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couleur de chacune des feuilles d'arbre qui se trouvent dans une vaste forêt.

Non, que pour avoir une intelligence parfaite de la nature, il ne fallût en saisir d'une vue toutes les propriétés et chaque propriété, tous les phénomènes et chaque phénomène, jusque dans leurs moindres accidens; connaître ce que tous les êtres sont en eux-mêmes, et dans leurs innombrables rapports; embrasser l'immensité des espaces, et atteindre jusqu'à l'infiniment petit. Cette science n'est pas celle de l'homme; c'est la science de Dieu : lui seul voit les choses telles qu'elles sont, parce qu'il les voit telles qu'il les a faites.

Mais nous, dont l'intelligence n'est que bornes, renonçons au vain espoir de connaître ce qui n'a pas de bornes; et cependant glorifions-nous de ce que nous a inspiré le sentiment même de notre faiblesse, pour lui faire produire les effets de la force.

Nous voulions savoir ce qui se passe en nous, dans toutes les circonstances où nous sentons, et nous n'avons pas tardé à nous apercevoir combien était chimérique un tel projet. L'impossibilité du succès, loin d'éteindre notre curiosité, n'a fait que l'enflammer : ne pouvant

saisir les choses une à une, nous les avons liées pour en former des faisceaux.

Les couleurs, les sons, les saveurs, les odeurs, les qualités tactiles, leurs variétés leurs nuances; cette multitude d'affections diverses a été considérée sous un point de vue commun à toutes, celui d'être transmises à l'âme par l'intermédiaire des sens : à l'instant, autour du mot sensation, qui a été choisi pour exprimer ce point de vue, sont venus se ranger des sentimens qui semblaient ne pouvoir se réunir, le froid, le chaud, le plaisir, la douleur, etc.

Nous avons de même écarté toutes les différences de nos autres manières de sentir; et en les considérant, les unes sous le point de vue unique qu'elles sont produites par l'action des facultés de l'âme, les autres sous le point de vue qu'elles naissent de la présence simultanée des idées, les autres enfin, sous le point de vue que leur cause est douée d'intelligence et de volonté, ce procédé si simple, si naturel, nous a suffi pour atteindre par la pensée à la totalité des phénomènes de la sensibilité, pour en parler, et pour en raisonner. Dans le sentiment-sensation, le sentiment de l'action de l'âme, le sentiment moral, et le sentiment des

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rapports, nous avons eu quatre idées élémentaires, quatre expressions élémentaires. Il n'en a pas fallu davantage pour établir notre théorie.

Les idées élémentaires dont se composent les sciences ne représentent donc pas, vous le voyez, des êtres individuels et complets, des réalités existantes à part; elles ne représentent que des choses qui existent dans d'autres choses, que des êtres incomplets, et des portions d'individus, si l'on peut le dire. Ce ne sont pas des idées totales, produites par la réunion de toutes les qualités d'un seul objet individuel, qu'elles représentent dans son intégrité; ce sont des idées partielles, qui, nous venant d'un grand nombre d'individus, et étant communes à tous, en expriment des points de vue communs. Mais, quoique partielles, ces idées sont prises dans la nature, de même que les idées totales. Si elles n'avaient pas leur modèle dans les êtres individuels, elles ne s'appliqueraient à rien, et les sciences ne seraient longues suites de tableaux fantastiques.

que

de

Deux conditions sont donc également indispensables pour la création des sciences. La faiblesse de notre esprit nous impose la nécessité d'abandonner les individus, pour n'en

conserver que quelques points de vue; et il faut que ces points de vue représentent des qualités existantes dans les individus. Sans la première de ces conditions, les sciences n'existeraient pas pour l'homme; sans la seconde, il ne pourrait créer que des chimères.

Les individus, les réalités, les faits, le sentiment et les divers sentimens, l'expérience, en un mot, voilà, non pas les sciences, mais les fondemens des sciences, les bases qui leur servent d'appui. Par un travail assidu, avezvous assuré ces fondemens, consolidé ces bases? il est temps de vous élever; tout est prêt pour le raisonnement, pour les méthodes, pour la philosophie.

La philosophie suppose l'expérience; elle est fondée sur l'expérience il ne faut jamais l'oublier; mais, en même temps, il faut bien se garder de la confondre avec l'expérience. Il y a une physique expérimentale, une médecine expérimentale; il y a, si l'on veut, une -psycologie expérimentale il n'y a pas de philosophie expérimentale, de raisonnement expérimental. C'est fausser la langue que d'associer des choses aussi disparates : le raisonnement part de l'observation, il n'est pas l'observation.

Malgré tout ce que j'ai dit dans cette leçon et dans la précédente, j'ai bien peur qu'on ne conserve encore quelque doute sur la différence que nous avons établie entre les quatre manières de sentir. Mais non, messieurs, et j'ai tort de manifester des craintes, quand j'ai le désir secret de vous voir me refuser votre assentiment. Résistez donc tant que vous pourrez; prenez l'offensive, si vous croyez qu'elle puisse vous donner de l'avantage; soyez victorieux ; je ne devrai pas me plaindre, car vous me redresserez, en me renversant. Je ne fais pas un jeu de mots, et je dois m'expliquer.

La perfection d'un système consiste dans l'homogénéité de ses parties; il faut qu'en descendant du principe à tout ce qui en dérive, on retrouve toujours ce principe, modifié sans doute, mais non pas dénaturé; car, dès ce moment, on serait placé dans un autre ordre de choses; la loi de continuité serait violée, et le système aurait perdu son unité.

Le système des facultés de l'âme est un et homogène (t. 1. leç. 4 et 14.) : le principe de ce système se retrouve partout. Dans toutes, et dans chacune des facultés dérivées, la faculté génératrice se montre d'une manière sensible. On voit l'attention dans la comparaison, dans

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