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Sous les remparts de Rome, et sous ces vastes plaines, Sont des antres profonds, des voûtes souterraines,

Qui, pendant deux mille ans, creusés par les humains,
Donnèrent leurs rochers aux palais des Romains.
Avec ses monuments et sa magnificence,
Rome entière sortit de cet abîme immense.
Depuis, loin des regards et du fer des tyrans,
L'église encor naissante y cacha ses enfants,
Jusqu'au jour où, du sein de cette nuit profonde,
Triomphante, elle vint donner des lois au monde,
Et marqua de sa croix les drapeaux des Césars.
Jaloux de tout connaître, un jeune amant des arts,
L'amour de ses parents, l'espoir de la peinture,
Brûlait de visiter cette demeure obscure,

De notre antique foi vénérable berceau.

Un fil dans une main, et dans l'autre un flambeau,
Il entre, il se confie à ces voûtes nombreuses,
Qui croisent en tous sens leurs routes ténébreuses.
Il aime à voir ce lieu, sa triste majesté,

Ce palais de la nuit, cette sombre cité,

Ces temples où le Christ vit ses premiers fidèles,
Et de ces grands tombeaux les ombres éternelles.
Dans un coin écarté se présente un réduit,
Mystérieux asile où l'espoir le conduit.

Il voit des vases saints et des urnes pieuses',
Des vierges, des martyrs dépouilles précieuses.
Il saisit ce trésor, il veut poursuivre: hélas !
Il a perdu le fil qui conduisait ses pas.

Il cherche, mais en vain: il s'égare, il se trouble;
Il s'éloigne, il revient, et sa crainte redouble ;
Il prend tous les chemins que lui montre la peur.
Enfin, de route en route, et d'erreur en erreur,
Dans les enfoncements de cette obscure enceinte,
Il trouve un vaste espace, effrayant labyrinthe,

1) Épithète transportée de la personne à la chose. On lit aussi dans René: « J'écoutais en silence le pieux murmure » (des cloches). «Un sol laborieux.» Chénier. L'inverse est encore plus fréquent, surtout en poésie: «<Cet homme irréparable.» Le Brun. «Les vastes conquérants.» Béranger. «Et pourquoi ? pour entendre un peuple injurieux. . . . ... » Bérénice. «L'homme de lettres est trivial comme une borne au coin des places.» La Bruyère. <«< Le monde est plein de ministres oiseux,»

Massillon. Et dans ce morceau même: «Son cœur tumultueux.»

D'où vingt chemins divers conduisent à l'entour.
Lequel choisir? lequel doit le conduire au jour?
Il les consulte tous: il les prend, il les quitte;
L'effroi suspend ses pas, l'effroi les précipite;
Il appelle: l'écho redouble sa frayeur;

De sinistres pensers viennent glacer son cœur.
L'astre heureux qu'il regrette a mesuré dix heures
Depuis qu'il est errant dans ces noires demeures.
Ce lieu d'effroi, ce lieu d'un silence éternel,
En trois lustres entiers voit à peine un mortel;
Et, pour comble d'effroi, dans cette nuit funeste,
Du flambeau qui le guide il voit périr le reste.
Craignant que chaque pas, que chaque mouvement,
En agitant la flamme, en use l'aliment,
Quelquefois il s'arrête et demeure immobile.
Vaines précautions! tout soin est inutile;
L'heure approche, et déjà son cœur épouvanté
Croit de l'affreuse nuit sentir l'obscurité.

Il marche, il erre encor sous cette voûte sombre;
Et le flambeau mourant fume et s'éteint dans l'ombre.
Il gémit; toutefois, d'un souffle haletant,

Le flambeau ranimé se rallume à l'instant.
Vain espoir! par le feu la cire consumée,
Par degrés s'abaissant sur la mêche enflammée,
Atteint sa main souffrante, et de ses doigts vaincus
Les nerfs découragés ne la soutiennent plus;
De son bras défaillant enfin la torche tombe,
Et ses derniers rayons ont éclairé sa tombe.
L'infortuné déjà voit cent spectres hideux :
Le Délire brûlant, le Désespoir affreux,

La Mort . . . non cette Mort qui plaît à la victoire,
Qui vole avec la foudre, et que pare la gloire;
Mais lente, mais horrible, et traînant par la main
La Faim, qui se déchire et se ronge le sein.
Son sang, à ces pensers, s'arrête dans ses veines.
Et quels regrets touchants viennent aigrir ses peines!
Ses parents, ses amis qu'il ne reverra plus!
Et ces nobles travaux qu'il laissa suspendus !
Ces travaux qui devaient illustrer sa mémoire,
4) N'en use.

Qui donnaient le bonheur et promettaient la gloire!
Et celle dont l'amour, celle dont le souris

Fut son plus doux éloge et son plus digne prix !
Quelques pleurs de ses yeux coulent à cette image,
Versés par le regret, et séchés par la rage.
Cependant il espère; il pense quelquefois
Entrevoir des clartés, distinguer une voix.

Il regarde, il écoute. . . . Hélas! dans l'ombre immense
Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence;
Et le silence encore ajoute à sa terreur.
Alors, de son destin sentant toute l'horreur,
Son cœur tumultueux roule de rêve en rêve;
Il se lève, il retombe, et soudain se relève;
Se traîne quelquefois sur de vieux ossements,
De la mort qu'il veut fuir horribles monuments!
Quand, tout à coup, son pied trouve un léger obstacle.
Il y porte la main. O surprise! ô miracle!

Il sent, il reconnaît le fil qu'il a perdu,
Et de joie et d'espoir il tressaille éperdu.
Ce fil libérateur, il le baise, il l'adore,

Il s'en assure, il craint qu'il ne s'échappe encore;
Il veut le suivre, il veut revoir l'éclat du jour.
Je ne sais quel instinct l'arrête en ce séjour.
A l'abri du danger, son âme encor tremblante
Veut jouir de ces lieux et de son épouvante.
A leur aspect lugubre, il éprouve en son cœur
Un plaisir agité d'un reste de terreur.
Enfin, tenant en main son conducteur fidèle,
Il part, il vole aux lieux où la clarté l'appelle.
Dieux quel ravissement, quand il revoit les cieux,
Qu'il croyait pour jamais éclipsés à ses yeux !
Avec quel doux transport il promène sa vue
Sur leur majestueuse et brillante étendue!
La cité, le hameau, la verdure, les bois,
Semblent s'offrir à lui pour la première fois;
Et, rempli d'une joie inconnue et profonde,
Son cœur croit assister au premier jour du monde.

LA MORT DE PLINE;

PAR M. DE CHÊNEDOLLÉ.

QUAND Pline commandait la flotte de Misène, Le bruit se répandit qu'un nouveau phénomène, Un rival de l'Etna menaçait l'univers,

Et qu'enfin le Vésuve avait brisé ses fers.
C'était l'heure où le peuple est aux fêtes publiques;
Mais du cirque, à ces bruits, désertant les portiques,
La foule des Romains dans les temples sacrés
Court porter sa terreur et ses pas égarés.
Pline, se confiant à son grand caractère,
Seul, veut sonder de près cet effrayant mystère;
Et, brûlant d'épier, dans ce grand mouvement,
Du volcan en travail l'horrible enfantement,
Il s'apprête à partir. Mais sa sœur en alarmes.
Se jette à ses genoux, qu'elle arrose de larmes :
« O mon frère? en courant à des dangers certains,
«Ne crains- tu pas, dis-moi, de tenter les destins ?
« J'ai perdu mon époux, mon frère le remplace :
« Et ta mort, ô mon frère! aujourd'hui nous menace;
<< Et tu veux nous quitter? Ne m'as-tu pas promis
<< De veiller en tous temps sur les jours de mon fils?
<< Si tu meurs, de ce fils que devient la jeunesse ?
<< Et quel bras désormais soutiendra sa faiblesse ?
«Oh! qu'en toi de son père il retrouve l'appui ;
« Et si ce n'est pour moi, conserve-toi pour lui!»>
Elle dit. Aux accents de cette sœur chérie
Pline hésite un moment, son âme est attendrie;
Mais bientôt dans son sein renfermant ses douleurs1,
Il s'arrache pensif à sa famille en pleurs.

Il se rend dans le port; il monte une galère;
Et déjà ses rameurs sillonnent l'onde amère.

Mais la nuit approchait, et les ombres du soir
Sur les vieux Apennins commençaient à s'asseoir:
De Rhétine d'abord on cherche les rivages.
Partout s'offraient aux yeux les plus tristes présages:
1) Ou plutôt son émotion.

Les airs sont endormis dans un morne repos,
Et l'océan plombé sent frissonner ses flots;
L'orfraie, avant-coureur des désastres célèbres,
Trois fois, rasant la nef, poussa des cris funèbres.
Les nochers ont påli. Pline, sans s'émouvoir,
Tranquille, observe tout, et s'apprête à tout voir.
On avance, et déjà se découvre à la vue,
Au-dessus du Vésuve, une effroyable nue,
Qui, telle qu'un grand pin, allonge dans les cieux
Et son tronc gigantesque, et ses bras spacieux.
Cette horrible vapeur, ce nuage de cendre
Sur l'océan noirci commence à se répandre :
L'Italie, agitée en ses vieux fondements,
Prolonge sous les mers de sourds frémissements;
De ce bruit qui s'accroît la rive est ébranlée,
Et l'onde d'Amphitrite est au loin refoulée.
Déjà roulent en l'air des rochers allumés,
Qui tombent en sifflant sous les flots enflammés;
Et la vague en fureur, qui s'élance en colonne,
Autour de la galère et mugit et bouillonne.
Pline veut aborder. Tout à coup à ses yeux
Le nuage s'approche, et du plus haut des cieux
S'abat, et couvre au loin et la plaine azurée,
Et le cap de Misène, et l'ile de Caprée.
Le monde a disparu dans une immense nuit.
Un vent affreux s'élève; et la nef à grand bruit,
Dans cette obscurité sur les flots balancée,
Du rivage à la mer est vingt fois repoussée.
Enfin, dans l'orient le jour ressuscité

Ramène aux yeux de Pline une morne clarté.
Épouvantable jour, plus affreux que les ombres !
Combien il offrira de morts et de décombres,
Que dérobait la nuit sous son voile incertain,
Et que vont révéler les clartés du matin1!
Cependant Pline aborde, et, fort de son courage,
Seul avec un esclave, il s'élance au rivage.
Tu dois revivre aussi pour la postérité,
O toi! mortel obscur, dont la fidélité

4) Ce vers paraît superflu.

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