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sénat, d'une armée, d'une forêt, d'une ville, d'un nombre; je ne ne dis pas de sénat, d'armée, etc. Ces dernières idées sont générales; elles expriment ce qu'il y a de commun entre les sénats de Rome, de Carthage, d'Athènes, de France, d'Angleterre, de Russie; entre les armées de Darius, d'Alexandre, de Charles XII; entre les forêts du Nord et celles du Midi, etc. : au lieu que l'idée d'un sénat est la répétition de l'idée de sénateur; l'idée d'une armée, la répétition de l'idée de soldat; l'idée d'une forêt, la répétition de l'idée d'arbre; l'idée d'une ville, la répétition de l'idée de maison; l'idée d'un nombre, la répétition de l'idée de l'unité.

On a donc cru que les idées générales étaient ainsi une répétition d'une même idée, une collection d'idées semblables; que l'idée générale blancheur s'obtenait en ajoutant la blancheur de la neige, à celle de l'ivoire, à celle du lait ; que l'idée générale de la figure humaine résultait de la réunion de la figure d'un enfant, d'un vieillard, d'un blanc, d'un nègre. Imaginez le singulier visage qu'on aurait avec l'idée générale de la figure humaine ainsi

conçue.

Il en est de l'idée générale figure humaine,

comme de l'idée générale homme. Cette idée homme ne représente ni enfant, ni vieillard, ni guerrier, ni magistrat, ni savant, ni ignorant ; elle ne représente rien de ce qui caractérise les individus ; elle se borne à nous faire connaître des qualités communes à tous les hommes. De même, l'idée générale figure humaine ne représente aucun caractère de beauté ou de laideur, de jeunesse ou de vieillesse; elle nous fait connaître les seuls traits qui distinguent la figure de l'homme de la figure de l'animal.

Avant de terminer ce que je me suis proposé de vous dire aujourd'hui sur les idées générales, je dois répondre à une question qu'on m'a faite. On veut savoir si l'idée de la vertu doit être comptée parmi les idées abstraites, ou parmi les idées générales, ou parmi les idées composées.

Qu'est-ce que la vertu?

La vertu, nous répond la vraie philosophie, est un désir constant de rendre toutes nos pensées, toutes nos actions, conformes aux lois divines et humaines.

Écrivons ces paroles en lettres d'or, et méditons-les jusqu'à ce que nous puissions nous les appliquer.

Gravons surtout en caractères d'or ces paroles plus belles, plus simples: la vertu consiste à aimer Dieu par-dessus tout, et le prochain comme nous-mêmes.

Sacrifiez vos intérêts à l'intérêt général, yous mériterez le nom de vertueux.

Vous serez vertueux si vous immolez vos passions à la raison.

Toutes ces définitions ont obtenu vos suffrages, parce que dans toutes vous avez reconnu le modèle de ce qu'il y a de meilleur dans la nature humaine.

Mais pourquoi quatre définitions d'une même chose? Gardez-vous de vous en plaindre; désirez plutôt qu'on les multiplie. Chacune montre la vertu sous de nouveaux points de vue; et, mieux nous la connaîtrons, plus nous aurons de motifs de l'aimer.

Rappelez ici ce que nous avons dit ailleurs, et plus d'une fois, combien est abusive la méthode qui, supposant aux mots une acception toujours la même, ne peut faire connaître les choses que d'une manière extrêmement imparfaite.

Il faut quelque discernement pour choisir, entre plusieurs définitions, celle qui convient le mieux au sujet que l'on traite. Si dans un dis

cours politique vous faisiez consister la vertu à aimer Dieu par-dessus tout; si dans un discours religieux vous la définissiez par la préférence de l'intérêt général à l'intérêt particulier, vous pourriez dire des choses très-vraies, mais très-déplacées. Parlez-vous sur la morale, sur cette partie de la morale qui cherche à relever la dignité de l'homme ? montrez-nous la vertu dans le triomphe de la raison sur les passions, etc.

Comme c'est au choix du terme propre qu'on distingue celui qui sait écrire ; c'est au choix de sa définition qu'on reconnaîtra celui qui sait raisonner.

Nous pouvons répondre maintenant à la question qu'on nous a adressée. L'idée de la vertu est-elle simple ou composée, abstraite ou concrète, générale ou individuelle ?

Elle est composée, puisqu'on peut la définir. Cette réponse suffirait; mais revenez à la première définition, et faites le compte des idées qu'elle renferme, désir, conformité, action pensée, loi, Dieu, homme.

Elle est abstraite, car vous l'avez séparée de plusieurs autres idées avec lesquelles elle était unie. Fénélon était un savant illustre ; il était archevêque, précepteur d'un prince, acadé

micien, etc. Mais quand vous vous souvenez qu'il disait: Je préfère le genre humain à ma patrie; ma patrie à ma famille; ma famille à moi-même : quand vous vous le représentez sacrifiant aux décisions de l'autorité ce que l'homme de génie a de plus cher, son opinion, sa pensée; alors, oubliant toutes ses autres qualités, il ne reste dans votre esprit que l'image de sa vertu.

L'idée de la vertu est générale; elle est trèsgénérale. Nul individu de notre espèce, heureusement pour l'humanité et pour les sociétés humaines, ne saurait avoir été toujours étranger à la vertu, ni en avoir effacé toutes les traces. Où est l'âme assez dégradée pour n'en rien conserver? Dans quel cœur sa flamme estelle éteinte au point de ne jamais laisser échapper quelque étincelle? Mais elle brille surtout dans les Socrate, les Marc-Aurèle, les Fénélon, les Vincent de Paule.

La philosophie n'offre pas de question plus féconde en résultats utiles, que celle des idées générales; aucune n'a un rapport plus direct à la conduite que nous devons tenir dans la recherche de la vérité. Comme les idées générales et les noms généraux, sont presque toujours une même chose pour notre esprit, et

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