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privé de sentiment, et doué d'intelligence? Si ceux qui appuient leur philosophie sur le sentiment, qu'il ne fallait ne fallait pas toujours appeler du nom de sensation, et sur la sensibilité, qu'il n'aurait jamais fallu appeler faculté de sentir (t. 1, lec. 4 et 14), s'étaient mieux étudiés avant de faire la langue, on aurait vu la vérité passer comme d'elle-même, de la nature dans leurs expressions, et de leurs expressions dans tous les esprits.

Observons-nous avec plus de soin qu'on ne l'a fait, dans les différentes circonstances où nous disons que nous sentons; peut-être reconnaîtrons-nous qu'il y a des manières de sentir qui n'ont presque rien de commun avec d'autres manières de sentir; que, pour avoir négligé des distinctions nécessaires, on a raisonné avant de s'être fait des idées ; que, d'un côté, les explications ne pouvaient jamais être satisfaisantes, et que, de l'autre, les attaques ont toujours été mal dirigées, parce que, au lieu de porter sur le fond des choses, elles ne portaient que sur de fausses interprétations. On croyait renverser des expériences, quand on ébranlait des argu

mens.

Les observations que je vais indiquer, chacun pourra les vérifier sur soi-même. Si elles sont

d'accord avec ce que vous avez éprouvé, avec ce que vous éprouvez tous les jours, nous les noterons; et nous aurons autant de notes ou de mots, que nous aurons fait d'observations. Alors, il nous sera permis de faire entrer ces mots dans nos discours, sans craindre que la clarté nous abandonne un seul instant; car nous aurons la certitude de dire quelque chose de bien connu, toutes les fois que nous les prononcerons; et, par conséquent, la certitude de nous entendre, lorsque nous les emploîrons pour nous-mêmes; et celle encore d'être entendus, lorsque nous nous en servirons avec ceux qui auront fait, ou qui voudront faire les mêmes observations que nous.

En examinant attentivement les diverses affections comprises sous le mot sentir, on ne tardera pas à s'apercevoir que plusieurs de ces affections diffèrent à un tel point les unes des autres, qu'on dirait qu'elles sont d'une nature contraire.

En les examinant plus attentivement encore, on parviendra à les compter, et l'on s'assurera qu'elles sont au nombre de quatre.

Observons d'abord la première, la seule que, d'ordinaire, admettent les philosophes

1o. Lorsqu'un objet agit sur nos sens, le

mouvement reçu se communique au cerveau ; et, aussitôt, à la suite de ce mouvement du cerveau, l'âme sent, l'âme sent, elle éprouve un sentiment. L'âme sent par la vue, par l'ouïe, par l'odorat, par le goût et par le toucher, toutes les fois que l'action des objets remue les organes.

Or, cette première manière de sentir doit être considérée sous deux points de vue. Les cinq subdivisions que nous venons d'y remarquer ont chacune un caractère qui leur appartient en propre; et toutes ont de commun, qu'en même temps qu'elles avertissent l'âme de leur présence; elles l'avertissent aussi de son existence.

Sous le premier point de vue, elles different les unes des autres autant que de tout ce qu'on pourrait imaginer. Aucune analogie ne conduira jamais d'un son à une odeur, ni d'une odeur à une couleur ; et rien ne serait plus chimérique que de vouloir se représenter des odeurs sonores, ou des sons odoriférans, des couleurs savoureuses, ou des saveurs colorées. L'expérience, d'ailleurs, apprend assez que celui qui manque d'un sens n'a jamais éprouvé les sentimens analogués à ce sens. Aussi, les a-t-on désignés par cinq noms particuliers, son, saveur, odeur, couleur, toucher.

Mais comme, d'un autre côté, ces cinq espèces de modifications sont toutes senties par l'âme, et que l'âme, lorsqu'elle les éprouve, ne peut pas ne pas se sentir elle-même (t. 1, p. 221), si nous prenons ces modifications par ce qu'elles ont ainsi de commun, savoir d'affecter l'âme, et de lui donner le sentiment de sa propre existence, alors un seul nom devra nous suffire; car on ne multiplie les signes, que pour marquer les différences; et, afin d'exprimer que dans tous, et dans chacun des sentimens qui nous viennent par cinq sens différens, l'âme reconnaît toujours une même chose, le soi, le moi, nous dirons qu'elle a conscience d'elle-même. Par la conscience, l'âme sait, ou sent qu'elle est, et comment elle est. Mens est suí conscia, comme dit le latin, plus heureusement que le français.

Ce sentiment du moi se trouve nécessairement dans toutes les affections de l'âme, dans toutes ses manières de sentir; et nous n'aurions pas fait ici l'observation expresse qu'il est inséparable de la première de ces manières de sentir, si les philosophes ne semblaient l'avoir trop souvent oublié. Vous en verrez un exemple remarquable dans une des leçons suivantes (lec. 5).

Les cinq espèces de modifications, ou les cinq espèces de sentimens dont nous venons de parler, n'ayant lieu qu'à la suite de quelque impression faite sur les sens, nous les appellerons sentimens – sensations, ou plus brièvement, sensations (1).

Ainsi, tout sentiment de l'âme produit par l'action des objets extérieurs sur quélque partie de notre corps, voilà la sensation; c'est la première manière de sentir que nous remarquons; et c'est de cette manière de sentir, que nous allons voir naître les premières idées.

Placé au milieu de la nature, et environné d'objets qui le frappent dans tout son être, l'homme reçoit à chaque instant, par son corps, une infinité d'impressions; et, par son âme, une infinité de sensations.

Que résultera-t-il de ces avertissemens continuels qui invitent l'homme, qui semblent même vouloir le forcer à prendre connaissance de tant d'affections diverses, et des causes qui les produisent.

(1) La signification de ce mot s'étend jusqu'aux affections qui proviennent des mouvemens opérés dans les parties intérieures du corps, sans l'intervention des objets extérieurs telles que la faim, la soif, etc.

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