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gramme, s'il lui était donné d'entendre ce qu'on appelle ambitieusement la musique de l'avenir.

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Il ne serait pas équitable de critiquer les intentions des écrivains qui se font une gloire d'appartenir à l'école réaliste. Voyez le but que s'est proposé l'auteur de l'Assommoir, « J'ai voulu, dit M. E. Zola, peindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière, « dans le milieu empesté de nos villes. Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâche«ment des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments hon« nêtes, puis, comme dénouement, la honte et la mort. C'est de la morale en action simplement. » Assurément, le programme était magnifique. Qu'elle ambition fut jamais plus noble, quel but fut plus élevé ? Mais hélas, comme l'exécution de l'œuvre répond mal aux promesses de l'écrivain. La reproduction des mœurs est exacte, tellement exacte que le but est dépassé. Car ce livre qui, selon l'expression de M. Zola. « a l'odeur du peuple ne sera pas lu par le peuple, précisément à cause de cela; et les autres lecteurs, avides de faire connaissance avec une curiosité littéraire, se hâteront d'oublier une peinture trop réelle et trop crue pour ne pas faire naître la lassitude, et parfois même inspirer le dégoût.

Tel est le résultat auquel l'abus de la réalité conduit des esprits véritablement sérieux. Sainte-Beuve avait bien raison de s'écrier: « Réalité, tu es le fond de la vie, et comme telle, même dans tes aspérités, dans tes rudesses, tu attaches les esprits sérieux et tu as pour eux un charme. Et pourtant, à la longue

et toute seule, tu finirais par rebuter insensiblement, par rassasier. Tu es trop souvent plate, vulgaire, lassante. Il te faut je ne sais quoi qui t'accomplisse et qui t'achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t'élève sans te faire perdre terre.» (1)

La réalité a donc eu dans la littérature romanesque des fortunes bien diverses. Totalement négligée d'abord, elle conquiert peu à peu la place qui lui appartient; mais ensuite elle devient exclusive et elle veut absorber pour elle seule le talent et l'œuvre du romancier. Singulière coïncidence! Cette dernière période de son histoire se produit dans le moment où les sciences atteignent un développement si extraordinaire Il semble que ce siècle sans illusions ait voulu asservir l'écrivain à imiter, pour l'étude de l'âme humaine, les procédés d'analyse appliqués à l'examen des phénomènes naturels. Ce n'est plus de la prychologie, mais de la physiologie, et on en arrive à se demander si le romancier tient dans ses mains une plume ou bien un scalpel. Tel est le chemin parcouru. Qui pourrait prédire ce que l'avenir nous réserve de surprises?

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Messieurs, je suis parvenu au terme d'une étude qui n'a d'autre prétention que d'être une simple esquisse d'histoire littéraire. Le sujet était trop vaste pour que j'aie pu l'envisager autrement que par ses grands côtés. Me permettrez-vous d'en tirer une conclusion?

Les littératures obéissent, dans leurs modifications, à la loi qui régit le monde : la loi de l'évolu

(1) Nouveaux Lundis.

tion. Elles se transforment sans cesse. Pour elles, comme pour l'être animé, l'immobilité est mortelle. Aussi, serait-ce une puérilité que de vouloir condamner l'écrivain à couler dans un moule invariable les productions de son esprit. Seulement, à toutes les époques et dans toutes les littératures, l'homme de génie, ou plus simplement l'écrivain digne de porter ce nom, a consenti à subir le joug de ce qu'on est convenu d'appeler le goût. Le goût n'est que le sentiment du beau et il échappe à toute définition, car il est plutôt inné qu'appris chez les intelligences bien réglées.

Sans doute, Messieurs, les principes qui constituent le goût peuvent être incompris ou momentanément mis en oubli par les contemporains. Mais ils ne périssent jamais. C'est la gloire de l'Académie de Rouen d'en être la gardienne constante, et votre nouveau collègue regarde comme un honneur inestimable d'avoir été admis à en recueillir les exemples dans cette Compagnie.

RÉPONSE

AU

DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. MARAIS,

PAR M. HENRI FRÈRE,

Président.

MONSIEUR,

Ce n'est pas moi qui contredirai votre éloge de l'Académie. J'ai eu trop de fois à apprécier la profonde érudition des membres de cette Compagnie, pour n'être pas frappé, comme vous, des richesses intellectuelles que peut contenir une société savante de province, sous un toit qui n'est pas la coupole de l'Institut. Dans l'ancienneté et l'illustration de son origine, l'Académie pourrait trouver d'autres motifs d'un orgueil que vous ne condamneriez pas. Instituée en 1744, elle a eu pour parrains Fontenelle, le duc de Luxembonrg, gouverneur de la province, et le premier-président de Pontcarré; et pour fondateurs, MM. Lecat, de Cideville, de Couronne, Descamps, beaucoup d'autres dont nous conservons la

mémoire et dont nous possédons de précieux souvenirs. Mais elle a su toujours échapper aux tentations de la vanité. Cette grande modestie, là où la fierté eut été excusable, est une ligne saillante du caractère de la Compagnie dans laquelle vous entrez.

N'est-il pas vrai que, dans le vôtre, Monsieur, ce trait particulier se retrouve, et préparait, entre vos futurs collègues et vous, une sympathie déjà bien voisine de la confraternité ! Vous, à qui le Dieu souvent rigoureux de nos succès professionnels a souri avec tant de promptitude et de constance, vous cherchez vos titres à votre admission parmi nous et les services que vous pourrez nous rendre. Ne vous rappelez-vous donc plus vos intéressantes publications sur les alluvions et le droit de transaction en matière forestière? Oubliez-vous donc que vous occupez depuis plusieurs années déjà une des premières places d'un grand barreau?

A combien de questions, les plus diverses et quelquefois les plus opposées, vos plaidoiries n'ontelles pas touché ! Que de connaissances n'avez-vous pas acquises dans ces travaux multipliés ? Permettez-moi d'ajouter que, pénétrant dans un esprit comme le vôtre, alerte, ouvert, plein de ressorts, souple et ferme tout ensemble, elles s'y sont immédiatement fixées dans un ordre parfait. Ainsi se meublent, avec grâce et sans effort, les édifices heureusement proportionnés, tandis que, dans les palais mal disposés, les grands espaces restent solitaires et dénudés, malgré l'entassement des plus belles richesses. Votre collaboration nous sera donc aussi profitable que votre commerce nous sera cher. Aima

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