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Sujette à un changement continuel, pourraitelle ignorer long-temps la succession? Unie à un corps, pourrait-elle ne pas connaître l'étendue? Modifiée tour à tour par les affections de plaisir et de douleur qu'elle ne peut pas maîtriser à son gré, ne sera-t-elle pas avertie qu'il y a des causes et des effets? n'en sera-t-elle avertie par cela seul qu'elle est active?.... Tenons-nous pour le moment à ces indications; qu'il nous suffise aujourd'hui d'avoir essayé de faire connaître la nature de l'idée; d'avoir dit en quoi consiste l'idée; ou, si on l'aime mieux, d'avoir déterminé le sens du mot idée.

pas

Un être qui sentirait sans faire aucun retour sur lui-même, et sans jamais se rendre compte de ce qu'il sent, ne serait point destiné à jouir de la lumière de la raison. Il ignorerait tout, jusqu'à sa propre existence. Mais, si les sentimens viennent à se démêler, s'ils se dégagent les uns des autres; si l'être sentant, qui, avant tout est un être actif, peut se décomposer, en quelque sorte, lui-même; alors on verra l'intelligence croître, se fortifier et s'étendre chaque jour davantage. Des idées informes et mal démêlées par une première décomposition,

vont se décomposer encore, et faire naître de nouvelles idées, qui, par de nouvelles décompositions, feront naître à leur tour les merveilles des sciences et des arts, et ouvriront un nouvel univers.

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Il ne suffit pas d'avoir assisté, si l'on peut ainsi le dire, à la naissance de l'idée, d'avoir reconnu ce qu'elle est dans sa nature, et d'en avoir déterminé le caractère propre. Il faut que la détermination de ce caractère fournisse la répónse aux principales questions qu'on fait sur les idées. Il faut que, d'abord, elle nous montre leur origine, ou leurs diverses origines, et la cause, ou les causes qui les produisent.

Ici, plus que partout ailleurs, les dissentimens se manifestent avec force, et même avec une sorte de violence. Nulle part, on n'abonde avec autant de plénitude dans son opinion; nulle part les opinions différentes, ou jugées différentes de celles qu'on professe soi-même, ne sont repoussées avec autant de mépris et d'indignation. On ne voit dans ses adversaires que des partisans du matérialisme et de la fatalité, ou des enthousiastes aveugles qui s'égarent au milieu des rêves d'une imagination

délirante. Telles sont, en effet, les paroles dures et injurieuses que s'adressent les deux partis.

Des dispositions aussi ennemies feraient place à des sentimens plus modérés, si l'on pouvait, et si l'on voulait s'entendre. Mais l'inexactitude, souvent même l'opposition des langues qu'on s'obstine à parler, forment un obstacle qui empêche tout rapprochement. Le mal paraît donc sans remède; et il le sera, tant qu'on ne se pénétrera pas de la nécessité de mettre une grande harmonie entre les mots et les choses; entre ce qu'on dit et ce qu'on veut, ou ce qu'on doit dire.

Puisque les philosophes ne s'entendent, ni entre eux, faute d'une langue commune, ni le plus souvent avec eux-mêmes, faute d'une langue bien faite; comment pourrions-nous les entendre? Comment, parmi tant d'idées. confuses, tant de notions incohérentes, que cependant on ose appeler du nom de système, et que nous ne comprenons pas, que personne ne comprend, pas même leurs auteurs; comment pourrions-nous faire un choix avoué par la raison?

Lorsqu'un langage se compose de mots dont la plupart n'ont que des significations indécises,

l'esprit ne peut être qu'indécis dans ses jugemens; et alors, ne sachant où se prendre, il se prend à tout ce qu'il rencontre. Erreur ou vérité, c'est l'aveugle hasard qui en décide.

Pour assurer nos recherches au milieu de tant d'incertitudes, pour nous faire jour à travers les ténèbres qui enveloppent la question des idées, nous nous appliquerons d'abord à éclairer une question qui se présente avant tout. Si nous pouvons faire tomber quelques rayons dé lumière sur le sentiment, ils se réfléchiront bientôt sur les idées.

Quels scandales n'ont pas occasionés les mots sentir et sensation; et quelle défaveur n'a-t-on pas voulu jeter sur les écrivains qui paraissaient, ou qui paraissent encore en faire un usage trop fréquent! Mais, si quelques esprits téméraires se sont attirés de justes reproches, en donnant à ces mots une extension à laquelle ils se refusent, ou en les transportant dans un ordre qui n'est pas leur ordre naturel, dans l'ordre physique; les philosophes les plus sages ont toujours pensé que c'est dans ce que ces mots expriment, qu'il faut chercher les vrais principes de la science. Ces principes pourraient-ils, en effet, se trouver ailleurs que dans ce que nous sentons? Et conçoit - on un être tout à la fois

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