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classes intermédiaires entre les individus et la classe la plus générale.

Ces classes sont subordonnées entre elles, et toutes, à la classe la plus générale homme, qui seule n'est pas subordonnée; mais vous allez voir qu'elle peut l'être à son tour.

Sortez de l'humanité; cherchez des termes de comparaison parmi les habitans de la terre, de l'air et des eaux, vous ne tarderez pas à vous apercevoir qu'entre un homme, un lion, un aigle et un dauphin, tout n'est pas différent. Le dauphin se meut d'un mouvement spontané, comme le lion, comme l'aigle, comme l'homme; comme eux, il cherche son aliment; il naît, croît, se fortifie, vieillit et meurt. De chacun des termes de la comparaison que nous venons d'établir, il nous vient donc une idée qui représente quelque chose de commun à tous les termes, une idée générale par conséquent. On a donné à cette idée le nom animalité.

Les idées générales, les classes générales homme, lion, aigle, dauphin, sont donc subordonnées à l'idée ou classe plus générale animal. L'homme est une espèce d'animal; l'homme est une espèce dont animal est le

genre.

L'idée générique animal deviendra à son tour une idée spécifique, si nous la subordonnons à une idée plus générale qu'elle ne l'est elle-même. Or, rien n'est plus facile. Je n'entrerai pas dans un détail fatigant pour faire voir que l'animal, c'est-à-dire, le corps organisé, vivant et animé, est une espèce de corps; le corps une espèce de substance; la substance une espèce d'étre, ou, ce qui revient au même, que la classe animal est subordonnéé à la classe corps; la classe corps à celle de substance; celle de substance enfin à celle d'être.

Ici nous sommes forcés de nous arrêter. Nous sommes arrivés à la classe la plus générale, au genre le plus élevé; ou, comme on s'exprime en termes de l'école, au genre suprême.

Maintenant, rapprochons ces différentes classes; et, pour n'être pas trop minutieux, négligeons-en la plus grande partie.

Parisien, Français, Européen, homme, animal, corps, substance, étre.

Souvenez-vous du point de vue qui a donné lieu à toutes ces classes; souvenez-vous qu'elles sont toutes relatives aux différens pays qu'habitent les hommes, à la place qu'ils occupent sur la surface du globe; et demandez-vous

laquelle de ces classes est la plus propre à vous faire connaître le lieu où se trouve un individu déterminé, Paul par exemple, que je suppose établi à Paris.

Il est évident que les classes étre, substance, corps, ne vous apprennent rien de relatif à la position de Paul sur notre planète; il ne l'est pas moins que si vous cherchez Paul dans la classe générale homme, vous userez inutilement la vie à parcourir la terre et les mers, les îles et les continens; que, si vous le cherchez dans la classe moins générale Européen, ou même dans la classe, encore moins générale, Français, vous ne serez guère plus heureux; et qu'enfin il vous deviendra possible, quoique assez difficile, de le rencontrer dans la classe la moins générale Parisien.

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De même, vous savez d'un homme qu'il est savant: jusque-là vous en êtes bien éloigné. On vous dit qu'il est poëte, vous en approchez un peu. On ajoute qu'il est poëte tragiqne vous en êtes plus près; que c'est un poëte tragique du siècle de Louis XIV, le champ de vos recherches s'est prodigieusement resserré; enfin, , que c'est un grand poëte tragique, vous n'avez plus qu'à choisir entre Corneille et Racine.

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Encore un exemple. L'idée générale, ou la classe générale sentiment, vous fait connaître, d'une manière bien imparfaite, l'intelligence de l'homme, ou plutôt, elle ne vous en donne aucune connaissance.

Divisez cette classe générale en quatre classes subordonnées, sentiment-sensation, sentiment des opérations de l'esprit, sentiment des rapports, sentiment moral: vous avez fait un grand pas, mais vous ne touchez point encore à l'intelligence.

Divisez chacun de ces quatre sentimens, en sentimens confus et sentimens distincts : vous êtes aux idées, au commencement de l'intelligence.

Distribuez la classe des sentimens distincts, ou des idées, en idées sensibles, idées intellectuelles, idées morales: l'intelligence se montre presque à découvert.

Continuez vos classes: que ces trois espèces d'idées soient absolues ou relatives, et qu'enfin elles soient acquises, ou par l'attention, ou par la comparaison, ou par le raisonnement, vous aurez de l'intelligence de l'homme, une connaissance, sinon parfaite, du moins égale, ou supérieure à la plupart des connaissances dont se vante la philosophie.

On voit donc que, pour connaître les différens objets de la nature, il ne suffit pas d'en avoir des idées très-générales. Les idées générales représentent exclusivement ce que plusieurs êtres ont de commun; elle ne caractérisent rien. L'idée générale homme ne vous fera pas connaître le peuple romain; elle ne vous fera pas connaître César ou Pompée. De l'idée générale science, vous ne ferez pas sortir la chimie, ou la métaphysique. L'idée générale substance ne vous instruira, ni des propriétés des corps, ni des propriétés des esprits; enfin, l'idée la plus générale de toutes, l'étre, l'existence, sera la plus stérile des idées.

Il est vrai que ces mots, étre, substance, servent à désigner la réalité des choses. La substance d'un corps, c'est quelquefois la totalité de ses propriétés et de ses attributs; l'étre, c'est l'être des êtres, c'est l'existence divine.

Connaître ainsi les substances peut être un désir de l'homme, mais un désir qui ne sera jamais entièrement satisfait : connaître ainsi l'existence, ce serait être Dieu.

Aussi, dans ces manières de s'exprimer, les idées ont-elles perdu leur généralité pour s'individualiser dans leur objet.

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