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POLYPHONTE, EROX, ÉGISTHE, EURYCLES, MÉROPE,
ISMÉNIE, Gardes.

MÉROPE.

REMPLISSEZ VOS serments, songez à me venger:
Qu'à mes mains, à moi seule, on laisse la victime.

La voici devant vous.

POLYPHONTE.

1

Votre intérêt m'anime. Vengez-vous, baignez-vous au sang du criminel; Et sur son corps sanglant je vous mène à l'autel.

Ah dieux!

MÉROPE.

ÉGISTHE à Polyphonte.

Tu vends mon sang à l'hymen de la reine; Ma vie est peu de chose, et je mourrai sans peine : Mais je suis malheureux, innocent, étranger;

Si le ciel t'a fait roi, c'est pour me protéger.

J'ai tué justement un injuste adversaire.

Mérope veut ma mort; je l'excuse, elle est mère:
Je bénirai ses coups prêts à tomber sur moi;
Et je n'accuse ici qu'un tyran tel que toi.

POLYPHONTE.

Malheureux, oses-tu, dans ta rage insolente .
MÉROPE.

Eh! Seigneur, excusez sa jeunesse imprudente.
Élevé loin des cours, et nourri dans les bois,
Il ne sait pas encor ce qu'on doit à des rois.

POLYPHONTE.

Qu'entends-je! quel discours! quelle surprise extrême!

Vous, le justifier !

MÉROPE.

Qui moi, seigneur ?

POLYPHONTE.

De cet égarement sortirez-vous enfin ?

De votre fils, madame, est-ce ici l'assassin ?

MÉROPE.

Mon fils, de tant de rois le déplorable reste,
Mon fils, enveloppé dans un piége funeste,
Sous les coups d'un barbare .

4) Pour dans le sang; poétique.

Vous-même.

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ISMÉNIE.

O ciel que faites-vous ?

POLYPHONTE.

Quoi! vos regards sur lui se tournent sans courroux? Vous tremblez à sa vue, et vos yeux s'attendrissent ? Vous voulez me cacher les pleurs qui les remplissent?

MÉROPE.

Je ne les cache point; ils paraissent assez :

La cause en est trop juste, et vous la connaissez.

POLYPHONTE.

Pour en tarir la source, il est temps qu'il expire.
Qu'on l'immole, soldats.

MÉROPE, s'avançant.

Cruel! qu'osez-vous dire?

ÉGISTHE.

Quoi de pitié pour moi tous vos sens sont saisis?

POLYPHONTE.

Qu'il meure.

MÉROPE.

Il est

POLYPHONTE.

Frappez.

MÉROPE, se jetant entre Égiste et les soldats.

Barbare! il est mon fils.

Moi! votre fils?

ÉGISTHE.

MÉROPE, en l'embrassant.

Tu l'es et ce ciel que j'atteste,

Ce ciel qui t'a formé dans un sein si funeste1,

Et qui trop tard, hélas! a dessillé mes yeux,

Te remet dans mes bras pour nous perdre tous deux.

ÉGISTHE.

Quel miracle, grands dieux! que je ne puis comprendre!

POLYPHONTE.

Une telle imposture a de quoi me surprendre.

Vous, sa mère? Qui? vous, qui demandiez sa mort?

ÉGISTHE.

Ah! si je meurs son fils, je rends grâce à mon sort.

MÉROPE.

Je suis sa mère. Hélas mon amour m'a trahie.

4) Ces derniers mots sont parasites et froids.

Oui, tu tiens dans tes mains le secret de ma vie,
Tu tiens le fils des dieux enchaîné devant toi,
L'héritier de Cresphonte, et ton maître, et ton roi.
Tu peux, si tu le veux, m'accuser d'imposture :
Ce n'est pas aux tyrans à sentir la nature.

Ton cœur nourri de sang n'en peut être frappé.
Oui, c'est mon fils, te dis-je, au carnage échappé.

POLYPHONTE.

Que prétendez-vous dire, et sur quelles alarmes ?

ÉGISTHE.

Va, je me crois son fils; mes preuves sont ses larmes,
Mes sentiments, mon cœur, par la gloire animé,
Mon bras qui t'eût puni, s'il n'était désarmé.

POLYPHONTE.

Ta rage auparavant sera seule punie.

C'est trop.

MÉROPE, se jetant à ses genoux.

Commencez donc par m'arracher la vie : Ayez pitié des pleurs dont mes yeux sont noyés. Que vous faut-il de plus? Mérope est à vos pieds: Mérope les embrasse et craint votre colère.

A cet effort affreux, jugez si je suis mère.
Jugez de mes tourments: ma détestable erreur
Ce matin de mon fils allait percer le cœur.
Je pleure à vos genoux mon crime involontaire.
Cruel! vous qui vouliez lui tenir lieu de père,
Qui deviez protéger ses jours infortunés,
Le voilà devant vous, et vous l'assassinez.
Son père est mort, hélas! par un crime funeste ;
Sauvez le fils: je puis oublier tout le reste :
Sauvez le sang des dieux et de vos souverains ;
Il est seul, sans défense, il est entre vos mains.
Qu'il vive, et c'est assez. Heureuse en mes misères,
Lui seul il me rendra mon époux et ses frères.
Vous voyez avec moi ses aïeux à genoux,
Votre roi dans les fers.

ÉGISTHE.

O reine, levez-vous,

Et daignez me prouver que Cresphonte est mon père,

En cessant d'avilir et sa veuve et ma mère.
Je sais peu de mes droits quelle est la dignité;
Mais le ciel m'a fait naître avec trop de fierté,
Avec un cœur trop haut, pour qu'un tyran l'abaisse.
De mon premier état j'ai bravé la bassesse,
Et mes yeux du présent ne sont point éblouis.
Je me sens né des rois, je me sens votre fils.
Hercule, ainsi que moi, commença sa carrière ;
Il sentit l'infortune en ouvrant la paupière,
Et les dieux l'ont conduit à l'immortalité
Pour avoir, comme moi, vaincu l'adversité.
S'il m'a transmis son sang, j'en aurai le courage.
Mourir digne de vous, voilà mon héritage.
Cessez de le prier, cessez de démentir

Le sang des demi-dieux dont on me fait sortir.
POLYPHONTE, à Mérope.

Eh bien! il faut ici nous expliquer sans feinte.
Je prends part aux douleurs dont vous êtes atteinte:
Son courage me plaît; je l'estime, et je crois
Qu'il mérite en effet d'être du sang des rois.

Mais une vérité d'une telle importance

N'est pas de ces secrets qu'on croit sans évidence. Je le prends sous ma garde, il m'est déjà remis; Et s'il est né de vous, je l'adopte pour fils.

ÉGISTHE.

Vous, m'adopter?

MÉROPE.

Hélas!

POLYPHONTE.

Réglez sa destinée.

Vous achetiez sa mort avec mon hyménée.

La vengeance à ce point a pu vous captiver. L'amour fera-t-il moins, quand il faut le sauver ?

MÉROPE.

Quoi, barbare!

POLYPHONTE.

Madame, il y va de sa vie.

Votre âme en sa faveur paraît trop attendrie
Pour vouloir exposer à mes justes rigueurs,

Par d'imprudents refus, l'objet de tant de pleurs.

MÉROPE.

Seigneur, que de son sort il soit du moins le maître.

Daignez

POLYPHONTE.

C'est votre fils, madame, ou c'est un traître.
Je dois m'unir à vous pour lui servir d'appui,
Ou je dois me venger, et de vous, et de lui.
C'est à vous d'ordonner sa grâce ou son supplice.
Vous êtes en un mot sa mère ou sa complice.
Choisissez mais sachez qu'au sortir de ces lieux,
Je ne vous en croirai qu'en présence des dieux.
Vous, soldats, qu'on le garde; et vous, que l'on me suive.
(à Mérope)

Je vous attends: voyez si vous voulez qu'il vive.
Déterminez d'un mot mon esprit incertain;

Confirmez sa naissance en me donnant la main.
Votre seule réponse, ou le sauve, ou l'opprime.
Voilà mon fils, madame, ou voilà ma victime.
Adieu.

MÉROPE.

Ne m'ôtez pas la douceur de le voir.
Rendez-le à mon amour, à mon vain désespoir.

POLYPHONTE.

Vous le verrez au temple.

ÉGISTHE, que les soldats emmènent.

O reine auguste et chère!
O vous que j'ose à peine encor nommer ma mère,

Ne faites rien d'indigne et de vous et de moi ;

Si je suis votre fils, je sais mourir en roi.

Polyphonte est immolé par Égisthe dans le temple.

SCÈNE D'OE DI PE A COLONE,

PAR DUCIS.

J. F. Ducis, né en 1733, mort en 1847, est surtout célèbre par ses imitations de quelques-uns des chefs-d'œuvre de Shakespeare. La scène française lui doit Othello, Hamlet, Macbeth, Roméo et Juliette, le Roi Léar, tous

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