Page images
PDF
EPUB

idées, et quelques-unes, moins que des idées peut-être ?

J'ai déjà dit que je ne songeais, en ce moment, à prouver aucune existence. Je veux seulement faire une remarque sur la manière dont on pourrait traiter la question de l'existence de l'âme, et celle de l'existence des corps.

Ces deux questions, celle de l'existence des corps surtout, tant qu'elles ne seront pas autrement posées qu'on a coutume de le faire, présenteront toujours de grandes difficultés.

Il est singulier de voir la philosophie se mettre en frais, afin de prouver ce dont personne ne doute, l'existence du ciel et de la terre, celle des autres hommes, celle de notre propre corps; mais, dans tous les temps, il s'est trouvé des esprits qui ont exigé qu'on leur démontrât la réalité de chacune de ces choses.

Les hommes d'une opinion opposée n'ont pas manqué non plus; et, refuser la réalité aux corps a paru aussi extraordinaire que de l'accorder aux esprits.

La philosophie est donc ici obligée de combattre deux sortes d'adversaires : ceux qui, dans le monde entier, ne connaissent que des corps; et ceux qui ne veulent reconnaître que des esprits, ou même que leur seul esprit.

On ne voit ordinairement que deux questions à traiter dans ce procès de la raison contre les matérialistes qui nient les esprits, et contre les spiritualistes qui nient la matière. On peut y en voir quatre qui, bien présentées, et bien résolues, feraient cesser les mauvais raisonne

mens.

Observez que la question des corps est double; car il s'agit d'abord de faire voir comment nous en avons acquis l'idée, et ensuite de prouver que cette idée correspond à une réalité placée hors de notre esprit; il s'agit de démontrer l'existence des corps, après avoir expliqué la formation de l'idée des corps.

Mais à qui a-t-on besoin de démontrer l'existence des corps? A ceux qui la nient, à ceux qui ne reconnaissent d'autre existence que celle des esprits.

A qui a-t-on besoin de démontrer l'existence des esprits? A ceux qui n'admettent d'autre existence celle des corps.

que

Et s'il se trouvait des sceptiques assez intrépides, ou plutôt assez fous, pour nous dire : Nous ne croyons ni à l'existence des esprits, ni à celle des corps, serions-nous réduits à les prendre en pitié ? nous serait-il impossible de les détromper?

Il est donc nécessaire de résoudre quatre questions pour satisfaire la curiosité inquiète de l'homme, et de faire voir

:

1o. Comment nous avons acquis l'idée des corps : première question pleine d'interêt, quelque opinion qu'on ait sur la réalité des

corps.

2°. Que nous avons une âme spirituelle, s'il est vrai que nous ayons un corps: seconde question contre les matérialistes qui nient l'âme.

5°. Que nous avons un corps, et qu'il existe d'autres corps, s'il est vrai que nous ayons une âme spirituelle: troisième question contre les spiritualistes qui nient les corps.

4°. Que le sentiment démontre d'abord l'existence de notre âme, et, par l'existence de notre âme, celle de notre corps et des corps étrangers : quatrième question contre ceux qui nient tout, et la réalité des esprits, et la réalité des corps.

Que voudrait-on de plus? Des preuves, direz-vous peut-être. Vous oubliez que nous ne donnons pas la solution du second problème : nous nous bornons à indiquer la manière d'en traiter les différentes parties.

Mais je m'aperçois que d'indication en indication, cette séance pourrait se prolonger à

l'excès. Qu'il nous suffise d'avoir établi que nos connaissances remontent toujours à quelque sentiment : c'est de là qu'elles partent toutes : ceux qui les cherchent ailleurs ne les trouveront pas.

On n'en trouvera que la moindre partie, si on les cherche dans les seules sensations. Les idées intellectuelles et les idées morales tiennent, vous le savez, à d'autres manières de sentir.

Regardez autour de vous; comparez entre eux les hommes avec lesquels vous vivez; observez quels sont leurs goûts, leurs penchans; quel genre d'idées leur offre le plus d'attraits : tout vous dira combien la sensibilité varie; tout vous dira l'influence des diverses manières de sentir, sur les qualités, et sur les habitudes de l'esprit.

Chez plusieurs, chez un trop grand nombre, dominent les sensations; quelques-uns sont plus particulièrement affectés, ou par le sentiment de leur activité propre, ou par le sentiment des rapports, ou par le sentiment moral : les premiers ne connaissent, en quelque sorte, que la vie de leur corps; les autres, faits des plaisirs plus délicats, plus purs, vivent d'une vie intellectuelle, d'une vie morale.

TOME II.

30

pour

A ces différentes sensibilités, joignez le génie; et, dans ceux qui les auraient ainsi en partage, supposez à la fois le pouvoir de soutenir longtemps leur attention, un goût vif pour le rapprochement des idées, une grande force de raisonnement : l'intelligence, considérée dans ses rapports à la seule philosophie, vous étonnera par ses contrastes autant que par ses richesses. Vous aurez la philosophie d'Épicure et de Lucrèce; vous aurez celle d'Aristote et de Loc. ke; vous aurez celle de Pythagore, de Platon, de Mallebranche, et les prodiges des mathématiques; vous aurez enfin Épictète, Marc-Aurèle,

Fénélon.

Mais il est rare qu'une manière de sentir domine exclusivement; il est rare qu'un sentiment ne réveille pas les autres sentimens. On ne verra point un monument d'architecture • sans que le sentiment de quelque rapport ne se mêle à la sensation; et, si ce monument est destiné au culte que l'homme rend à la Divinité, s'il est l'asile du guerrier qui versa son sang pour la patrie, qui pourra se défendre d'un sentiment moral?

Comme les facultés de l'âme agissent à la fois, alors même qu'une seule semble absorber toute notre activité (t. 1, p. 374-75); ainsi, les ma

« PreviousContinue »