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En approchant de lui, pourrais-je entendre encore
Ces merveilleux concerts dont jouit Pythagore,
Et que forment sans cesse, en des tons mesurés,
Tous les célestes corps, l'un par l'autre attirés!
D'autres en rediront la savante harmonie;
Moi, je sens succomber mon trop faible génie.
Et vous, qui m'avez vu, repoussant le sommeil,
Franchir les airs, chanter par-delà le soleil,
Si de plus grands efforts plaisent à votre audace,
Il est un Cassini digne encor de sa race,
Qui s'offre à vous guider, qui règne en ce séjour
Où la sage Uranie a rassemblé sa cour.

Ainsi que ses aïeux la déesse l'inspire:

C'est par eux que cent ans elle accrut son empire:
Tout ce qu'ont dit mes vers leur compas l'a prouvé.
Au ciel, d'où je descends, tous les jours élevé,
Leur fils suit leur exemple: il sait d'une main sûre
Régler les mouvements des astres qu'il mesure.
Quand la lune arrondie en cercle lumineux
Va de son frère absent nous réfléchir les feux,
Il vous dira pourquoi, d'un crêpe enveloppée,
Par l'ombre de la terre elle pâlit frappée ;
Pourquoi, du haut des airs, cet astre de la nuit
Soulève l'Océan qui retombe à grand bruit;
Tranquille, il fait rouler, dans leurs justes orbites,
Autour de Jupiter, ses quatre satellites;

Et, les montrant de loin au fier navigateur,
Dirige en paix de Cook le vaisseau bienfaiteur.
Tout cède à ses calculs; et vous le verrez même
Assujettir aux lois que suit notre système,
Et Cérès, et Pallas, qui, naguère à nos yeux,
Ont, après Uranus, pris leur rang dans les cieux.
Sa main ramènera l'étoile déréglée,

Qui vient, fuit et revient, et court échevelée.
Moins de gloire appartient à mes humbles essais.
Toutefois j'ai voulu des poëtes français
Élever les regards vers de si beaux spectacles.
Et lorsque la nature, étalant ses miracles,
Prodigue devant nous tant de trésors nouveaux,
Comme elle, s'il se peut, varions nos tableaux.

Faut-il offrir toujours sur la scène épuisée,
Des tragiques douleurs la pompe trop usée ?

Des sentiers moins battus s'ouvrent devant nos pas.
Au festin de Didon, voyez-vous Iopas

Chanter le cours des ans, des saisons incertaines,
Et des célestes corps les changeants phénomènes,
Et tout ce qu'autrefois enseignait dans ses vers
Ce tout-puissant Atlas qui portait l'univers ?
Reprenez tous vos droits, consultez les vieux âges:
Les poëtes jadis furent les premiers sages.
Je choisis des sujets qui les ont inspirés,
Heureux si, les suivant dans les lieux ignorés,
De l'antique Linus je retrouvais la lyre!
Puisse au moins, animé de leur noble délire,
Quelque chantre immortel dignement retracer
Ce grand tableau des cieux que j'osai commencer !

FONTANES.

L' É TÉ.

QUAND un poëme peu lu renferme de fort beaux vers, c'est un devoir de les rappeler. Il n'est pas juste de les laisser périr. Le poëme des Saisons est déjà ancien et ne sera jamais antique. Les littérateurs le connaissent, le public en a entendu parler. Nous serions curieux de savoir si ce chant de l'Été, objet de l'admiration de Diderot, ne trouvera plus d'admirateurs aujourd'hui. L'art de peindre en grand n'a pas fait, ce nous semble de si grands progrès, et n'est pas non plus si méprisé, qu'on ne puisse croire que quelques passages de ce morceau seront encore appréciés.

DÉJÀ l'œil dans nos champs compte moins de couleurs;
L'Été dans le parterre a relégué les fleurs.

Je n'irai plus chercher au bord de la prairie
Cet émail, ces beautés que le printemps varie.
Je porte mes regards sur de vastes guérets;

Je parcours d'un coup-d'œil les champs et les forêts,
Un océan de blés, une mer de verdure.

Dans un espace immense il faut voir la Nature;
Loin des riants jardins, loin des plants cultivés,

J'irai sur l'Apennin, sur ces monts élevés,

D'où j'ai vu d'autres monts formant leur vaste chaîne
De degrés en degrés s'abaisser sur la plaine.
Un fleuve y serpentait, et ses flots divisés
Baignaient dans cent canaux les champs fertilisés.
Je le voyais briller à travers les campagnes,
Se noircir quelquefois de l'ombre des montagnes,
S'approcher, s'éloigner, et d'un cours incertain
Se perdre et s'enfoncer dans un sombre lointain.
Mes regards étonnés de ces riches spectacles
Commandaient à l'espace, et volaient sans obstacles
Jusqu'aux fonds azurés où la voûte des airs
S'unit, en se courbant, au vaste sein des mers.
Je voyais les moissons, du soleil éclairées,
Ondoyer mollement sur les plaines dorées;
Des forêts s'élever sur les monts écartés;
Des arbres couronner les bourgs et les cités;
Des prés déjà blanchis et des pampres fertiles
Du peuple des hameaux entourer les asiles.
Le globe des saisons, dans les flots radieux
Précipitant ses traits lancés du haut des cieux,
Le fleuve étincelant, et la mer argentée,
Renvoyaient sur les monts leur lumière empruntée.
C'était dans ces moments où l'excès des chaleurs
Sous leurs paisibles toits retient les laboureurs.
Il semblait qu'à moi seul la Nature en silence,
Étalât sa richesse et sa magnificence.

Les trésors rassemblés sur ces vastes cantons,

Ces monts et ces forêts, ces mers, ces champs féconds,

De ce tout varié la confuse harmonie,

Ce spectacle si grand des vrais biens de la vie,

Occupaient ma pensée, et portaient dans mon cœur
Un plaisir réfléchi, le calme et le bonheur.
J'admirais tes bienfaits, divine Agriculture;
Tu sais multiplier les dons de la nature;
Toi seule à l'enrichir forces les éléments:
Elle doit à tes soins ses plus beaux ornements.
Sans toi, ces végétaux, que tu sais reproduire,
Périssent en naissant, ou naissent pour se nuire.
Tu tiras les humains du centre des forêts;

Fixés auprès des champs qu'ils cultivaient en paix,
Ils purent prononcer le saint nom de patrie,
Et connaître les mœurs, ornement de la vie.
Bientôt les animaux, vaincus dans les déserts,
Esclaves des humains, se plurent dans nos fers.
L'homme ravit la laine à la brebis paisible ;
Le taureau lui soumit son front large et terrible;
La génisse apporta son nectar argenté,
Aliment pur et doux, source de la santé.
L'Agriculture alors nourrit un peuple immense,
Et des champs aux cités fit passer l'abondance.
La candeur, l'équité, la liberté, l'honneur,
Fut le partage heureux du peuple agriculteur;
Et lui seul, enrichi des trésors nécessaires,
Reçut de l'étranger les tributs volontaires.

Sénat d'un peuple- roi qui mit le monde aux fers, Conseil de demi-dieux qu'adora l'univers,

Cérès avec Bellone a formé ton génie.

Des hameaux dispersés sur les monts d'Ausonie,
Des vallons consacrés par les pas des Catons,
Du champ de Régulus, du toit des Scipions,
S'élançait au printemps ton aigle déchaînée,
Pour annoncer la foudre à la terre étonnée.
Au retour des combats, tes vertueux guerriers
Au temple de Cérès appendaient leurs lauriers.
Les arbres émondés par le fer des Émiles,

Les champs sollicités par les mains des Camilles,
De leurs dons à l'envi comblaient leurs possesseurs,
Et ces fruits du travail n'altéraient point les mœurs.
Mais voici le moment où l'astre des saisons

Arrive du Cancer au Lion de Némée.

Il revêt de splendeur la Nature enflammée.
Le déluge embrasé qu'il répand dans les airs,
Couvre les champs, les monts, les forêts et les mers.
Tout reçoit, réfléchit la clarté qu'il dispense;
Tout brille confondu dans la lumière immense.
La campagne gémit sous les rayons brûlants;
Des coteaux entr'ouverts ils pénètrent les flancs :
Sous l'herbe épaisse encore ils sillonnent les plaines;
Les monts ont refusé le tribut des fontaines ;

Le ruisseau languissait, et meurt dans ses roseaux ;
Le fleuve humilié sent décroître ses eaux;
Son rivage est flétri; la sève consumée
Déjà ne soutient plus la plante inanimée,
Et le grain, détaché de l'herbe qui pâlit,
Dans le limon poudreux tombe et s'ensevelit.
Le coursier, sans vigueur et la tête penchée,
Jette un triste regard sur l'herbe desséchée;
Tandis que le pasteur, sous des ormes touffus,
La tête sur la mousse et les bras étendus,
S'endort environné de ses brebis fidèles,

Et des chiens haletants qui veillent autour d'elles.
La chaleur a vaincu les esprits et les corps :
L'âme est sans volonté, les muscles sans ressorts.
L'homme, les animaux, la campagne épuisée,
Vainement à la nuit demandent la rosée.
Sous un ciel sans nuage ils ont vu les éclairs
Se briser sur les monts, et sillonner les airs.
La nuit marche à grands pas, et de son char d'ébène
Jette un voile léger que l'œil perce sans peine :
Son empire est douteux, son règne est d'un moment:
L'éclat du jour qui naît blanchit le firmament;
Des feux du jour passé l'horizon luit encore.
Où sont ces vents si frais qui devançaient l'aurore?
La chaleur qui s'étend sur un monde en repos
A suspendu les jeux, les chants et les travaux :
Tout est morne, brûlant, tranquille; et la lumière
Est seule en mouvement dans la Nature entière.
Oh! si l'astre puissant des saisons et des jours
Opprime les climats éloignés de son cours,
S'il devient si terrible aux zones tempérées,
Quelles sont ses fureurs dans ces vastes contrées
Que le Tropique embrasse, où le flambeau des cieux
Parcourt à l'Équateur son cercle radieux ?

C'est là que la Nature et plus riche et plus belle Signale avec orgueil sa vigueur éternelle :

C'est là qu'elle est sublime. Aux feux brûlants des airs
Opposant les grands lacs, les fleuves et les mers,
Et commandant aux vents d'y porter la rosée,
Elle y rend la fraîcheur à la terre embrasée,

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