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Sous ses pieds délicats déjà le flot frémit;
Tremblante, la pitié vers l'enfant qui gémit
La guide en sa marche craintive;

Elle a saisi l'esquif! fière de ce doux poids,
L'orgueil sur son beau front, pour la première fois,
Se mêle à la pudeur naïve.

Bientôt, divisant l'onde et brisant les roseaux,
Elle apporte à pas lents l'enfant sauvé des eaux
Sur le bord de l'arène humide;

Et ses sœurs tour à tour au front du nouveau-né,
Offrant leur doux sourire à son œil étonné,

Déposaient un baiser timide.

Accours, toi qui, de loin, dans un doute cruel,
Suivais des yeux ton fils sur qui veillait le ciel ;
Viens ici comme une étrangère ;

Ne crains rien en prenant Moïse entre tes bras,
Tes pleurs et tes transports ne te trahiront pas,
Car Iphis n'est pas encor mère !

Alors, tandis qu'heureuse et d'un pas triomphant,
La vierge au roi farouche amenait l'humble enfant,
Baigné des larmes maternelles,

On entendait en choeur, dans les cieux étoilés,
Des anges, devant Dieu de leurs ailes voilés,
Chanter les lyres éternelles.

«Ne gémis plus, Jacob, sur la terre d'exil;
<< Ne mêle plus des pleurs aux flots impurs du Nil;
Le Jourdain va t'ouvrir ses rives.

« Le jour enfin approche où vers les champs promis
<< Gessen verra s'enfuir, malgré leurs ennemis,
Les tribus si longtemps captives.

Sous les traits d'un enfant délaissé sur les flots,
C'est l'élu du Sina, c'est le roi des Fléaux
Qu'une vierge sauve de l'onde.

Mortels, vous dont l'orgueil méconnaît l'Éternel,
« Fléchissez un berceau. va sauver Israël,

:

« Un berceau doit sauver le monde.>>

M. VICTOR HUGO.

LA SOLITUDE1.

HEUREUX qui, s'écartant des sentiers d'ici-bas,
A l'ombre du désert allant cacher ses pas,
D'un monde dédaigné secouant la poussière,
Efface, encor vivant, ses traces sur la terre,
Et dans la solitude enfin enseveli,

Se nourrit d'espérance et s'abreuve d'oubli !
Tel que ces esprits purs qui planent dans l'espace,
Tranquille spectateur de cette ombre qui passe,
Des caprices du sort à jamais défendu,

Il suit de l'œil ce char dont il est descendu! .

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II voit les passions, sur une onde incertaine,
De leur souffle orageux enfler la voile humaine.
Mais ces vents inconstants ne troublent plus sa paix;

Il se repose en Dieu, qui ne change jamais ;

Il aime à contempler ses plus hardis ouvrages,

Ces monts, vainqueurs des vents, de la foudre et des âges.
Où, dans leur masse auguste et leur solidité,

Ce Dieu grava sa force et son éternité.

A cette heure où, frappé d'un rayon de l'aurore,
Leur sommet enflammé que l'Orient colore
Comme un phare céleste allumé dans la nuit,
Jaillit étincelant de l'ombre qui s'enfuit,
Il s'élance, il franchit ces riantes collines
Que le mont jette au loin sur ses larges racines,
Et, porté par degrés jusqu'à ses sombres flancs,
Sous ses pins immortels il s'enfonce à pas lents:
Là des torrents séchés le lit seul est sa route.
Tantôt les rocs minés sur lui pendent en voûte,
Et tantôt, sur leurs bords tout à coup suspendu,
Il recule étonné; son regard éperdu

Jouit avec horreur de cet effroi sublime,

Et sous ses pieds, longtemps, voit tournoyer l'abîme.

Il monte, et l'horizon grandit à chaque instant;

Il monte, et devant lui l'immensité s'étend :

4) Ce morceau a été omis dans la section de la Poésie didactique; mais il ne paraîtra pas trop déplacé dans celle-ci.

Comme sous le regard d'une nouvelle aurore,

Un monde à chaque pas pour ses yeux semble éclore,
Jusqu'au sommet suprême où son œil enchanté
S'empare de l'espace, et plane en liberté.
Ainsi, lorsque notre âme, à sa source envolée,
Quitte enfin pour jamais la terrestre vallée,
Chaque coup de son aile, en l'élevant aux cieux,
Élargit l'horizon qui s'étend sous ses yeux;
Des mondes sous son vol le mystère s'abaisse ;
En découvrant toujours elle monte sans cesse
Jusqu'aux saintes hauteurs d'où l'œil du séraphin
Sur l'espace infini plonge un regard sans fin.

Salut, brillants sommets, champs de neige et de glace;
Vous qui d'aucun mortel n'avez gardé la trace;
Vous que le regard même aborde avec effroi,
Et qui n'avez souffert que les aigles et moi :
Oeuvres du premier jour, augustes pyramides
Que Dieu même affermit sur vos bases solides ;
Confins de l'univers, qui, depuis ce grand jour,
N'avez jamais changé de forme et de contour:
Le nuage en grondant parcourt en vain vos cimes,
Le fleuve en vain grossi sillonne vos abîmes,
La foudre frappe en vain votre front endurci ;
Votre front solennel, un moment obscurci,

Sur nous, comme la nuit, versant son ombre obscure,
Et laissant pendre au loin sa noire chevelure,
Semble, toujours vainqueur du choc qui l'ébranla,
Au Dieu qui l'a fondé dire encor: Me voilà.

Et moi, me voici seul sur ces confins du monde :
Loin d'ici, sous mes pieds la foudre vole et gronde ;
Les nuages battus par les ailes des vents

Entre-choquant comme eux leurs tourbillons mouvants,
Tels qu'un autre Océan soulevé par l'orage,

Se déroulent sans fin dans des lits sans rivage,
Et, devant ces sommets abaissant leur orgueil,
Brisent incessamment sur cet immense écueil.
Mais, tandis qu'à ses pieds ce noir chaos bouillonne,
D'éternelles splendeurs le soleil le couronne :
Depuis l'heure où son char s'élance dans les airs,

Jusqu'à l'heure où son disque incline vers les mers,
Cet astre, en décrivant son oblique carrière,
D'aucune ombre jamais n'y souille la lumière,
Et déjà la nuit sombre descendu des cieux
Qu'à ces sommets encore il dit de longs adieux.

Là, tandis que je nage en des torrents de joie,
Ainsi que mon regard, mon âme se déploie,
Et croit, en respirant cet air de liberté,
Recouvrer sa splendeur et sa sérénité.

Oui, dans cet air du ciel, les soins lourds de la vie,
Le mépris des mortels, leur haine ou leur envie,
N'accompagnent plus l'homme et ne surnagent pas :
Comme un vil plomb, d'eux-même, ils retombent en bas.
Ainsi, plus l'onde est pure, et moins l'homme y surnage.
A peine de ce monde il emporte une image.

Mais ton image, ô Dieu: dans ces grands traits épars,
Et s'élevant vers toi grandit à nos regards.

Comme au prêtre habitant l'ombre du sanctuaire,
Chaque pas te révèle à l'âme solitaire.

Le silence et la nuit, et l'ombre des forêts,
Lui murmurent tout bas de sublimes secrets;
Et l'esprit, abîmé dans ces rares spectacles,
Par la voix des déserts écoute tes oracles.
J'ai vu de l'Océan les flots épouvantés,
Pareils aux fiers coursiers dans la plaine emportés,
Déroulant à ta voix leur humide crinière,
Franchir en bondissant leur bruyante barrière ;
Puis soudain refoulés, sous ton frein tout puissant,
Dans l'abîme étonné rentrer en mugissant.
J'ai vu le fleuve, épris des gazons du rivage,
Se glisser flots à flots, de bocage en bocage,
Et dans son lit voilé d'ombrage et de fraîcheur,
Bercer en murmurant la barque du pêcheur ;
J'ai vu le trait brisé de la foudre qui gronde,
Comme un serpent de feu se dérouler sur l'onde;
Le zéphyr embaumé des doux parfums du miel,
Balayer doucement l'azur voilé du ciel;

La colombe, essuyant son aile encore humide,
Sur les bords de son nid poser un pied timide,

426

POÉSIE LYRIQUE RELIGIEUSE.

Puis, d'un vol cadencé, fendant le flot des airs,
S'abattre en soupirant sur la rive des mers;
J'ai vu ces monts voisins des cieux où tu reposes,
Cette neige où l'aurore aime à semer ses roses,
Ces trésors des hivers, d'où par mille détours
Dans nos champs desséchés multipliant leur cours,
Cent rochers de cristal, que tu fonds à mesure,
Viennent désaltérer la mourante verdure :
Et ces ruisseaux pleuvant de ces rocs suspendus,
Et ces torrents grondant dans les granits fendus,
Et ces pics où le temps a perdu sa victoire .
Et toute la nature est un hymne à ta gloire.

... •

M. DE LAMARTINE.

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