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science, suivant eux, bien plus élevée, plus sublime, plus transcendante, qu'ils appellent métaphysique générale. C'est l'ontologie ou la science de l'étre. C'est la philosophie première, la science première, la science des sciences, etc. Qu'enseigne donc cette ontologie? Que peutelle enseigner? Quoi! elle est la science de l'être, la science des existences; et elle ne parle, ni des corps qu'elle laisse à la physique, ni de l'âme, ni de Dieu! Elle se dit la science première, et elle se tait sur le sentiment! Mais laissons s'expliquer les métaphysiciens ontologistes.

Je ne remonterai pas jusqu'aux anciens scolastiques. Descartes, vers le milieu du dix-septième siècle, fit justice de leur science première. Ce n'est pas au dix-neuvième que nous la reproduirons. Je ne m'adresserai pas non plus à quelques ontologistes, ou scolastiques modernes, qui semblent vouloir renchérir sur les anciens; il vaut mieux écouter ceux qui ne sont ni trop loin, ni trop près de nous : voyons

que

ce que c'est leur science des sciences; quelles sont les idées dont ils la composent, quel ordre ils assignent à ces idées. Trois auteurs célèbres nous tiendront lieu de tous les autres.

Hobbes, dans sa philosophie première, traite

successivement de l'espace, du temps, du principe, de la fin, du fini, de l'infini, du corps, de l'accident, du plein, du vide, du contigu, du continu, du mouvement, du repos, de l'essence, de la forme, de la matière, de la cause, de l'effet, du nécessaire, du contingent, de la puissance, de l'acte, du même, du divers, de la relation, de la raison, du principe de l'individuation, de la quantité.

Volf, dans son ontologie: du principe de contradiction, du principe de la raison suffisante, de l'essence, de l'existence, du possible, de l'impossible, du déterminé, de l'indéterminé, de l'être, de l'identité, de la similitude, de l'être singulier, de l'être universel, du nécessaire, du contingent, de la quantité, de la quafité, de l'ordre, de la vérité, de l'être composé, de l'étendue, de la continuité, de l'espace, du temps, du mouvement, de l'être simple, des modifications simples, du fini, de l'infini, de la dépendance, des rapports, des causes, du signe.

:

S'gravesande, dans son ontologie de l'être, de l'essence, de la substance, du mode, des relations, du non-être, du néant, du possible, de l'impossible, du nécessaire, du contingent,

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de la durée, du temps, de l'identité, de la cause, de l'effet.

Voulez-vous encore un exemple, un exemple domestique? Je prends l'ontologie d'un cours de philosophie enseigné à l'université de Paris, et imprimé en 1750 : de l'être, des principes de la connaissance, des causes, de l'effet, de l'essence, de l'existence, de l'acte, de la puissance, de la nature, de l'entité, de l'individu, du principe indicatif et formel de l'individuation, de la subsistance, de la personnalité, des propriétés de l'être, de l'unité, de la bonté, des espèces de l'être, de la sub

stance.

Maintenant, comparez entre elles ces quatre tables de matières fidèlement copiées. Le choix des idées, leur nombre, leur disposition, tout ne vous semble-t-il pas comme jeté au hasard?

Et, si vous craignez la fatigue d'un trop long parallèle, arrêtez-vous aux deux titres qui se présentent les premiers.

L'un des auteurs commence par l'espace et le temps; l'autre par le principe de contradiction et le principe de la raison suffisante; le troisième, par l'être et l'essence; le quatrième, par l'être et les principes de la connais

sance.

Imaginez quatre traités d'arithmétique, dans lesquels on aurait bouleversé à plaisir la suite naturelle des règles et des théorèmes; que surtout on n'ait pas manqué de présenter d'abord les choses les plus disparates : en sorte que là, on débute par les logarithmes; ici, par les fractions; d'un autre côté, par la règle de trois; et enfin, , par la recherche du plus grand commun diviseur.

Voilà l'ontologie ou les ontologistes.

Lorsque nos idées ne sont pas disposées dans l'ordre qui les fait naître les unes des autres, il n'y a ni bonnes définitions, ni bonnes explications possibles (t. 1, lec. 13). Et, parce qu'il n'est que trop ordinaire de vouloir paraître savoir quand on ne sait pas, il arrive qu'on parle sans comprendre ses propres paroles; ou, si quelque adversaire incommode oblige à les définir, on fait entrer comme on peut, dans ses définitions, ce qu'on a l'intention de prouver. On élève des systèmes, qui ne reposent pas même sur l'imagination car ils échappent à l'imagination autant qu'à la raison et au bon sens. L'oreille est frappée; l'impression s'y ar rête, et rien n'arrive jusqu'à l'intelligence.

Comment l'ontologie, à la tête de la métaphysique, ne serait-elle pas un chaos? Com

men tpourrait-elle satisfaire une raison qui veut s'éclairer? Les connaissances qu'on lui demande tiennent à un problème qui ne peut être résolu qu'autant qu'on a donné la solution d'un problème antérieur : et l'on appelle l'ontologie, la science première, la philosophie première!

Mais le premier problème, celui qui a pour objet la manière dont se forme l'intelligence, étant une fois résolu, sera t-il possible d'ordonner enfin les idées ontologiques; puisque c'est ainsi qu'on veut les appeler? Pourra-t-on en faire un tout qui ait son commencement, son milieu, sa fin?

Je n'oserais l'assurer; je n'oserais, surtout, me flatter d'y réussir, et de ramener à un système régulier tant de choses, dont plusieurs semblent n'avoir entre elles aucun rapport.

Cependant, il serait possible de remédier jusqu'à un certain point, à l'excès du désordre. On peut se diriger vers le but, quoiqu'il soit difficile de l'atteindre. Il suffit d'une chose; mais elle est indispensable. Il faut bien se placer en commençant.

Et vous ne direz pas que c'est en cela que consiste la plus grande difficulté : elle n'est plus, cette difficulté, depuis que nous avons acquis la certitude que toutes les connaissances ont

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