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La certitude scientifique est d'une autre nature: elle n'est jamais absolue. Elle est compatible avec le doute spéculatif. C'est ainsi que je puis très bien émettre le doute, parfaitement légitime au point de vue scientifique, si, dans l'instant présent, je ne rêve pas ou ne suis pas fou. Car, rappelons-le, chacun se rêve éveillé, et tout fou se croit raisonnable.

Le problème psychologique de la nature des rêves tient donc à la théorie de la certitude aussi bien qu'à la théorie de la mémoire conservatrice et de la mémoire reproductrice. Nous allons l'envisager sous chacun de ces aspects. Tel est l'objet des pages qui vont suivre.

avait pu me conduire à faire une addition aussi saugrenue, je remarquai immédiatement que je devais avoir eu le sentiment vague d'un mode de formation du nombre 37 /, qui est égal, en effet, à 20 plus la moitié de 20 ou 10, plus la moitié de 10 ou 5, plus la moitié de 5 ou 2 ..

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RAPPORTS DU SOMMEIL ET DES RÊVES

AVEC LA

THÉORIE DE LA CERTITUDE

CHAPITRE PREMIER.

Fondement de la croyance en général et spécialement de la croyance en une réalité extérieure.

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Toute croyance est le résultat d'une habitude. Distinction objective de la perception et de la conception: la perception suppose la présence de l'objet senti, elle est toujours actuelle; la conception suppose l'absence de l'objet conçu, elle peut être actuelle ou potentielle. La conception actuelle d'un objet ne peut exister en même temps que la perception de cet objet. Le fondement de toute croyance est le sentiment de l'existence d'une réalité extérieure agissant sur notre sensibilité; ce sentiment est le fait de l'habitude.

Toute croyance est le résultat d'une habitude. C'est en vertu d'une habitude que nous attribuons une existence corporelle à l'image réflétée par le miroir; c'est en vertu d'une habitude que l'halluciné croit à la réalité de ses visions.

Il y a quelque chose en dehors de moi, il y a quelque chose qui n'est pas moi - voilà le premier jugement conscient porté par l'être sensible. Et du jour où il a formé ce jugement, date sa première perception: il se distingue des choses qui l'entourent et apprend à les connaître.

Par une expérience ultérieure, il constate que le moi qui sent, le moi interne est uni à une enveloppe externe qu'il perçoit à la façon de quelque chose d'étranger et d'indépendant. Telle est l'origine de l'opposition que la conscience établit entre l'âme et le corps. Pour tout sujet sensible, son propre corps est un objet de perception.

Je n'ai pas besoin pour le moment de m'appesantir davantage sur ces notions préliminaires, l'ayant fait avec des développements assez étendus dans un autre traité, et devant y revenir plus tard.

Toute perception est susceptible de passer en tout ou en partie à l'état de conception.

Il y a longtemps que les psychologistes ont différencié la perception et la conception. Cependant on peut, même aujourd'hui, en marquer mieux encore les traits différentiels.

La perception, c'est l'image d'un objet extérieur comme tel qui se forme dans notre esprit sous l'action directe et présente de cet objet. La perception est toujours déterminée. Ainsi j'ai la perception visuelle d'un cheval, ou la perception tactile d'une épingle, lorsque le cheval agissant présentement sur ma vue, ou l'épingle sur mon toucher, fait naître en moi l'idée de ce cheval, ou de cette épingle, en tant que cause extérieure et actuelle de ma sensation.

Autre est l'image d'une chose jadis perçue et évoquée dans mon esprit en l'absence de cette chose,

1 La psychologie comme science naturelle. Paris et Bruxelles,

ou du moins en dehors de son action immédiate. Telle est l'idée que j'ai d'un cheval, ou d'une épingle, que je ne vois pas, ou que je ne sens pas, dans le moment où j'ai cette idée. L'image ainsi reproduite est un souvenir.

A côté de ces images dont l'objet n'est plus présent, se rangent naturellement et nécessairement les fictions, qui ne correspondent pas à un objet réel et qui sont le produit de la combinaison libre ou spontanée de perceptions passées à l'état de souvenirs. Telle est l'idée que je me fais d'un centaure, d'une chimère, d'un arbre à figure humaine. Sur le même rang que ces fictions, qu'on peut appeler fantastiques, il faut placer celles qu'on pourrait qualifier de scientifiques, historiques, artistiques, etc. C'est ainsi que l'on est arrivé à se représenter la faune et la flore des époques primitives, que l'on se fait une idée de pays qu'on n'a jamais visités; que l'on prête une figure à Homère, à Moïse, à Confucius, à Alexandre, à César; et que les Grecs ont fixé dans des marbres immortels les traits de tous leurs dieux et de tous leurs héros.

Les souvenirs et les fictions sont des conceptions. Nos conceptions, il est vrai, ne se bornent pas à des images matérielles. L'homme, grâce au langage dont il est doué, pousse à un très haut degré la faculté d'abstraction et arrive à concevoir des choses qui ne sont pas susceptibles d'une représentation matérielle, telles que la vertu, la bonté, le devoir, la force. Comme nous aurons rarement besoin, dans tout ce qui va suivre, d'user de cette extension légitime du sens du mot conception, il nous servira

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