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veaux châtiments; une inimitié ouverte et publique s'établit entre le père et le fils. Mirabeau passa en prison plusieurs années de sa vie. C'est là qu'il se livra à cette passion pour l'étude, aussi forte au moins que sa passion pour les plaisirs. Plusieurs ouvrages en faveur de la liberté et des droits de l'espèce humaine furent les fruits de ses loisirs forcés: ils écartèrent de lui une partie du mépris dont ses vices l'avaient couvert. Un séjour en Prusse et en Angleterre acheva de mûrir ses idées; et lorsque la révolution arriva, elle le trouva sous les armes, prêt à défendre à la tribune cette liberté pour laquelle il avait tant écrit. Député de la Provence à l'assemblée nationale, il y exerça, par son éloquence, un ascendant extraordinaire. Éclairé par de longues études, il vit mieux que d'autres le point où les réformes devaient s'arrêter. Mais au moment de ralentir un mouvement qu'il avait contribué lui-même à accélérer, il mourut, et laissa la révolution sans contrepoids. Sa mort fut considérée comme un des malheurs de cette époque.

Au milieu de tant de débats tumultueux, ne pourrais-je donc pas ramener à la délibération du jour par un petit nombre de questions bien simples?

Daignez, messieurs, daignez me répondre. Le premier ministre des finances ne vous a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de notre situation actuelle ?

Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggraverait le péril? qu'un jour, une heure, un instant pouvait le rendre mortel?

Avons-nous un plan à substituer à celui qu'il nous propose?

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- Oui, a crié quelqu'un dans l'assemblée. Je conjure celui qui répond oui, de considérer que son plan n'est pas connu, qu'il faut du temps pour le développer, l'examiner, le démontrer; que, fût-il immédiatement soumis à notre délibération, son auteur a pu se tromper; que, fût-il exempt de toute erreur, on peut croire qu'il s'est trompé; que, quand tout le monde a tort, tout le monde a raison qu'il se pourrait donc que l'auteur de cet autre projet, même en ayant raison, eût tort contre tout le monde, puisque, sans l'assentiment de l'opinion publique, le plus grand talent ne saurait triompher des circonstances Et moi aussi

je ne crois pas les moyens de M. Necker les meilleurs possibles; mais le ciel me préserve, dans une situation si critique, d'opposer les miens aux siens. Vainement je les tiendrais pour préférables; on ne rivalise pas, en un instant, une popularité prodigieuse conquise par des services éclatants, une longue expérience, la réputation du premier talent de financier connu, et, s'il faut

tout dire, des hasards, une destinée telle qu'elle n'échut en partage à aucun autre mortel.

Il faut donc en revenir au plan de M. Necker.

Mais avons-nous le temps de l'examiner, de sonder ses bases, de vérifier ses calculs? . . . . Non, non, mille fois non. D'insignifiantes questions, des conjectures hasardées, des tâtonnements infidèles: voilà tout ce qui, dans ce moment, est en notre pouvoir. Qu'allons-nous donc faire par le renvoi de la délibération? Manquer le moment décisif, acharner notre amour-propre à changer quelque chose à un ensemble que nous n'avons pas même conçu, et diminuer par notre intervention indiscrète l'influence d'un ministre dont le crédit financier est et doit être plus grand que le nôtre. Messieurs, certainement il n'y a là ni sagesse, prévoyance

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Mais, du moins, y a-t-il de la bonne foi? Oh! si des déclarations moins solennelles ne garantissaient pas notre respect pour la foi publique, notre horreur pour l'infàme mot de banqueroute, j'oserais scruter les motifs secrets, et peutêtre, hélas! ignorés de nous-mêmes, qui nous font si imprudemment reculer au moment de proclamer l'acte d'un grand dévouement, certainement inefficace s'il n'est pas rapide et vraiment abandonné. Je dirais à ceux qui se familiarisent peut-être avec l'idée de manquer aux engagements publics, par la crainte de l'excès des sacrifices, par la terreur de l'impôt .... Qu'est-ce donc que la banqueroute, si ce n'est le plus cruel, le plus inique, le plus inégal, le plus désastreux des impôts? . Mes amis, écoutez un mot, un seul mot.

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Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir; il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien! voici la liste des propriétaires français; choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens. Mais choisissez; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple? Allons. Ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans le royaume. Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes, précipitez-les dans l'abîme, il va se fermer . . . . Vous reculez d'horreur Hommes inconséquents! Hommes pusillanimes! Eh! ne voyez-vous donc pas qu'en décrétant la banqueroute, ou, ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel, et, chose incon

cevable! gratuitement criminel? Car enfin cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'aurez pas payé, que vous ne devrez plus rien. Croyez-vous que les milliers, les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contre-coups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de la sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime?

Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France; impassibles égoïstes qui pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront comme tant d'autres, et d'autant plus rapidement qu'elles seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d'hommes sans pain vous laisseront savourer les mets dont vous n'aurez voulu diminuer ni le nombre ni la délicatesse . . . . Non, vous périrez, et dans la conflagration universelle que vous ne frémissez pas d'allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouissances.

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Voilà où nous marchons J'entends parler de patriotisme, d'élans du patriotisme, d'invocations au patriotisme. Ah! ne prostituez pas ces mots de patrie et de patriotisme. Il est donc bien magnanime l'effort de donner une portion de son revenu pour sauver tout ce que l'on possède! Eh! messieurs, ce n'est là que de la simple arithmétique, et celui qui hésitera ne peut désarmer l'indignation que par le mépris que doit inspirer sa stupidité. Oui, messieurs, c'est la prudence la plus ordinaire, la sagesse la plus triviale, c'est votre intérêt le plus grossier que j'invoque. Je ne vous dis plus, comme autrefois : donnerez-vous les premiers aux nations le spectacle d'un peuple assemblé pour manquer à la foi publique? Je ne vous dis plus: eh! quels titres avez-vous à la liberté, quels moyens vous resteront pour la maintenir, si dès votre premier pas vous surpassez les turpitudes des gouvernements les plus corrompus? si le besoin de votre concours et, de votre surveillance n'est pas le garant de votre constitution? . . . Je vous dis: vous serez tous entraînés dans la ruine universelle, et les premiers intéressés au sacrifice que le gouvernement vous demande, c'est vous-mêmes.

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Votez donc ce subside extraordinaire, qui puisse-t-il être suffisant! Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les moyens (doutes vagues et non éclaircis), vous n'en avez pas sur sa nécessité et sur notre impuissance à le remplacer, immédiate

ment du moins. Votez-le, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps; le malheur n'en accorde jamais.... Eh! messieurs, à propos d'une ridicule motion du Palais-Royal, d'une risible insurrection qui n'eut jamais d'importance que dans les imaginations faibles, ou (dans) les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés: Catilina est aux portes de Rome, et l'on délibère ! Et certes il n'y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome. Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là; elle menace de vous consumer, vous, vos propriétés, votre honneur délibérez !

. . et vous

«Non, l'on ne délibéra plus: des cris d'enthousiasme attestèrent la victoire de l'orateur, et la France vit aussi dans son sein ces grands triomphes de l'éloquence publique, ces grandes scènes nationales, qui, dans l'histoire des anciens, nous semblaient des prodiges d'un autre monde, faits pour ne jamais appartenir au nôtre. Ceux qui les ont étudiés ne retrouvent-ils pas ici le talent des Cicéron et des Démosthène, mais plus particulièrement encore la manière de ce dernier; cette accumulation graduée de moyens, de preuves et d'effets, cet art de s'insinuer d'abord dans l'esprit des auditeurs en captivant l'attention, de la redoubler par des suspensions ménagées, de la frapper par de violentes secousses? Mirabeau procède ici comme les grands maîtres; il fait briller d'abord la lumière du raisonnement; il subjugue la pensée; il fouille ensuite plus avant, et va remuer les passions secrètes jusqu'au fond de l'âme, l'intérêt, la crainte, l'espérance, l'amour-propre; il frappe partout; et quand il se sent enfin le plus fort, voyez alors comme il parle de haut, comme il mêle l'ironie à l'indignation, comme, en récapitulant les motifs, il porte les derniers coups.>> LA HARPE.

DISCOURS SUR LES MASSACRES
DE SEPTEMBRE 1792;

PAR VERGNIAUD1.

LA Commission extraordinaire et le comité de surveillance se sont déjà concertés; mais il y a un grand nombre de pièces à examiner. Le rapport ne pourra être fait que demain, peut-être même à la séance du soir, et il importe de ne pas retarder les

4) Le plus célèbre orateur de la Convention.

Ils

précautions. S'il n'y avait que le peuple à craindre, je dirais qu'il y a tout à espérer; car le peuple est juste, et il abhorre le crime. Mais il y a ici des satellites de Coblentz; il y a des scélérats soudoyés pour semer la discorde, répandre la consternation et nous précipiter dans l'anarchie. Ils ont frémi du serment que les citoyens ont prêté de protéger de toutes leurs forces la sûreté des personnes, les propriétés, et l'exécution de la loi; de la fédération qu'ils ont formée pour donner de l'efficacité à leur serment. ont dit on veut faire cesser les proscriptions, on veut nous arracher nos victimes; on ne veut pas que nous puissions les assassiner dans les bras de leurs femmes et de leurs enfants. Eh bien! ayons recours aux mandats d'arrêt. Dénonçons, arrêtons, entassons dans les cachots ceux que nous voulons perdre. Nous agiterons ensuite le peuple, nous lâcherons nos sicaires; et dans les prisons nous établirons une boucherie de chair humaine, où nous pourrons à notre gré nous désaltérer de sang. Et savez-vous, citoyens, comment disposent de la liberté des citoyens ces hommes qui s'imaginent qu'on a fait la révolution pour eux qui croient follement qu'on a envoyé Louis XVI au Temple pour les intrôner eux-mêmes aux Tuileries? Savez-vous comment sont décernés les mandats d'arrêt? La commune de Paris s'en repose à cet égard sur son comité de surveillance. Ce comité de surveillance, par un abus de tous les principes, ou une confiance bien folle, donne à des individus le terrible droit de faire arrêter ceux qui leur paraitront suspects. Ceux-ci le subdélèguent encore à d'autres affidés dont il faut bien seconder les vengeances, si l'on veut en être secondé soi-même. Voilà de quelle étrange série dépendent la liberté et la vie des citoyens; voilà entre quelles mains repose la sûreté publique! Les Parisiens aveuglés osent se dire libres ! Ah! ils ne sont plus esclaves, il est vrai, des tyrans couronnés, mais ils le sont des hommes les plus vils, des plus détestables scélérats. Ils est temps de briser ces chaînes honteuses, d'écraser cette nouvelle tyrannie; il est temps que ceux qui ont fait trembler les hommes de bien, tremblent à leur tour. Je n'ignore pas qu'ils ont des poignards à leurs ordres. Eh! dans la nuit du 2 septembre, dans cette nuit de proscription, n'a-t-on pas voulu les diriger contre plusieurs députés, et contre moi! Ne nous a-t-on pas dénoncés au peuple comme des traîtres! Heureusement c'était en effet le peuple qui était là; les assassins étaient occupés ailleurs. La voix de la calomnie ne produisit aucun effet, et la

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