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DEUXIÈME LEÇON.

Des origines et des causes de nos idées.

Il ne suffit pas d'avoir assisté, si l'on peut ainsi le dire, à la naissance de l'idée, d'avoir reconnu ce qu'elle est dans sa nature, et d'en avoir déterminé le caractère propre. Il faut que la détermination de ce caractère fournisse la réponse aux principales questions qu'on fait sur les idées. Il faut que, d'abord, elle nous montre leur origine, ou leurs diverses origines, et la cause, ou les causes qui les produisent.

Ici, plus que partout ailleurs, les dissentimens se manifestent avec force, et même avec une sorte de violence. Nulle part, on n'abonde avec autant de plénitude dans son opinion; nulle part les opinions différentes, ou jugées différentes de celles qu'on professe soi-même, ne sont repoussées avec autant de mépris et d'indignation. On ne voit dans ses adversaires que des partisans du matérialisme et de la fatalité, ou des enthousiastes aveugles qui s'égarent au milieu des rêves d'une imagination

délirante. Telles sont, en effet, les paroles dures et injurieuses que s'adressent les deux partis.

Des dispositions aussi ennemies feraient place à des sentimens plus modérés, si l'on pouvait, et si l'on voulait s'entendre. Mais l'inexactitude, souvent même l'opposition des langues qu'on s'obstine à parler, forment un obstacle qui empêche tout rapprochement. Le mal paraît donc sans remède; et il le sera, tant qu'on ne se pénétrera pas de la nécessité de mettre une grande harmonie entre les mots et les choses; entre ce qu'on dit et ce qu'on veut, ou ce qu'on doit dire.

Puisque les philosophes ne s'entendent, ni entre eux, faute d'une langue commune, ni le plus souvent avec eux-mêmes, faute d'une langue bien faite; comment pourrions-nous les entendre? Comment, parmi tant d'idées. confuses, tant de notions incohérentes, que cependant on ose appeler du nom de système, et que nous ne comprenons pas, que personne ne comprend, pas même leurs auteurs; comment pourrions-nous faire un choix avoué par la raison?

Lorsqu'un langage se compose de mots dont la plupart n'ont que des significations indécises,

l'esprit ne peut être qu'indécis dans ses jugemens; et alors, ne sachant où se prendre, il se prend à tout ce qu'il rencontre. Erreur ou vérité, c'est l'aveugle hasard qui en décide.

Pour assurer nos recherches au milieu de tant d'incertitudes, pour nous faire jour à travers les ténèbres qui enveloppent la question des idées, nous nous appliquerons d'abord à éclairer une question qui se présente avant tout. Si nous pouvons faire tomber quelques rayons de lumière sur le sentiment, ils se réfléchiront bientôt sur les idées.

Quels scandales n'ont pas occasionés les mots sentir et sensation; et quelle défaveur n'a-t-on pas voulu jeter sur les écrivains qui paraissaient, ou qui paraissent encore en faire un usage trop fréquent Mais, si quelques esprits téméraires se sont attirés de justes reproches, en donnant à ces mots une extension à laquelle ils se refusent, ou en les transportant dans un ordre qui n'est pas leur ordre naturel, dans l'ordre physique; les philosophes les plus sages ont toujours pensé que c'est dans ce que ces mots expriment, qu'il faut chercher les vrais principes de la science. Ces principes pourraient-ils, en effet, se trouver ailleurs que dans ce que nous sentons? Et conçoit - on un être tout à la fois

privé de sentiment, et doué d'intelligence? Si ceux qui appuient leur philosophie sur le sentiment, qu'il ne fallait pas toujours appeler du nom de sensation, et sur la sensibilité, qu'il n'aurait jamais fallu appeler faculté de sentir (t. 1, lec. 4 et 14), s'étaient mieux étudiés avant de faire la langue, on aurait vu la vérité passer comme d'elle-même, de la nature dans leurs expressions, et de leurs expressions dans tous les esprits.

Observons-nous avec plus de soin qu'on ne l'a fait, dans les différentes circonstances où nous disons que nous sentons; peut-être reconnaîtrons-nous qu'il y a des manières de sentir qui n'ont presque rien de commun avec d'autres manières de sentir; que, pour avoir négligé des distinctions nécessaires, on a raisonné avant de s'être fait des idées ; que, d'un côté, les explications ne pouvaient jamais être satisfaisantes, et que, de l'autre, les attaques ont toujours été mal dirigées, parce que, au lieu de porter sur le fond des choses, elles ne portaient que sur de fausses interprétations. On croyait renverser des expériences, quand on ébranlait des argu

mens.

Les observations que je vais indiquer, chacun pourra les vérifier sur soi-même. Si elles sont

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raisonner sur les facultés de l'âme. Sans cette

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précaution, nous n'aurions pasola certitude d'être compris, parce que nous ne serions pas certains de nous comprendre nous-mêmes. Faire sa languet, c'est aller des idées ou des choses bien connues aux mots. Aller au contraire des mots aux choses, c'est supposer la langue toute faite.

919Aller des mots aux choses, c'est définir; et vous ne voulez pas que je commence un traité des idées par une définition de l'idée. Ce serait vouloir vous faire souvenir de ce que je me propose de vous apprendre.

J'aurais besoin de rappeler ici quelques-unes 'des considérations que je vous ai présentées -dans les leçons antérieures (t. 1, leç. 11, 12, 3); mais je cède à la crainte de paraître me répéter trop souvent.

Je ne poserai donc pas la question de quatre manières, comme je l'ai fait dans une circonstance semblable (t. 1, lec. 11.)

Qu'est-ce que l'idée?

Si Qu'entend-on par le mot idée?

Que doit-on entendre? +9Qu'entendrons-nous?

Vous savez que nous ne devons pas répondre maintenant à la première de ces questions; que

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