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hêtres qui donnèrent à Auffay son nom. Et il nous plaisait, en retraçant ces souvenirs et en écrivant ces noms, de laisser comme un témoignage de notre affection à ce coin de la Normandie, l'un des plus riants sur lesquels l'œil du visiteur puisse se reposer, et qui, pour nous au moins, conservera toujours ce prestige d'avoir été témoin des meilleures années de notre âge mur.

ÉTUDE D'ARCHÉOLOGIE ROMAINE.

DOMAINES FUNÉRAIRES

PAÏENS ET CHRÉTIENS

PAR M. PAUL ALLARD.

I

Le voyageur qui, il y a seize ou dix-sept siècles, arrivait dans Rome vers le milieu du mois de février avait sous les yeux un spectacle très animé et très étrange. Pendant qu'il suivait, quelques milles avant d'entrer dans la ville, une de ces grandes voies que nous retrouvons aujourd'hui encore bordées de cippes funéraires, de mausolées, d'édifices sépulcraux de toutes les formes, il rencontrait de place en place de petites troupes d'hommes et de femmes couverts de vêtements blancs. Tout signe de tristesse était soigneusement banni de leur costume: ils avaient l'apparence de convives se hâtant vers un festin, non de parents ou d'amis venant pleurer leurs morts. Chacun de ces groupes, cependant, s'arrêtait à la porte

de quelque chapelle sépulcrale, de quelque édifice consacré aux mânes, de quelque enclos renfermant un tombeau. Dans ces asiles du deuil, tout semblait en mouvement. On voyait des esclaves aller et venir; quelquefois la porte entr'ouverte d'un bâtiment de service laissait apercevoir les fourneaux allumés d'une cuisine; d'une salle située au-dessus du sépulcre ou d'un appartement contigu sortaient des chants, le son des instruments de musique, la voix confuse de convives nombreux. Si le soir était venu, l'œil du voyageur pouvait apercevoir devant lui comme les lignes de feu d'une grande illumination; à la lampe solitaire qui brûlait jour et nuit près des sépulcres, d'autres lampes avaient été ajoutées (1): on eût dit une fête publique. C'en était une en effet : c'était la fête des morts, les parentalia (2). Du 13 au 22 février, les parents devaient chaque année venir visiter les tombeaux de famille et les honorer par des sacrifices et des offrandes; le dernier jour les réunissait dans un cordial banquet (caristia), d'où la bonne humeur n'était pas bannie, et auquel, pour parler le langage des inscriptions funéraires elles-mêmes, on devait apporter un visage gai (hilares), une âme qui a déposé toute animosité et toute rancune (sine querela, sine bile).

(1) Quand on n'était pas assez riche pour assurer l'entretien de lampes près de son tombeau, on priait quelquefois les passants de se charger de ce pieux office: QVISQ. HVIC TVMVLo posvit ARDENTE (m) LVCERNAM, ILLIVS CINERES AVREA TERRA tegat Orelli, Inscripl. select., 4838.

(2) Guther, De jure manium, l. II, ch. 12, p. 128. Paris, 1615, in-4.

A d'autres dates de l'année, le voisinage des tombeaux présentait un aspect semblable, mais plus gra cieux et plus poétique. Les visiteurs devaient offrir des fleurs au sépulcre du parent, du patron, de l'ami ou du collègue: en mai, des violettes; en juin et juillet, des roses; plus tard même des fruits, les produits de l'automne, vindemiales On se figure aisément l'animation des voies romaines en ces jours-là: les jardiniers cueillant des fleurs dans l'enclos, souvent très vaste et très soigné, qui entourait un riche tombeau ; des esclaves apportant de la campagne des corbeilles pleines de violettes, de roses ou de pampres pour décorer les sépulcres moins opulents; de place en place, des marchands assis le long de la voie, devant des tables chargées de bouquets et de couronnes, afin que les pauvres gens puissent, eux aussi, se procurer pour leurs morts des fleurs de la saison.

Telle était la façon légère, aimable, superficielle dont les Romains comprenaient le culte des morts. Aux premiers siècles de notre ère, le sens naïf et profond de ces usages s'était depuis longtemps perdu. Le païen sceptique ne savait que penser de l'immortalité de l'âme; le Romain éclairé avait cessé de croire que les mânes prissent plaisir à respirer l'odeur des mets et le parfum des fleurs (1). Dans ces usages, dans ces rites, il n'y avait plus qu'un souvenir des temps antiques, une coutume léguée par les ancêtres et transmise sans réflexion aux descendants; ils couvraient d'un voile gracieux le

(1) Lucien, Charon, 22.

vide profond des croyances et la diversité des opinions relatives à une autre vie.

Les Romains n'en attachaient pas moins une grande importance à être honorés de la sorte. Aucun peuple n'a moins compris la mort et n'y a plus souvent pensé. Laisser après soi un tombeau magnifique était une des vanités du riche ou du parvenu. Même le petit bourgeois, l'homme du peuple, d'humbles ménages consacraient à ce luxe posthume une partie de leurs économies (1). Il n'y avait pour ainsi dire pas un testament qui ne prévît et n'ordonnât d'avance le culte à rendre au testateur après sa mort. Les célibataires et les orbi, si nombreux à Rome sous l'empire, s'efforcaient par tous les moyens de se procurer une famille posthume, afin que leur sépulcre ne demeurât pas délaissé à l'époque des parentalia. Tantôt ils affranchissaient leurs esclaves à condition de venir, à des jours fixés, honorer leurs cendres Que Saccas, mon esclave, ainsi qu'Eutychia et Irène, mes deux servantes, soient libres, sous la condition que tous les deux mois ils viendront allumer une lampe sur mon tombeau et y célébrer les cérémonies usitées en l'honneur des morts (2). » Tantôt ils léguaient à leurs affranchis des fonds de terre, des capitaux, les obligeant à dépenser une partie des revenus en honneurs funèbres : ils devront faire des libations, des offrandes de fleurs, des festins près du tombeau, à l'époque des parentalia, aux dies

(1) DONATVS. AVG. LIB, ET, ANNIA. PRIMITIVA. HANG. SEDEM. FRVCTVM. LABORIS. SVI. VIVI. SIBI. POSVERVNT. Orelli, 4769.

INSTANTIA ET LABORIBVS FECIT. Orelli, 4728.

(2) Modestin, au Digest., XL, IV, 44.

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