges, injustes aussi bien que justes donnés à la ville de Rouen. On sait combien nos prédécesseurs savaient au besoin donner aux éloges les proportions les plus démésurées; il suffit pour s'en convaincre, d'ouvrir les ouvrages de nos vieux écrivains normands; avec quelle prodigalité ne les distribuait-on pas et dans les li vres et dans les épitaphes! Qu'on feuillette Ordéric, Vital ou la Neustria pia, et l'on verra combien de vertus s'y trouvent accumulées dans les éloges de tous les abbés, bienfaiteurs et nombre d'autres gens, à l'égard desquels on se montrait enthousiaste. L'usage voulait, au xvre et au XVIIe siècle, qu'on plaçât en tête de certains ouvrages des témoignages en leur faveur; les bibliophiles sont bien aises de rencontrer ces témoignages, quoique la vérité en soit souvent très contestable. Le motif de simple curiosité ne suffit-il pas pour recueillir ce qu'on a dit autrefois de la ville de Rouen, quelquefois à tort, quelquefois néanmoins avec conviction?

Le plus ancien éloge donné à la ville de Rouen se trouve dans une lettre adressée à son huitième évêque, saint Victrice, par saint Paulin, évêque de Nole. Il s'agit des progrès que le christianisme avait faits dans un lieu où, quatre cents ans auparavant, on ne voyait qu'un chétif amas de maisons, et que Jules César n'a pas mentionné dans ses Commentaires.

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