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Rien, si son âme est passive; tous les trésors de l'intelligence, si elle est active.

Semblable aux corps inanimés, dont la première loi est de persévérer à jamais dans leur état actuel, à moins qu'une force étrangère ne vienne le changer, une âme purement passive. conserverait invariables, et pendant toute la durée de son existence, les modifications qu'elle aurait une fois reçues. Et, puisqu'il est vrai que le moment présent, celui qui fuit, et celui qui va suivre, nous trouvent toujours différens de nous-mêmes, il faut qu'il existe une force, dont l'énergie surmonte l'inertie des sensations. Mais au lieu la force qui fait passer les que corps du mouvement au repos, ou du repos au mouvement, leur vient du dehors; celle qui donne la vie aux sensations, qui les agite, qui les réprime, vient de l'âme elle-même, et fait partie de son essence.

Que serait une àme réduite à la simple capacité d'être passivement affectée? Accablée d'une foule d'impressions qui se cumuleraient sans cesse, pour se perdre sans cesse dans un sentiment confus, où rien ne serait démêlé; heureuse sans connaître sa félicité, ou malheureuse sans aucune espérance de voir un terme à ses maux, sans pouvoir même en former le désir,

sa condition la placerait au-dessous de tout ce qui a reçu le don de la vie, au-dessous de l'être qui l'a reçue au moindre degré.

Telle n'est pas l'âme qu'un souffle divin inspira dans l'homme. Appelée à connaître l'univers et l'auteur de l'univers, à jouir de la nature et d'elle-même, elle a tous les moyens d'entrer en possession de si grands biens, toutes les facultés nécessaires pour remplir sa destinée.

Nous les connaissons ces moyens, nous avons fait une étude de ces facultés, nous en avons exposé le système(t. 1, lec. 4.); et, après les puissantes considérations que nous avons présentées tant de fois, et sous tant de formes; après les preuves multipliées que nous avons demandées à l'expérience, ou que nous avons fait sortir du raisonnement; après des démonstrations que les attaques ont toujours fortifiées, et dont rien n'a pu obscurcir l'évidence, nous avons sans doute le droit de le prononcer : l'âme n'est pas bornée à une simple capacité de sentir : elle est douée d'une activité originelle inhérente à sa nature : elle est un principe d'action, une force innée; et, en faisant un nouvel emprunt à la langue latine, mens est vis sui motrix. L'àme est une force qui se meut, c'est-à-dire, qui se modifie elle-même.

L'âme ne peut donc pas sentir et demeurer oisive; car le sentiment, par la manière agréable ou pénible dont il l'affecte, provoque nécessairement son action. Elle ne peut pas recevoir indifféremment des modifications qui font son bien ou son mal; elle est intéressée à les étudier pour les connaître, pour se soustraire aux unes, pour se livrer aux autres; et, afin de le dire avec plus d'énergie: l'âme active pénètre dans l'âme passive, pour porter le mouvement au sein du repos, l'ordre au sein de la confusion, la lumière au sein des ténèbres.

Or, l'activité se concentrant d'abord toute entière dans l'attention, il ne se peut pas qu'elle ne concentre en même temps la sensibilité. Alors, du milieu des sensations, dont l'assemblage désordonné présentait l'image du chaos, s'élève une sensation unique qui domine sur toutes les autres. L'âme la remarque, elle l'étudie, elle apprend à la connaître et à la reconnaître. Ce n'est plus une simple sensation qui l'affecte, c'est une idée qui l'éclaire. Un second acte d'attention va faire naître une seconde idée; un troisième, une autre encore ; et l'intelligence, ou plutôt cette portion de l'intelligence qui tient aux sensations, ira toujours croissant, tant que la source des sensations

ne sera pas tarie, tant que les forces de l'esprit ne seront pas épuisées.

Ajoutons de nouvelles lumières; disons comment, dans le principe, l'âme exerce son activité.

L'attention, pour produire tous ses effets, a besoin aujourd'hui du recueillement, de la solitude, du silence des sens, et souvent même de l'absence des objets dont elle s'occupe. Mais dans les commencemens de la vie, où aucun souvenir n'existe, l'attention ne peut agir que sur des sensations actuelles, et par la direction des organes, sur les objets auxquels nous les devons.

Parmi les sensations que reçoit l'enfant, parmi les couleurs qu'il voit, il y en a qui appellent, en quelque sorte, le regard, qui l'attirent. Il y en a aussi sur lesquelles ses yeux se trouvent dirigés fortuitement. L'enfant se sent regardant, avant d'avoir eu l'intention de regarder. Il ne tardera pas à sentir qu'il peut regarder volontairement; il sentira aussi la différence du regard à la simple vue : car l'enfant qui veut voir sa mère, ne la voit pas si elle est absente; il ne la voit pas dans les ténèbres : au lieu que, lorsqu'elle est devant ses yeux, il la regarde, s'il veut la regarder. L'enfant dis

pose de lui-même pour regarder; il ne dispose pas de l'objet pour voir. Sans doute il ne fait pas explicitement, entre regarder et voir, ces distinctions qui ont échappé à tant de philosophes; mais il est impossible qu'il ne sente pas confusément qu'il n'a que la simple capacité de voir, et qu'il a le pouvoir de regarder, puisque l'expérience ne cesse de le lui dire.

Dès que l'enfant se sent un tel pouvoir, il donne, ou il peut donner son attention à tous les objets qui sont à sa portée. Il donne son attention par les yeux, et les couleurs se séparent, non-seulement des sensations qui lui viennent par les autres sens; elles se séparent entre elles. Il donne son attention par l'oreille, et il apprend à distinguer un bruit d'un autre bruit, à démêler plusieurs sons dans un son qui, d'abord, paraissait unique. Il donne son attention par le toucher; et il se fait des idées des formes, des figures, du poli, du raboteux, du froid, du chaud, etc.

C'est ainsi qu'après avoir d'abord dirigé, appliqué les organes à son insu, il les dirige et les applique volontairement sur toutes les qualités des corps. C'est ainsi qu'il parvient à éprouver des sensations distinctes, et qu'il acquiert des idées sensibles.

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