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<«<En quels lieux était-il? où portait-il ses pas?
«Il sait où vit Lycus; pourquoi ne vient-il pas ?
<«< Parle était-ce bien lui? parle, parle, te dis-je;
« Où l'as-tu vu? Mon hôte, à regret je t'afflige.
« C'était lui, je l'ai vu

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Les douleurs de son âme

« Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme, « A Delphes, confiés au ministre du dieu,

<< Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu.
«Par des sentiers secrets fuyant l'aspect des villes,
<«< On les avait suivis jusques aux Thermopyles.
<«<ll en gardait encore un douloureux effroi.
«Je le connais, je fus son ami comme toi.
« D'un même sort jaloux une même injustice
«Nous a tous deux plongés au même précipice.
<«<ll me donna jadis (ce bien seul m'est resté)
<< Sa marque d'alliance et d'hospitalité.

<«< Vois si tu la connais. » O surprise! Immobile,
Lycus a reconnu son propre sceau d'argile;
don mutuel d'éternelle amitié,

Le sceau,

Jadis à Cléotas par lui-même envoyé.

Il ouvre un œil avide, et longtemps envisage L'étranger. Puis, enfin, sa voix trouve un passage: «Est-ce toi, Cléotas? toi, qu'ainsi je revoi!

<< Tout ici t'appartient. O mon père! est-ce toi?
«Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître.
«O Cléotas! mon père! ô toi qui fus mon maître,
<«<Viens; je n'ai fait ici que garder ton trésor ;
<«< Et ton ancien Lycus veut te servir encor.
«J'ai honte à ma fortune en regardant la tienne. »
Et dépouillant soudain la pourpre tyrienne,
Que tient sur son épaule une agrafe d'argent,
Il l'attache lui-même à l'auguste indigent.
Les convives levés l'entourent; l'allégresse
Rayonne en tous les yeux. La famille s'empresse;
On cherche des habits, on réchauffe le bain.
La jeune enfant approche; il rit, lui tend la main :
<«< Car c'est toi, lui dit-il, c'est toi qui la première
<«<Ma fille, m'as ouvert la porte hospitalière. »

*

LA RANÇON D'ÉGIL L.

ELMOR.

<«< Illustre Égill, honneur de la Scanie !
Quitte ce fer trop pesant pour ton bras,
Borne ta gloire aux combats d'harmonie,
Et laisse-nous les périlleux combats.>>
ÉGILL.

« Pardonne, ô fils du roi des Scandinaves;
Mais j'ai le droit de conserver ce fer.
Ne sais-tu pas qu'en même temps Recner
Était le chantre et l'émule des braves?»>

ELMOR.

<< Pardonne, Égill; mais si ta docte voix Dans nos concerts désormais ne répète Que les combats témoins de tes exploits, Pour plus d'un jour elle sera muette. »

ÉGILL.

« Écoute, Elmor! Ivre d'un vain orgueil, Un fils des rois au scalde fit outrage: Le lendemain sa mère était en deuil. >>

D'Égill ainsi le tranquille courage Sait opposer la menace au dédain. Elmor l'entend, et sous le noir ombrage Sans se parler ils s'enfoncent soudain. Dans la forêt, durant une heure entière, Le bruit des coups sans trêve retentit: Égill, couvert de sang et de poussière, De la forêt fut le seul qui sortit. Vaillant Elmor! au palais de ton père On t'attendait pour le festin du soir: A ce festin tu ne dois plus t'asseoir. Pâle, tu dors sur la rouge bruyère ; Loin de ta bouche a fui l'injure altière; Et le silence où la mort t'a plongé Atteste au loin que le scalde est vengé. La froide Aurore à peine réveillée, Au prompt signal des dogues aboyants, On retrouva sous l'épaisse feuillée

Du fils d'Armin les restes effrayants.
Armin, frappé d'une douleur mortelle,
Ne pleure plus, mais s'arrache le sein.
On s'interroge, on cherche l'assassin :
« Ne cherchez plus, dit la voix paternelle,
Je le connais; c'est le fier Ingisfal.
Depuis qu'Elmor fut son heureux rival,
Il se nourrit du poison de la haine.
Qu'il soit saisi! qu'au palais on le traîne!
Courez, volez, aussi prompts que l'éclair!
En attendant que sa mort se prépare,
Que mes cachots ferment sur le barbare
Les gonds d'airain de leurs portes de fer! >>
On obéit. Égill sur le rivage

Errait encor. Tel un profond nuage,

D'où s'échappa la foudre aux traits brûlants,
Roule, chargé des restes de l'orage;
Tel et plus sombre Egill marche à pas lents.
Devant ses pas une troupe en furie
Traine au palais Ingisfal innocent.
Le nom d'Elmor, au loin retentissant,
Instruit Égill, qui s'élance et s'écrie:

« Ce n'est pas lui qu'il faut punir, c'est moi,
Moi seul! vengez le sang de votre roi!
Venge ton fils, ô chef des Scandinaves!
Par un outrage il a blessé mon cœur:
Je l'ai tué, mais de la mort des braves,
Et de sa mort je réclame l'honneur. »

Armin l'écoute, et frémit; il ordonne,
Et de guerriers Égill est entouré,

A leur fureur le scalde s'abandonne,
Et, remplaçant Ingisfal délivré,
Vers sa prison marche plus assuré
Que s'il allait recevoir la couronne,
Glorieux prix à ses vers consacré.
<< Malheur à toi, criait la foule armée;
Malheur à toi, fils de la renommée!
Nul barde ici ne redira ta mort. >>
Et, sur ses gonds roulant avec effort,
Du noir cachot la porte refermée
Mêle son bruit aux sifflements du nord.

Le voilà seul!

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Non, sa harpe chérie

En son malheur le consolait encor.
Égill chantait, il chantait pour Elmor:
<«< Heureux Elmor! le ciel de ta patrie
Fut le témoin de tes derniers moments;
Le sol natal couvre tes ossements.
Heureux Elmor! tes amis et ton père
A ton cercueil apporteront des pleurs:
Et moi, je meurs sur la rive étrangère;
Ni mes amis, ni ma sœur, ni ma mère,
Ne m'offriront leur tribut de douleurs.
De mes destins compagne glorieuse,
Chante, ô ma harpe, une dernière fois!
Tu vas périr. D'une main furieuse
On brisera ta corde harmonieuse,
Et comme Égill tu resteras sans voix.
Que de beaux chants je méditais encore !
Gémis, gémis, ô ma harpe! avec nous
Notre avenir au tombeau va descendre;
Le barde obscur passera sur ma cendre,
Et de mon nom ne sera point jaloux.»

Mais à grand bruit les bardes scandinaves
Ont commencé de sauvages accords:
Ils répétaient l'hymne qui chez les morts
A leurs festins va réjouir les braves.
Grossièrement on érige en autel
Les lourds éclats de la roche brisée;
Et le tranchant de la hache aiguisée
Au prisonnier promet le coup mortel.

Le cachot s'ouvre à l'autel on amène
Le noble Égill, toujours calme et serein.
Mais son oreille endurait avec peine
L'hymne danois et son rauque refrain.
Il cède enfin à son impatience;

La main tendue, il demande audience,
L'obtient, s'incline; et, d'Armin s'approchant:
« Père d'Elmor! si tu chéris sa gloire,
Laisse à mon art le soin de sa mémoire.
Puisse du moins servir mon dernier chant

A racheter ma funèbre victoire ! »

Le roi s'étonne; enflammé de courroux,
Tandis qu'il songe à punir tant d'audace,
Se fait entendre un prélude si doux,
Que sur sa bouche expire la menace.
Egill commence; appuyé sans terreur
Sur cet autel où la mort est présente,
L'aspect voisin de la hache pesante

Ne fait trembler ni sa voix, ni son cœur :

Royal espoir de la Scandinavie,

Dans les combats il était déjà roi.

Un dieu sans doute, armé contre sa vie,
Un dieu fatal combattait avec moi.
Faible guerrier, sans renom sur la terre,
J'ai triomphe de mon noble agresseur :
Parfois ainsi le pâtre solitaire

Jette à ses pieds l'ours, effroi du chasseur.

Les jours de guerre étaient ses jours de fête;

Il ne chantait qu'au son du bouclier.
Les flots en vain mugissaient sur sa tête;

A l'abordage il montait le premier.
Que d'ennemis privés de funérailles
Livra son glaive à la faim du vautour!
Les loups rôdaient autour de ses batailles :
De ses exploits ils vivaient plus d'un jour.

Dans ses combats au lointain promontoire,
Il s'illustra par des faits éclatants;
Il en revint embelli de sa gloire,
Et les beautés soupirèrent longtemps.
Ce fut en vain : l'âme préoccupée
Des traits charmants de la jeune Risma,
Elmor l'aimait autant que son épée,
Et pour Elmor la vierge s'enflamma.

O de son cœur la compagne adorée !

Tu l'attendais, et tu l'attends encor.
L'instant s'approche où ta mère éplorée
Viendra te dire: «Il n'est plus, ton Elmor! »

On t'apprendra quel funeste courage

Guida les coups du glaive ensanglanté,

Trop prompt, hélas! à venger un outrage.

Pardonnes-tu, fille de la beauté ?

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