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Il est tombé dans l'éclat de sa course:
Le trait fatal a tremblé sur son flanc;
Et les flots noirs de son généreux sang
Ont altéré le cristal de la source.

Ce noble ami, plus léger que les vents,
Il dort couché sous les sables mouvants.

Du meurtrier j'ai puni l'insolence;
Sa tête horrible aussitôt a roulé ;
J'ai de son sang abreuvé cette lance,
Et sous mes pieds je l'ai longtemps foulé.
Puis, contemplant mon coursier sans haleine,
Morne et pensif, je l'appelai trois fois;

En vain, hélas! . . . Il fut sourd à ma voix :
Et j'élevai sa tombe dans la plaine.

Ce noble ami, plus léger que les vents,
Il dort couché sous les sables mouvants.

Depuis ce jour, tourment de ma mémoire,
Nul doux soleil sur ma tête n'a lui:
Mort au plaisir, insensible à la gloire,
Dans le désert je traîne un long ennui.
Cette Arabie, autrefois tant aimée,
N'est plus pour moi qu'un immense tombeau ;
On me voit fuir le sentier du chameau,
L'arbre d'encens et la plaine embaumée.

Ce noble ami, plus léger que les vents,
Il dort couché sous les sables mouvants.

Quand du midi le rayon nous dévore,
Il me guidait vers l'arbre hospitalier;
A mes côtés il combattait le Maure,
Et sa poitrine était mon bouclier.
De mes travaux compagnon intrépide!
Fier, et debout dès le réveil du jour,
Au rendez-vous et de guerre et d'amour
Tu m'emportais comme l'éclair rapide.

Mais, noble ami, plus léger que les vents,
Tu dors couché sous les sables mouvants.

Tu vis souvent cette jeune Azéide,
Trésor d'amour, miracle de beauté;
Tu fus vanté de sa bouche perfide,
Ton cou nerveux de sa main fut flatté:
Moins douce était la timide gazelle;

Des verts palmiers elle avait la fraîcheur. .
Un beau Persan me déroba son cœur ;
Elle partit! . . . . tu me restas fidèle.

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Mais, noble ami, plus léger que les vents,
Tu dors couché sous les sables mouvants.

MILLEVOYE.

LA JEUNE TARENTINE,

ÉLÉGIE.

PLEUREZ, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétys; doux alcyons, pleurez !

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine :
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe étonnée et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.

Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétys, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre bientôt les belles Néréides

S'élèvent au-dessus des demeures humides,

Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement;

Et de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas! autour de son cercueil:

« Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée ;
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée;
L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux.>>
ANDRÉ CHÉNIER.

LA VIEILLE FILLE.

PAUVRE fille! toujours ici-bas oubliée,
Toi dont la vie était une lente douleur,
Dont l'âme méconnue en soi s'est répliée,
Amèrement blessée au toucher du malheur;

Toi, qui viens de mourir aussi chaste qu'un ange,
Et dont le front blanchi dort sous le blanc linceul,
Toi que nul n'a choisie, et dont la fleur d'orange
N'a, de son pâle éclat, paré que le cercueil;

Console-toi, ma sœur, de ce triste hyménée,
De ces vierges qui vont chantant l'hymne de mort;
Fières de leur jeunesse et de leur destinée,
Plus d'une, après l'épreuve, aurait choisi ton sort.

Ton âme vers la paix s'est enfin élancée:
Tu pars riche de pleurs, tous ont été comptés;
Car du livre éternel la joie est effacée,

Et seuls, en lettres d'or, les chagrins sont restés.

Ah! qui sait les ennuis, les désespoirs sans nombre,
Les résignations qu'un cœur pauvre nourrit;
Pauvre de tous les biens, et qui s'éteint dans l'ombre
D'un mal dont sans pitié chacun s'éloigne et rit!

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La laideur chez la femme est maudite et flétrie;
De la grâce et du beau nous sommes amoureux:
C'est comme un souvenir de la noble patrie,
Qui vient frapper nos sens et parler à nos yeux.

Elle vit, en naissant, commencer sa misère,
Triste, elle grandissait parmi ses jeunes sœurs ;
Car elle devinait, en embrassant sa mère,
Une pitié plaintive en ses yeux tout en pleurs.
Elle n'eut point d'enfance; et venue à cet âge
Où la beauté reluit dans toute sa splendeur,
Chacun se détourna de son pâle visage,

Sans chercher plus avant ce que gardait son cœur ;
Son cœur, cachant à tous sa richesse inutile,
Ses secrets battements comprimés sous sa main,
Mystérieux parfum enfermé dans l'argile,

Beau trésor inconnu qu'on foulait en chemin ;

Ne murmurant jamais, tant son âme était haute,
N'ayant que Dieu pour juge en ses muets combats,
Et voilant son malheur comme on voile une faute;
Souffrant de ces douleurs qui ne se plaignent pas;
Vivant dans ces longs jours isolée et sans guide,
Et voyant chacun d'eux, fatalement pareil,
Sans espoir, sans bonheur, triste, uniforme, vide,
Comme un morne horizon sans pluie et sans soleil.
Et quand le poids des ans eut incliné sa tête,
Son cœur, tant éprouvé par un destin jaloux,
Se vengea noblement de sa part incomplète;
Elle agrandit sa vie en la donnant à tous.

Saintement résignée à marcher solitaire,
Sans époux, sans enfants, sans lien, sans amour,
De tous les affligés elle devint la mère;
Doux nom qu'avaient souvent rêvé ses mauvais jours!
Gloire, gloire à celui qui garde dans son âme
La foi, divin trésor d'intarissable miel!

Toi qui n'as partagé que les maux de la femme,
O vierge en cheveux blancs, va confiante au ciel!

Les dévoùments obscurs sont les plus magnifiques;
Dans l'ombre et le silence ils restent confondus:
C'est la voix du désert chantant les saints cantiques
Qui montent jusqu'à Dieu, de lui seul entendus.
Ils veulent un cœur fort, un assidu courage:
Celui qui les pratique entre tous est béni;
Il amasse en secret un sublime héritage,
Et sème dans son champ un mérite infini.
La vertu glorieuse a le regard des hommes,
L'autre a celui du Dieu juste et mystérieux;
La première a sa fin dans le monde où nous sommes,
L'autre naît sur la terre et ne fleurit qu'aux cieux.

Mme JANVIER.

LA CHUTE DES FEUILLES.

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre;
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste, et mourant, à son aurore,
Un jeune malade à pas lents
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans.
« Bois que j'aime, adieu, je succombe;
Votre deuil me prédit mon sort;
Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Épidaure,

Tu m'as dit : Les feuilles des bois
«A tes yeux jauniront encore :
<< Mais c'est pour la dernière fois.
« L'éternel cyprès se balance;
« Déjà sur ta tête en silence
« Il incline ses longs rameaux :
Ta jeunesse sera flétrie
«Avant l'herbe de la prairie,
« Avant le pampre des coteaux. »>

Et je meurs... De leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans;
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps !
Tombe, tombe, feuille éphémère !
Couvre, hélas! ce triste chemin;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais si mon amante voilée,
Au détour de la sombre allée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par ton léger bruit
Mon ombre un instant consolée. »

Il dit, s'éloigne, et sans retour.
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe...
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée;

Et le pâtre de la vallée
Troubla seul du bruit de ses pas
Le silence du mausolée.

MILLEVOYE.

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