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aisément par l'arrêt d'un mouvement végétatif et centripète; pendant la veille on accumulerait de la force, pendant le sommeil on en rejetterait l'excès. C'est juste le contraire de ce que l'on pense communément. Je ne suis pas physiologiste et ne puis discuter les déductions de M. Serguèyeff. J'aurais. seulement voulu savoir — et c'est ce que j'attendais toujours comme argument final -- jusqu'à quel point les animaux dont on sectionne le grand sympathique, perdent le sommeil; si par exemple, ce chien chez lequel, après dix-huit mois, le surcroît de chaleur était encore appréciable, n'avait pas dormi de tout ce temps à peu près comme à l'ordinaire.

La tentative de M. Serguèyeff, bien que je la regarde comme stérile, me paraît propre à faire voir de quelle profonde obscurité le problème physiologique est entouré. Cet écrivain a certainement pris à cœur son sujet; il s'est livré à de nombreuses recherches, et, doué d'une tournure d'esprit ingénieuse, il a visé à sortir des sentiers battus. A tous ces titres, quoi que je pense du résultat de ses efforts, je ne puis qu'y applaudir.

Je n'ai pas lu l'opuscule de M. Binz. J'en ai vu un compte-rendu dans la Berliner klinische Wochenschrift. M. Böhm, dans les Philosophische Monatshefte, en dit beaucoup de bien. Se fondant sur ce fait que l'opium, le hachisch, l'éther, etc., produisent des états analogues au rêve et au sommeil, M. Binz conclut que ces phénomènes sont de nature pathologique et proviennent d'un trouble de l'activité psychique. Il m'est assez difficile de comprendre qu'on puisse qualifier d'état pathologique et attri

buer à un trouble quelconque un phénomène aussi universel, aussi constant, aussi bienfaisant que le sommeil naturel, accompagné ou non de rêves. Mais je m'arrête, de peur de fausser complètement la pensée de M. Binz.

J'ai lu l'opuscule de M. Dupuy. J'y ai vu la relation intéressante de quelques uns de ces phénomènes auxquels M. Maury a donné le nom d'hallucinations hypnagogiques, et la critique de quelques théories sur le sommeil. Cette dernière partie est très superficielle, mais elle est, il est vrai, sans prétention.

Je ne dirai rien de l'ouvrage de M. N. Grote. Je n'en connais que les conclusions formulées dans la Revue philosophique par M. A. H. Elles sont assez intéressantes pour que je les reproduise. « Les excitations sensorielles subjectives sont prises pour des réalités, à cause de l'absence du contrôle des sens et de l'intelligence. Les facteurs des rêves sont principalement les réminiscences, les habitudes, les impressions reçues par les sens, et les sensations organiques, qui accompagnent le processus végétatif pendant le sommeil,- et de plus la «< cérébration inconsciente» ou le travail automatique de certaines parties du cerveau moins fatiguées ou plus excitées, qui fournissent inopinément des images fantastiques, des combinaisons grotesques de représentations fragmentaires, mêlées au hasard, comme les figures d'un kaléidoscope. Cependant il y a toujours un lien plus ou moins évident entre les idées

I Livraison de novembre 1878, p. 544.

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qui se suivent, parce que le sommeil n'abolit pas les lois de l'association des idées, et que celles-ci continuent à s'évoquer par ressemblance ou par contraste, ou en conformité du rapport réciproque de cause et d'effet, de but et de moyen, exactement comme cela a lieu chez les aliénés, chez qui certaines parties du cerveau imposent leur activité à la conscience, et l'accaparent si bien, qu'elles offusquent les impressions sensorielles objectives, qui pourraient remettre le travail psychique sur la bonne voie. » Ce passage me semble exprimer très bien l'état actuel de la science sur la question.

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Je porterai un jugement identique sur les deux chapitres substantiels où M. Maudsley s'occupe du sommeil et de l'hypnotisme. J'y relèverai cette assertion assez singulière que les idées ont «< une tendance naturelle à s'arranger et à se combiner en manière de drames, quoiqu'elles n'aient pas entre elles d'associations connues, ou même qu'elles soient tout à fait indépendantes, voire opposées. »> Bien mieux, elles auraient, d'après lui, « une faculté d'agencement constructive, grâce à laquelle les idées ne seraient pas seulement rassemblées, mais donneraient naissance à de nouveaux produits. » C'est esquiver un peu trop cavalièrement les difficultés relatives à la puissance dramatique et créatrice du rêve. Mais force est bien souvent, dans un pareil sujet, de se contenter de mots, et M. Maudsley lui-même n'est pas dupe des explications entortillées qu'il donne sur les phénomènes singuliers de ressou

Op. cit., p. 15 et 16.

venance que nous présentent les rêves: « Quelle qu'en soit la valeur, dit-il, c'est là un fait indiscutable. >>

Un résumé tout particulièrement nourri, c'est celui où il énumère les conditions qui déterminent l'origine et le caractère des rêves. Il les classe sous six chefs 1° L'expérience antérieure soit personnelle, soit ancestrale, où les éléments du songe sont presque toujours puisés; 2° les impressions sur l'un ou l'autre sens qui est resté plus ou moins éveillé; 3o les impressions organiques, ayant leur origine dans l'état des viscères, de la circulation, de la respiration ou des organes génitaux; 4o la sensibilité musculaire qu'affecte la gêne résultant de la manière dont on est couché; 5° la circulation cérébrale; et 6o la condition du système nerveux bien entretenu ou épuisé, neuf ou émoussé, excité par un sang pauvre ou par un sang riche, etc.

M. Maudsley, d'allleurs, ne s'est occupé des états de sommeil et de rêve qu'incidemment et au point de vue de l'analogie qu'ils présentent avec l'aliénation mentale. Il n'en a pas moins abordé avec une grande netteté de vues plusieurs des questions qu'ils soulèvent et fait sentir l'insuffisance de nos connaissances sur ce point.

M. Spitta s'est proposé de démontrer que les phénomènes de raison, de rêve, d'hallucination, se lient par des gradations nombreuses et délicates, qu'ils rentrent en partie l'un dans l'autre et sont soumis aux mêmes lois psychologiques. Son ouvrage

Op. cit., p. 20.

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est écrit avec une verve pleine de jeunesse et de poésie, ce qui nuit quelque peu à la précision qu'on réclame d'un traité scientifique. Au moment où l'on s'attend à une déduction, on tombe sur une description colorée et abondante qui_captive agréablement, mais qui n'apprend pas grand'chose et ces sortes de surprises se renouvellent trop souvent. En dépit de cet aimable défaut, je ne voudrais pas porter sur ce livre un jugement aussi sévère que le fait M. Böhm dans la revue précitée. On y trouve de l'érudition, de fines analyses, d'ingénieuses remarques.

Ce qui, d'après M. Spitta, caractérise le sommeil profond, c'est la disparition absolue de la conscience. Quand on rêve ou qu'on est en état de somnambulisme, on a la conscience, mais non pas la conscience de soi, qui est l'apanage de l'état de veille. C'est ce critère, malheureusement trop élastiqué, qui lui sert à démontrer comment les rêves sont d'ordinaire bizarres et incohérents, pourquoi ils ne provoquent pas d'étonnement chez le dormeur, pourquoi, s'ils sont criminels, ils ne sont accompagnés ni de honte ni de remords. C'est par l'absence de conscience de soi qu'il explique l'assurance et l'adresse dú somnambule à marcher sur les toits, les phénomènes extatiques et le doublement de la personnalité qui, dans nos rêves, nous fait, par exemple, attribuer à autrui nos propres pensées.

Il est un autre deus ex machina qui joue, dans le livre de M. Spitta, un rôle tout aussi important. C'est le Gemüth, expression difficile à rendre en français, mais qui, dans le cas présent, peut se tra

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