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Les idées des facultés de l'âme ont leur origine dans le sentiment de l'action de ces facultés, et leur cause aussi dans l'attention.

Les idées de rapport ont leur origine dans le sentiment de rapport, et leur cause dans l'attention et la comparaison.

Les idées morales ont leur origine dans le sentiment-moral, et leur cause, et leur cause, ou dans l'attention, ou dans la comparaison, ou dans le raisonnement, ou dans l'action réunie de ces facultés.

Il faut donc se rendre à cette conclusion : qu'il existe quatre origines, et trois causes, nos idées.

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Et nous ne devrons jamais l'oublier, lorsque, pour mettre plus de rapidité dans nos discours, nous dirons que toutes les idées ont leur origine dans le sentiment, et leur cause dans l'action des facultés de l'entendement.

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TROISIÈME LEÇON.

Les diverses origines de nos idées ne peuvent pas être ramenées à une seule origine. Réflexions sur la formation des sciences.

MONTESQUIEU a écrit un Traité sur le goût. Voulant se rendre raison des idées du beau et du plaisir qu'excitent en nous les ouvrages d'esprit et les productions des beaux-arts, il ne va pas avec Platon en chercher les modèles dans un monde d'essences absolues et immuables. Ces explications, si admirées des anciens, lui paraissent insoutenables et fondées sur une philosophie fausse. Il sent; et son génie, qui toujours le porte vers les origines des choses, l'assure que les sources du noble, du grand, du sublime, du naïf, du délicat, du gracieux, sont dans le sentiment même; non dans le sentiment-sensation, non dans les plaisirs de l'âme qui résultent de son union avec le corps; mais dans les sentimens ou plaisirs qu'elle tire du fonds de son existence, dans le sentiment de sa grandeur, de ses perfections, dans le

plaisir de comparer, dans celui d'embrasser tout d'une vue générale.

Qu'on est heureux, messieurs, de trouver quelque rapport entre ses pensées et les pensées de Montesquieu ! Le plaisir de comparer, n'est-ce pas le sentimeut qui naît de l'exercice d'une faculté de l'âme ? Le plaisir d'embrasser tout d'une vue générale, ne se confond-il pas avec le sentiment des rapports? Et croyez-vous que ce soit faire violence à la langue que de voir le sentiment - moral dans le plaisir que goûte l'âme à s'occuper de sa grandeur et de ses perfections?

Les diverses manières dont peut être affectée la sensibilité humaine n'avaient donc pas échappé au regard pénétrant de Montesquieu. Relisez l'Essai sur le goût. Si, à la première lecture, vous n'aviez pas remarqué d'abord quelque chose de conforme à ce que je vous enseigne; à la seconde, j'en suis sûr, vous découvrirez, quoique cachée par la différence des expressions, une analogie suffisante pour donner à notre théorie l'appui d'un grand nom.

Je voudrais pouvoir appeler à mon secours quelque autre grande autorité; mais je n'en trouve point parmi les philosophes. La question de l'origine des idées ayant été, dans tous les

temps, ramenée à cette alternative, ou qu'elles sont innées, ou qu'elles viennent des sens, l'esprit ne savait se porter que sur la seule manière de sentir, produite par le mouvement des organes. Uniquement et exclusivement frappés de l'opposition des principes dont ils faisaient dériver les connaissances, les partisans de Platon et de Descartes, ceux d'Aristote et de Locke, ont à peine songé à examiner ces principes en eux-mêmes. Et peut-être pourraiton, sans trop de témérité, se hasarder à croire qu'ils n'ont jamais parfaitement su, ni ce que c'est que les idées innées, puisque chacun les a interprétées à sa manière (leç. 8), ni ce que c'est que sentir, puisque, sous ce mot, ils n'ont vu que de simples sensations.

Il est vrai qu'on a parlé quelquefois d'un sens moral; et il était difficile, en effet, de ne pas apercevoir combien il y a loin des affections que nous font éprouver les objets purement matériels, aux affections qui naissent de l'image de la vertu opprimée ou du crime triomphant.

Mais ce sens moral, ou plutôt ce sentiment moral, ajouté au sentiment-sensation, ne suffisait pas pour faire connaître tous les phénomènes de l'intelligence. Les phénomènes qui tiennent au sentiment de l'action des facultés

de l'âme, ceux qui dérivent du sentiment des rapports, devaient nécessairement se refuser à toute explication satisfaisante, puisqu'on n'avait pas remarqué les deux manières de sentir, qui seules pouvaient en rendre raison.

La plupart des philosophes, en traitant de l'origine des idées, ont donc commis la même faute capitale qu'en traitant des facultés auxquelles nous devons les idées. Comme ils s'étaient contentés de la notion vague d'entendement, sans se rendre compte des diverses manières dont il agit (t. 1, leç. 14), de même ils se sont contentés de la notion plus vague encore de sensibilité, sans se rendre compte des diverses manières dont nous sentons. N'étant jamais remontés, ni à l'origine des puissances de l'esprit, ni aux véritables principes des connaissances, ils en ont ignoré les élémens ; et leur science s'est trouvée chimérique et fausse.

La nature nous a doués de quatre manières de sentir, pour nous ouvrir quatre sources de connaissances. Nous connaissons les qualités des corps; nous connaissons les facultés de l'âme; nous savons en quoi consiste la moralité de nos actions; nous connaissons enfin des rapports de toute espèce. Toutes ces connais

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