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pour aller se rendre maîtres de la ville, préparer son logement, faire nettoyer les rues et les maisons, et mettre ordre à toutes choses pour son entrée. Elle choisit quatre capitaines et quatre lieutenants, dont j'étais un, pour les commander, sous M. le duc d'Angoulême, à qui elle nous ordonna d'obéir, et elle nous fit de très expresses défenses de causer le moindre désordre dans la ville, menaçant de faire une punition exemplaire, s'il entendait quelques plaintes. Entre autres choses, le roi nous recommanda de ne point souffrir que les soldats vendissent le pain à ces pauvres affamés qui en manquaient depuis tant de temps, et de leur permettre seulement de recevoir quelques présents, en cas qu'ils leur en offrissent d'eux-mêmes. Nous entrâmes donc dans La Rochellle avec cet ordre du roi, nous nous rendîmes maîtres des portes et plaçâmes en divers lieux des corps de garde. Nous trouvâmes cette ville en un état qui faisait horreur et compassion à tous ceux qui y entrèrent. Les rues et les maisons étaient infectées de corps morts, qui y étaient en grand nombre sans être ensevelis ni enterrés; car sur la fin de ce siège, les Rochelois, ressemblant plutôt à des squelettes qu'à des hommes vivants, étaient devenus si languissants et si faibles, qu'ils n'avaient pas le courage de creuser des fosses, ni d'emporter les corps morts hors des maisons. Le plus grand présent qu'on pût faire à ceux qui restaient était de leur donner du pain qu'ils préféraient à toutes choses, comme étant le remède infaillible qui pouvait les empêcher de mourir, quoique ce remède même devint à quelques-uns mortel, par la grande avidité avec laquelle ils le mangeaient et s'étouffaient en même temps.

Le roi ayant fait son entrée dans La Rochelle, M. le duc d'Angoulême voulut aller voir ce fameux Guiton, qui avait tenu tête si longtemps au plus grand prince de l'Europe. Quelques officiers, du nombre desquels j'étais, les accompagnèrent. Il était petit de corps, mais grand d'esprit et de cœur ; et je puis dire que je fus ravi de voir dans cet homme toutes les marques d'un grand courage. Il était

magnifiquement meublé chez lui, et avait grand nombre d'enseignes qu'il montrait l'une après l'autre, en marquant les princes sur qui il les avait prises et les mers qu'il avait courues. Il y avait quantité d'armes chez lui; et entre autres j'y aperçus une superbe pertuisane qu'il avait prise à un capitaine dans un combat. Je ne me fus pas plus tôt échappé de lui dire qu'elle était belle, que, comme il était extrêmement généreux, il me la donna aussitôt, et me força de la prendre avec une centaine de piques dont il me fit présent. Il fit une très belle réponse à M. le cardinal de Richelieu, lorsqu'il alla lui rendre ses civilités. Car Son Eminence lui parlant du roi de France et du roi d'Angleterre, il lui dit qu'il valait mieux se rendre à un roi qui avait su prendre La Rochelle qu'à un autre qui n'avait pas su la secourir.

(Mémoires de PONTIS.)

La Journée des Dupes.

Pendant la grave maladie que fit le roi à Lyon, les importunités de sa mère Marie de Médicis lui arrachèrent quelques mots ambigus, qui firent espérer le départ du ministre détesté. Revenue à Paris, Marie de Médicis se prèta à une réconciliation, qui devait avoir lieu au palais du Luxembourg. Il fut convenu que le cardinal et sa nièce viendraient à la toilette de la reine et qu'ils recevraient l'assurance dụ retour de ses bonnes gràces.

Madame de Combalet, depuis faite duchesse d'Aiguillon, arriva comme le roi et la reine mère parlaient du raccommodement qui s'allait faire, en des termes qui ne laissaient rien à désirer, lorsque l'aspect de madame de Combalet glaça tout d'un coup la reine. Cette dame se jeta à ses pieds, avec les discours les plus respectueux, les plus humbles, les plus soumis. J'ai ouï dire à mon

père, qui n'en perdit rien, qu'elle y mit tout son bien. dire et tout son esprit, et elle en avait beaucoup. A la froideur de la reine, l'aigreur succéda, puis, incontinent, la colère, l'emportement, les amers reproches, enfin un torrent d'injures, et, peu à peu, de ces injures qui ne sont connues qu'aux halles. Aux premiers mouvements, le roi voulut s'entremettre; aux reproches, sommer la reine de ce qu'elle lui avait formellement promis; aux injures, la faire souvenir qu'il était présent et qu'elle se manquait à elle-même. Rien ne put arrêter ce torrent. De fois à autre, le roi regardait mon père, lui faisait quelques signes d'étonnement et de dépit; et mon père, immobile, les yeux bas, osait à peine et rarement les tourner vers le roi à la dérobée. Il ne contait jamais cette énorme scène, qu'il n'ajoutât qu'en sa vie il ne s'était trouvé si mal à son aise. A la fin, le Roi outré s'avança, car il était demeuré debout, prit madame de Combalet, toujours aux pieds de la reine, la tira par l'épaule, lui dit en colère que c'était assez en avoir entendu, et de se retirer. Sortant en pleurs, elle rencontra le cardinal de Richelieu qui entrait dans les premières pièces de l'appartement. Il fut si effrayé de la voir en cet état et tellement de ce qu'elle lui raconta, qu'il balança quelque temps s'il s'en retournerait.

Pendant cet intervalle, le roi avec respect, mais avec dépit, reprocha à la reine sa mère son manquement à une párole donnée de son gré, sans en avoir été sollicitée; lui s'étant contenté qu'elle vit le cardinal de Richelieu seulement au Conseil, non ailleurs, ni par un des siens; que c'était elle qui avait voulu les voir chez elle, sans qu'il l'en eût priée, pour leur rendre ses bonnes grâces; au lieu de quoi elle venait de chanter les dernières pouilles1 à madame de Combalet et de lui faire à lui cet affront; que ce n'était pas la peine d'en faire autant au cardinal, à qui il allait mander de ne pas entrer. A cela,

1. Chanter les dernières pouilles, expression familière pour dire: chercher les querelles les plus injurieuses.

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la reine s'écria que ce n'était pas la même chose, que madame de Combalet lui était odieuse et n'était en rien utile à l'Etat; mais que le sacrifice qu'elle voulait faire de voir et de pardonner au cardinal de Richelieu était uniquement fondé sur le bien des affaires, pour la conduite desquelles il croyait ne pouvoir s'en passer et qu'il allait voir qu'elle le recevrait bien.

Là-dessus, le cardinal entra, assez interdit de la rencontre qu'il venait de faire : il s'approcha de la reine, mit un genou en terre et commença un compliment fort soumis. La reine l'interrompit et le fit lever assez honnêtement; mais peu à peu la marée commença à monter. Les sécheresses, puis les aigreurs; viennent après les reproches et les injures très amères d'ingrat, de fourbe, de perfide, et autres pareilles gentillesses; qu'il trompait le roi et trahissait l'Etat pour sa propre grandeur et des siens ; sans que le roi, comblé de surprise, de douleur et de colère, pût la faire rentrer en elle-même et arrêtèr une si étrange tempête; tant qu'enfin elle chassa le cardinal. et lui défendit de se présenter jamais devant elle. Mon père, que le roi regardait de fois à autre, comme à la scène précédente, m'a dit souvent que Richelieu souffrit tout cela comme un condamné, et que lui-même croyait à tout instant rentrer dans le parquet. A la fin, le cardinal s'en alla. Le roi demeura fort peu de temps après lui à faire à la reine de vifs reproches dont elle se défendit fort mal; puis il sortit, outré de dépit et de colère. Il s'en retourna à pied comme il était venu et il demanda en chemin à mon père ce qu'il lui semblait de ce qu'il venait de voir et d'entendre. Il haussa les épaules et ne répondit rien.

... Le roi comprit plus que jamais qu'il fallait exclure

du Conseil et de toute affaire la reine sa mère ou Richelieu; et quelque irrité qu'il fût, se trouvait combattu entre la nature et l'utilité, entre les discours du monde et l'expérience qu'il avait de la capacité de son premier ministre. Dans cette perplexité, il voulut si absolument que mon père lui en dit son avis, que toutes ses excuses furent inu

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tiles. Outre la bonté et la confiance dont il plaisait à Louis XIII d'honorer mon père, il savait bien qu'il n'avait ni attachement ni éloignement pour le cardinal de Richelieu ni pour la reine, et qu'il ne tenait uniquement et immédiatement qu'à un si bon maître, sans aucune sorte d'intrigue ni de parti.

Il dit donc au roi qu'il était extrêmement fâcheux de se trouver dans le détroit forcé d'un tel choix; que, vide de toute autre passion que de sa gloire, du bien de ses affaires, de son soulagement dans leur conduite, il lui dirait, puisqu'il le lui commandait si absolument, le peut de réflexions qu'il avait faites depuis la sortie de la chambre de la reine.

Qu'il fallait considérer la reine comme prenant aisément des amitiés et des haines, peu maitresse de ses humeurs et voulant toujours l'être des affaires, et, quand elle l'était en tout ou en partie, se laissant manier par des gens de peu, sans expérience ni capacité, n'ayant que leur intérêt, dont elle revêtait les volontés et les caprices.

Que cela s'était vu sans cesse depuis la mort d'Henri IV,

et sans cesse aussi en elle un goût de changement de confidents et de serviteurs de tous genres, n'ayant longuement conservé personne dans sa confiance, depuis le maréchal et la maréchale d'Ancre, et faisant souvent de dangereux choix; que se livrer à elle pour la conduite de l'Etat, serait se livrer à ses humeurs et à ses vicissitudes. Qu'après tout ce que Sa Majesté avait essuyé d'elle et dans leurs séparations et dans leurs raccommodements, après ce qu'il venait de tenter et d'essayer encore dans l'affaire présente, il avait rempli les devoirs d'un bon fils au delà de toute mesure, que sa conscience en devait être en repos et sa réputation sans tache, devant tous les juges impartiaux, quoi qu'il pût faire désormais; que sa conscience et sa réputation, aussi à l'abri qu'elles l'étaient l'une et l'autre, exigeaient de lui avec le même empire qu'il se souvînt de ses devoirs de roi, dont il ne compterait pas moins à Dieu et aux hommes; qu'il devait

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