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à se contraindre: l'étiquette et les cérémonies lui causaient de l'impatience et de l'ennui. On lui prouva qu'il y avait de la duperie à ne pas rendre sa condition aussi heureuse que celle de ses premiers sujets, dont la société faisait les délices; que dans un siècle aussi éclairé, où l'on faisait justice de tous les préjugés, les souverains devaient s'affranchir de ces entraves gênantes que la coutume leur imposait; enfin, qu'il était ridicule de penser que l'obéissance des peuples tînt au plus ou moins d'heures que la famille royale passait dans un cercle de courtisans ennuyeux et ennuyés. Des maximes aussi commodes étaient faites pour séduire; elles bannirent tous les scrupules. Malheureusement le roi, à qui ses goûts simples et sa timidité naturelle donnaient de l'éloignement pour la représentation, ne s'opposa point à ces changements, qu'on lui présenta même comme favorables à l'économie. Plusieurs charges furent supprimées, et l'on n'exigea plus ou plutôt l'on ne permit plus le service de presque toutes les autres. Excepté quelques favoris que le caprice ou l'intrigue désigna, tout le monde fut exclu; le rang, les services, la considération, la haute naissance ne furent plus des titres pour être admis dans l'intimité de la famille royale; seulement le dimanche, les personnes présentées pouvaient pendant quelques instants voir les princes. Mais elles se dégoûtaient, pour la plupart, de cette inutile corvée, dont on ne leur savait aucun gré; elles reconnurent à leur tour qu'il y avait de la duperie à venir de si loin pour n'être pas mieux accueillies, et s'en dispensèrent ou ne vinrent que de loin en loin. L'ambition et la cupidité n'en furent pas moins actives; mais on chercha à se faire des protecteurs parmi les personnes en crédit, et les grâces s'obtinrent de la seconde main. Ainsi Versailles, ce théâtre de la magnificence de Louis XIV, où l'on venait, avec tant d'empressement, de toute l'Europe, prendre des leçons de bon goûtet de politesse, n'était plus qu'une petite ville de province, où l'on n'allait qu'avec répugnance et dont

on s'enfuyait le plus vite possible. Mais tout se tient dans une monarchie; la Cour, naturellement composée de ce qu'il y a de plus considérable dans la nation, est le lien nécessaire entre le peuple et le trône. Lorsque cet intermédiaire fut détruit, le roi et sa famille se trouvèrent isolés et privés de leur appui naturel; car le devoir du sujet, la fidélité, l'intérêt même ont bien moins d'influence sur la plupart des hommes qu'un attachement personnel, dont le dévouement ne connaît pas de bornes. Enfin, un 1yran a des ennemis, mais il ne manque pas de partisans, au lieu qu'un monarque sans cour est un grand arbre déraciné que le moindre coup de vent renverse.

Louis XVI n'avait point, comme les deux rois ses prédécesseurs, un extérieur imposant; cependant, il n'y avait rien dans sa personne qui dérogeât à la dignité suprème dont il était revètu; c'étaient plutôt ses manières que sa configuration qui manquaient de noblesse, car il était grand et bien proportionné. Ses mœurs irréprochables commandaient l'estime, et ses vertus privées méritaient tous les respects; mais il n'avait ni l'éclat qui impose, ni la grâce qui séduit, ni la fermeté qui contient. Ces moyens si puissants pour gouverner les hommes, et plus particulièrement les Français, lui manquaient absolument. Raison de plus pour tenir constamment ses sujets à une distance respectueuse et pour ne jamais déposer le diadème, dont l'éclat éblouissant empêche de distinguer les imperfections de celui qui le porte. Mais par une étrange fatalité, l'appareil de la Cour, l'étiquette, qui paraît si puérile aux esprits superficiels et qui est cependant le seul moyen de prévenir la confusion des rangs, ne furent jamais si nécessaires que sous le règne du prince qui les abolit.

(Duc DE LÉVIS. Souvenirs et portraits. M. de Besenval.)

GASQUET. Lectures.

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Versailles et la Famille royale (1787).

Frédéric II était et ne pouvait manquer d'être mon point de comparaison pour juger un roi, et je ne découvrais rien en Louis XVI qui pût l'élever au niveau de ce prince, qui, par le titre de grand homme, s'était placé au-dessus des rois. Je trouvais d'ailleurs que Louis XVI manquait de dignité. Passant un jour devant moi pour aller à la chasse, il s'arrêta pour rire avec un des seigneurs qui l'accompagnaient; mais son rire fut si fort, si gros, qu'en vérité c'était le rire d'un fermier en goguette plus que celui d'un monarque. Ensuite son costume de chasse me parut mesquin; bref, je ne fus étonné que de la légèreté avec laquelle ce roi si replet sauta à cheval et de la rapidité avec laquelle il partit. La reine, que je vis revenir de la messe, avait plus de noblesse dans les manières, dans la marche, et de dignité dans le regard surtout; mais une robe de percale blanche, tout unie et fort loin d'être fraîche, n'était pas le vêtement dans lequel une reine de France devait, à cette époque surtout, se montrer en public. Telle était pourtant la mise de Marie-Antoinette, et c'était au point que, si elle n'avait marché la première, on l'eût prise pour la suivante des dames qui la suivaient. Mais ce qui fit plus que me choquer, ce qui me scandalisa, me révolta même, ce furent les propos que des pages, des gardes du corps et quelques jeunes seigneurs tenaient tout haut dans les grands. appartements. L'indécence à cet égard allait jusqu'aux outrages. Recommandé à deux de ces Messieurs, qui s'étaient chargés de me faire tout voir et avec lesquels je passai ma journée, personne ne se gêna devant moi et ce que j'entendis en fait d'anecdotes, de jugements, passe tout ce que je pourrais dire. J'en instruisis mon père en revenant le soir avec lui à Paris; il me recommanda le

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silence, que je gardai d'abord par prudence, ensuite par respect pour de trop grandes infortunes et qu'aujourd'hui même je ne me permettrai pas de rompre.

Autant j'admirai les grands appartements, autant les appartements d'habitation du roi et de la reine me parurent incommodes et mal situés. Je ne parlerai pas du lit du roi, lit de huit pieds carrés, tout en sommiers de crin, dur comme du bois, et que certes je n'aurais pas troqué pour le mien; mais j'observerai qu'il n'est certainement personne, roi, seigneur ou bourgeois, qui, habitant un château donnant sur un parc, se condamne à n'avoir vue que sur des cours; Versailles offre cette bizarrerie, à laquelle il faut ajouter encore qu'il ne s'y trouve aucune pièce d'intérieur qui, des appartements du roi et de la reine, donne directement sur le parc. De ses croisées, la reíne n'avait de vue que sur l'orangerie et la pièce d'eau des Suisses.

Versailles était donc pour la famille royale un séjour de magnificence et d'orgueil plus qu'une résidence agréable.

(Général THIÉBAULT. Mémoires. Plon et Nourrit, édit.)

Réaction aristocratique à la veille.

de la Révolution.

Tandis que la liberté, l'égalité, les droits de l'homme, faisaient le sujet des délibérations des Condorcet, des Bailly, des Mirabeau, le ministre Ségur fit paraître l'édit dù rọi qui, en révoquant celui du 1er novembre 1750, déclarait inhabile pour parvenir au grade de capitaine tout officier qui ne serait pas noble de quatre générations et interdisait tous les grades militaires aux officiers roturiers, excepté à ceux qui étaient fils de chevaliers de Saint

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Louis. L'injustice et l'absurdité de cette loi fut sans doute une cause secondaire de la Révolution. Il fallait tenir à cette classe honorable du tiers état, pour connaître le désespoir ou plutôt le courroux qu'y porta cette loi. Les provinces de la France étaient remplies de familles roturières qui, depuis plusieurs siècles, vivaient en propriétaires sur leurs domaines et payaient la taille. Si ces particuliers avaient plusieurs fils, ils en plaçaient un au service du roi, un dans l'état ecclésiastique, un autre dans l'ordre de Malte, comme chevalier servant d'armes, un enfin dans la magistrature, tandis que l'aîné conservait le manoir paternel; et s'il était situé dans un pays célèbre par ses vins, il joignait à la vente de ses propres récoltes le commerce de commission pour les vins de son canton. J'ai vu, dans cette classe de citoyens justement révérés, un particulier longtemps employé dans la diplomatie, gendre et neveu de colonels, majors de place, et, par sa mère, neveu d'un lieutenant-général cordon rouge, ne pouvoir faire recevoir ses fils sous-lieutenants dans un régiment d'infanterie.

Une autre décision de la cour, qui ne pouvait être annoncée par un édit, fut qu'à l'avenir tous les biens ecclésiastiques, depuis le plus modeste prieuré jusqu'aux plus riches abbayes, seraient l'apanage de la noblesse. Fils d'un chirurgien de village, l'abbé de Vermond, qui avait beaucoup de pouvoir dans tout ce qui concernait la feuille des bénéfices, était pénétré de la justice de cette

décision du roi.

Pendant un voyage qu'il fit aux eaux, j'obtins de la reine une apostille au placet d'un curé de mes amis, qui sollicitait un prieuré voisin de sa cure, et comptait s'y retirer ; j'obtins pour lui cette grâce. Au retour des eaux, l'abbé l'apprit, et vint chez moi pour me dire très sévèrement que j'agirais d'une manière tout à fait opposée aux vœux du roi, si j'obtenais encore de semblables grâces; que les biens de l'Eglise devaient à l'avenir être uniquement destinés à soutenir la noblesse pauvre; que c'était

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